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Full text of "Cyrano de Bergerac : comédie héroïque en cinq actes en vers"

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LIBRARY 


Brigham  Young  University 


A  COLLECTION   OF   BOOKS   IN 
FRENCH,    ITALIAN,   AND   SPANISH 

PRESENTED   IN   MEMORY  OF 

MICHAEL  JAY  ROBINSON 

BY   HIS   PARENTS 
S.  R.  AND  ANITA  ROBINSON  SHAPIRO 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2011  with  funding  from 
Brigham  Young  University 


http://www.archive.org/details/cyranodebergerac1897rost 


CYRANO  DE  BERGEMC 


FASQUELLE  ÉDITEURS,  11,  rue  de  Grenelle,  PARIS,  7- 


ŒUVRES  D'EDMOND  ROSTAND 


Les    Musardlses,   Édition  nouvelle j    1887-1893, 

poésies,  58*  mille i  vol. 

Les  Homanesques,  comédie  en  trois  actes,  en  vers, 
précédée  de  Les  Deux  Pierrots,  lever  de  rideau 
en  vers,  i02*  mille i  vol. 

La  Princesse  Lointaine,  pièce  en  quatre  actes,  en 

vers,  107*  mille i  vol. 

La  Samaritaine,  évangile  en  trois  tableaux,  en  vers, 

87»  mille I  vol. 

Cyrano  de  Bergerac,  comédie  héroïque  en  cinq 

actes,  en  vers,  8o4*  mille i  vol. 

L^ Aiglon,  drame  en  six  actes,  en  vers,  61 4*  mille.    .  i  vol. 

Ghantecler,  pièce  en  quatre  actes,  envers,  aoS*  mille  i  vol. 

Le  Vol  de  la  Marseillaise,  recueil  des   poèmes 

écrits  pendant  la  guerre,  36*  mille i  vol. 

La  Dernière  Nuit  de  Don  Juan,  poème  drama- 
tique en  deux  parties  et  un  prologue,  34*  mille   .    .        i  vol. 

Le  Cantique  de  l'Aile,  poèmes,  i5*  mille  ...»       i  vol. 
Chaque  volume 12  francs 

Choix   de  Poésies.    —  Avec  un    portrait,   d'après  Pasgau,        i   vol. 

Un  soir  à  Hernani,  poème 2    50 

Discours  de  réception  à  l'Académie  française.   ...      3    50 


EDMOND    ROSTAND 


CYRANO 

DE  HKIK.EUAG 

COMÉDIE  HÉROÏQUE  EN  CINQ  ACTES 

F.  s      VERS 

fieprésenlée  à  Paris,  sur  le  Théâtre  Je  la  Porte-Saist-M4RTIS 
le  28  décembre  iS<J7 


PARIS 
FASQUELLE    ÉDITFmS 

I  I  .     KLE     DE    GRENELLE,       I  I 

Tons  droits  ré««rvtt. 


Ceit  à  rdme  de  CYRANO  qae  je  voulais  dédier  ce  poème. 

Mais puisqu  elle  a  [Hissé  en  vous,  COQUELIN,  c'est  à  vous 
que  je  le  dédie. 

p.  IV. 


PfJIiSONNAGKS 


nVRVNO  DE  BEKGKHAC.        .    . 
CHIUSTIAN  DE  NEÏJVILLE'n'K 

COMTKDEGUICHK 

llVCiUK.NEAU 

LE  HKKT  

CAUBON  DE  CASTEL-JALOUX 


Les  Cadets 


LKiMERE   .... 
1)EVALVEE\T.    .    . 

lu  Mahqiis 

DeI  XIKME  MaKQIIS    .       . 

'I'roisikmk  Nr\iu>ri>  . 
MONTKLKLin.    .    . 
HKLLKBOSE    .     .     . 

JODELET 

CIIIGY 

lUUSAlLLE  .  .  .  . 
Un  Fâcheux  .  .  .  . 
Un  Mousquetaire  .     . 

Un  autre  

Un  Officier  espagnol 
Un  Gheveau-Li;<.kr  . 
Le  Portier.    ... 


A  la  création 

1897 

MM. 

COQIELIN. 
VoL?l  T . 

Desjardins. 

Jean  Coque  lin. 

Castillan. 

Gravier. 

Péricald. 

Demey. 

Noizeui. 

Terval. 

Armand. 

Kirtal. 

HOSSARD. 

Etc. 

I^EDEL. 
NiCOLINI. 

Walter, 

Laumonier. 

Hémert. 

Péricald. 

Davril. 

Cartere\i . 

(lODEAl . 

Borges. 
Person. 
Carlit. 
Dlrand. 
Ai hekt . 

DoUHLEAU. 
JoLRDAN. 


À  ta  repriii 
1913 

MM. 

L»  Hamct. 

Pierre  Magnich. 

Desjardins 

Jean  (^oqlei.in. 

Etiévant. 

Jean  Kemm. 

Mernet. 

Martin. 

Flchs. 

boisjardins. 

rolgemont. 

Lervillb. 

Robert. 

Etc. 

Colle >. 

Basseuil. 

Walter. 

Le  Goff. 

Glénat. 

Chabert. 

L.  Christian. 

P.  Garnie». 

Danequin. 

R.  LévT. 

Laporte. 

Lhérts. 

Parnt. 

RiCHAl  n. 

Laverne. 
Angélt. 


A  la  création  A  la  reprit* 

1897  1913 

MM.  MM. 

Uif  Bourgeois.   .•....,..     Lç«seau.  Person. 

Son  Fils Ghabert.  Henriot. 

Un  Tire-laine Bourgeois.  Emilien. 

Un  Spectateur Samson.  Charles. 

Un  Garde Danequin.  Trévoux. 

Bertrandou  LE  Fifre. G.  Monpeurt.  Paryot. 

Le  Capucin Ravart.  Lucien. 

i      Gaston  Henry.  NervaIi. 

Deux   musiciens.    .......    J      Damon.  Trémont. 

[      William.  Laurent. 

Les  Poètes |      Leroy.  Charly. 

(      Etc.  Dorval. 

(      Mallet.  Foucault. 

Les  Pâtissiers •     ■    •    1      ^^*^^"^-  Marty. 

(      Etc.  Etc. 

ROXANE .      Maria  Legault.  Andrée  Mégard 

Soeur  MARTHE    ........      Esquilar.  Yvette. 

Ljgg ,    .    .    .      Blanche  Miroir.    V.  Tessier. 

La  Distributrice  ........      Kerwich.  Messery. 

Mère  marguerite  de  JÉSUS   .      Bouchetal.  L.  Himmel. 

La  Duègne   , ,    .    .    .      Bourgeois.  Blémont. 

Sœur  CLAIRE Pannetier.  Lauris. 

Une  Comédienne    ........      Lucienne.  Dizella. 

La  Soubrette Varennes.  Dancourt. 

!      Marthe  Marty.  Darlot. 

Lotsier.  Morez. 

Bertma.  Bertha. 

Etc.  Andlot. 

La  Bouquetière *  *  Rose. 

La  foule,  bourgeois,  marquis,  mousquetaires,  tire-laine,  pâtissiers,  poètes, 
cadets  gascons,  comédiens,  violons,  pages,  enfants,  soldats,  espagnols,  spec- 
tateurs, spectatrices,  précieuses,  comédiennes,  bourgeoises,  religieuses,  etc. 

{Les  quatre  premiers  actes  en  1640,  le  cinquième  en  1655.) 


Tous    droits  de  reproduction,    de  'raduction  et  de    représentation    réservéi 
pour  tous  pays,  y  compris  le  Danemark,  les  Pays-Bas,  la  Suède  et  la  Norvège. 


PUKMIKK  vcn: 


LNE  UEPRÉSENTATION  A  I .flOTEL  DE  BOURGOGNE 


phi:.mii:k  acte 


UNE  REFMlKsnNTATION  A  I.  IIOTKL  DK  BOURGOGNE 

La  sallo  clo  rilùlrl  i\c  Honr^'ognc,  en  lO^o.  Sorlo  de  hangar  J« 
jeu  de  paume  ainônagô  cl  embelli  pour  des  représentations. 

La  salle  est  un  carrr  lon^:;  on  la  \oit  en  biais,  de  sort»*  qu'un  de 
ses  entés  forme  le  fond  qui  part  du  premier  plan,  à  tlroitr,  vi  va  au 
dernier  plan,  à  gauche,  faire  angle  avec  la  scène,  qu'on  aperçoit  em 
pan  coupé. 

(]etto  scène  est  cncombr<^e,  des  deux  côtés,  le  long  des  coulÎMet, 
par  (b's  banquettes.  Le  rideau  est  formé  par  deux  tapisseries  qui 
peuvent  s'écarter.  Au-dessus  du  manteati  d'Arlequin,  les  armet 
royales.  On  descend  de  l'estrade  dans  la  salle  par  de  larges  marches. 
De  chaque  côté  de  ces  marches,  la  place  des  violons.  Rampe  de 
chandelles. 

Deux  rangs  superposés  de  galeries  latérales  :  le  rang  supérieur 
est  di\isé  en  loges.  Pas  de  sièges  au  parterre,  qui  est  la  scène  mcaio 
du  théâtre;  au  fond  de  ce  parterre,  c'est-à-dire  à  droite,  premier 
plan,  quelques  bancs  formant  gradins  et,  sous  ini  escalier  qui  monte 
vers  des  phtces  supérieures,  et  dont  on  ne  voit  que  le  départ,  une 
sorte  de  bulTet  orné  de  petits  lu>tres,  de  vases  fleuris,  de  verres  de 
cristal,  d'assiettes  de  gâteaux,  de  flacons,  etc. 

A\i  fond,  au  milieu,  sous  la  galerie  de  loges,  l'entrée  du  théâtre. 
Grande  porte  qui  s'entre-bàille  pour  laisser  passer  les  spectateurs.  Sur 
les  battants  de  celle  porle,  ainsi  que  «lan-^  plusieurs  coins  et  au-de^ssus 
du  buffet,  des  alliches  rouges  sur  les<pielles  on  lit  :  La  Clorise. 

Au  lever  du  rideau,  la  salle  est  dans  une  demi-obscurité,  vide 
encore.  Les  lustres  sont  baissés  au  milieu  du  parterre,  attendant 
d'être  allumés. 


3^ 


4  CYRANO      DE      BERGERAC. 


SCENE   PREMIÈRE 


Le  Public,  qui  arrive  peu  à  peu.  Cavaliers,  Bourgeois, 
Laquais,  Pages,  Tire-laine,  Le  Portier,  etc.,  puis  les 
Marquis,  CUIGI,  BRISSAJLLE,  La  Distributrice,  les 
Violons,  etc. 

(On  entend  derrière  la  porte  un  tumulte  de  voix,  puis   un  cavalier   entro 

brusquement.) 


LE    PORTIER,     le  poursuivant. 

Holàl  VOS  quinze  sols! 

LE    CAVALIER. 

J'entre  gratis  1 

LE    PORTIER. 

Pourquoi  ? 

LE    CAVALIER. 

Je  suis  chevau-léger  de  la  maison  du  Roi! 

LE    portier,    à  un  autre  cavalier  qui  vient  d'entrer. 

Vous? 

deuxième  cavalier. 
Je  ne  paye  pasi 

le  portier. 
Mais... 

deuxième  cavalier. 

Je  suis  mousquclairc. 

premier    cavalier,    au  deuxième. 

On  iHî  commence  qu'à  deux  heures.  Le  parterre 
Est  vide.  Exerçons-nous  au  fleuret. 

(Rs  font  des  armes  avec  des  fleurets  qu'ils  ont  apportés.) 
UN    LAQUAIS,    entrant. 

Pst...  Flanquin... 

UN    autre,    déjà  arrivé. 

Champagne?... 


PUEMIBU      ACTE.  9 

LB   PREMIER,    lui  montrant  des  jeux  qu'il  sort  de  ion  pourpoint. 

Cartes.  Dés. 

(Il  »'as»tetl  iKir   terre  ) 

Jouons. 

LE     DFIXIIMI  .     m.Mii..    ;-M 

Oui,  mon  co(jiiin. 

PREMIKH    LAQUAIS*     tirant  de  sa  {xtche  un  bout  do  clundelle 
qu'il  alliiiiio  et  colle  |Mr  terre. 

J'ai  soustrait  à  inrjn  niaîlro  un  |)cu  de  luminaire. 

LN    GAUDi;,    à  une  Uniquetiôro  qui  s'avance. 

C'est  gentil  de  venir  avant  que  l'on  nVclaire  !... 

(Il   lui   prend   la   taiile.j 

t'5    DES    HHETTEt'RS,     rccovant  un  coup  de  tleuret. 

Touche  ! 

r?f     DES    JOt  KIRS. 

Trène  ! 

LE    GARDE,     poursuivant   la  tille 

\Sn  baiser  I 

f.A     Hnr(  H  r.TirJU:.     se   dé-n-eant. 

On  voit:  .. 

LE    GARDE,     l'entrainant  dans   les  coins   nombres 

Pas  de  danger! 

LN     HOM.ME,    •'asseyant   par   terre  avec  d'autres  porteurs   de  provisions 

de  bouche 

I.orsqu'on  vient  en  avance,  on  est   bien  pour  manger. 

UN     BOURGEOIS,     conduisant  son  liU. 

Plaçons-nous  là,  mon  lils. 

UN    JOUEUR. 

Brelan  d'as  ! 

VS    HOMME,     tirant  une  })Outeille  de  sous  son  uianleau  et  s'asseyant  aussi 

Un  ivrogne 
Doit  boire  son  bourgogne... 

(Il  boit) 

a  riiotel  de  Bourgogne  I 
I . 


6  CYRANO     DE      BERGERAC. 

LE   BOURGEOIS,    à  son  fils. 

Ne  se  croirait-on  pas  en  quelque  mauvais  lieu? 

(Il  montre  l'ivrogne  du  bout  de  sa  canne.) 

Buveurs. . . 

(En  rompant,  un  des  cavaliers  le  bouscule.) 

Bretteurs  ! 

(11  tombe  au  milieu  des  joueurs.) 

Joueiu^s  ! 

LE    GARDE,    derrière  lui,  lutinant  toujours  la  femme. 

Un  baiser  ! 

LE    BOURGEOIS,    éloignant  vivement  son  fils. 

Jour  de  Dieu 
—  Et  penser  que  c'est  dans  une  salle  pareille 
Qu'on  joua  du  Rotrou,  mon  fils  1 

LE    JEUNE    HOMME. 

Et  du  Corneille! 

UNE   BANDE    DE    PAGES,     se   tenant  par  la  main,  entre  en  farandole 

et  chante. 

Tra  la  la  la  la  la  la  la  la  la  la  1ère... 

LE    PORTIER,    sévèrement  aux  pages. 

Les  pages,  pas  de  farce!... 

PREMIER    PAGE,    avec  une  dignité  blessée. 

Oh  !  Monsieur  !  ce  soupçon  ! . . 

(Vivement,   au  deuxième,  dès  que  le  portier  a  tourné  le  dos.) 

As-tu  de  la  ficelle? 

LE    DEUXIÈME, 

Avec  un  hameçon. 

PREMIER    PAGE. 

On  pourra  de  là- haut  pêcher  quelque  perruque. 

UN    TIRE-LAINE,    groupant  autour   de  lui  plusieurs  hommes 
de  mauvaise  mine. 

Or  ça,  jeunes  escrocs,  venez  qu'on  vous  éduque  : 
Puis  donc  que  vous  volez  pour  la  première  fois... 

DEUXIEME    PAGE,    criant  à  d'autres  pages  déjà  placés 
aux   galeries  supérieures. 

Hep!  Avez-vous  des  sarhacanes. 


PHEMIEIl      ACTE  1 

I  HMl-ii"  \ii      !•  Vt.r,    .l'en  haut 

Et  des  pois! 

(H  soufne  et  loft  cnliîo  «le  |*u«» 

LE    JEl>K     IIOMMI;,      1  ^ -n  |Kro. 

Que  va-t-on  nous  jouci  ? 

LE    lUJl  U(;EOiS. 

Clorise. 

LE    JEU?(E    HOMME 

De  qui  est-ce? 

LE    liOLIlGLOlS. 

De  monsieur  Ballliazar  liaro.  C'est  une  pièce!... 

(  1 1  reuioute  au  brat  de  too  fih, 
LE    TIUKLVINE,     à   ses  ac.)l>les. 

..La  dentelle  surtout  des  canons,  coupez  la! 

UN    SPEGTATELU,    à  un  aulre,  lui   inonlranl  une  encoignure  «l«vé». 

Tenez,  à  la  première  du  Ciel,  jetais  là! 

LE    TIRE  L.\1>'E,     faisant  avec  ses  iloigla  le  geste  de  subtiliser. 

Les  montres... 

LE    BOURGEOIS,     redesccn«lant,  à  son  Gis. 

Vous  verrez  des  acteurs  très  illustres.. . 

LE    TIRE-LAINE,     faisant    le  j^esle   de   tirer    par  pcliles  secousses   tutiitm 

Les  mouchoirs... 

LE    BorR(;E01S. 

MontflciirN . . . 

QUELQU  UN,     criant    de  la  galerie  supérieure. 

Allumez  donc  les  lustres! 

LE    nOLRGEOIS. 

...Bellerose,  rEpy,  la  Beaupré,  Jodelet! 

l  >'    PA(;E,     au  parterre. 

Ah!  voici  la  distributrice!... 

LA     DISTRIBUTRICE,     paraissant  derrière  le  ImffeL 

Oranges,  lait, 


Eau  de  framboise,  aigre  de  cèdre... 


(Brouhaha  à  la  porta.) 


8  CYRANO      DE      BEUGERAG. 

UNE    VOIX    DE    FAUSSET. 

Place,  brutes  1 

UN    LAQUAIS,    s'étonnant. 

Les  marquis!...   au  parterre?... 

UN    AUTRE    LAQUAIS. 

Oh!  pour  quelques  minutes. 

(Entre  une  bande  de  petits  marquis.) 

UN    MARQUIS,     voyant  la   salle  à  moitié  vide. 

Hé  quoi  !  Nous  arrivons    ainsi  que  les  drapiers, 
Sans  déranger  les  gensP  sans  marcher  sur  les  pieds. ^ 
Ah!  fi!  fi!  fi! 

(Il  se  trouve  devant  d'autres  genlilshommes  entrés  peu  avant.) 

Cuigy  !  Brissaille  ! 

(Grandes    embrassades.) 
GUIGY. 

Des  fidèles  ! . . . 
Mais  oui,  nous  arrivons  devant  que  les  chandelles... 

LE    MARQUIS. 

Ah!  ne  m'en  parlez  pas!  Je  suis  dans  une  humeur... 

UN    AUTRE 

Console-toi,  marquis,  car  voici  l'allumeur! 

LA    SALLE,    saluant  l'entrée  de  l'allvimeur. 

Ahl... 

(On  se  groupe  autour  des  lustres  qu'il  allume.  Quelques  personnes 
ont  pris  place  aux  galeries.  Lignière  entre  au  parterre,  donnant  le  bras  à 
Christian  de  Neuvillette.  Lignière,  un  peu  débraillé,  ligure  d'ivrogne 
distingué.  Christian,  vêtu  élégamment,  mais  d'une  façon  un  peu  démodée, 
paraît  préoccupé  et  regarde  les  loges.) 


SCENE  II 

Les  mêmes,  CHRISTIAN,   LIGMÈRE,  puis  RAGUENEAU 

et  LE  BRET. 

CUIGY. 

Lignière  I 

BRISSAILLE,     riant. 

Pas  encore  gris!co<, 


PHKMIKIl      ACTE. 

LKiMI  lir.     l.iH  à  Cliri-liin 

Je  \oiis  préscnle? 

(Signe  (.rattsenliiiiciit  Jo  Lhrialiao.) 

Hanm  de  Ncuvilletlc. 

(SaluU.) 
LA   SALLE^    acclamant  l'aM:ension  du  premier  lustre  allumé. 

Ah: 

Ct'iriY,    à   Bri.Hsailln.   ru   remaniant  Cliristian. 

La  lôtc  est  cliarniaiile. 


Penh: 


l'IlEMIiai    M\ll(^)llS.    (}ui  a  entemlu. 


LIGMMllF.,    {>r«Vs«n(aiit  à  (llirislian. 

Messieurs  de  Ciiigy,  de  Brissaille... 

CIIRISTJAN,    s'iuclinant. 

Enchante  !. 

l»Ki:Mn:i\    MVUOriS,   au   deuxi-'-me 

Il  est  assez  joli,   mais  n'est  pas  ajusté 
Au  dernier  '^oùi. 

M(;Mi:i\r,    à  Cui^y. 

Monsieur  dcl)ar(jue  de  Touraine. 

CIiaiSTIAN. 

Oui,  je  suis  à  Paris  depuis  vingt  jours  à  peine. 
J'entre  aux  gardes  demain,  dans  les  Cadets. 

t'HEMIEH   MAHQITS,   regartlaut    les    |K»rsonncs    (jui  entrent  dans  les  Iog( 

Voilà 
La  présidente  Aul)r\  ! 

LA   Disriiir.i  riiicE. 
Oranges,   lait... 

LES   V10L0:iS,    i'accordant. 

La...  la... 

CUITtY,    à  Christian,  lui  désignant  la  salle  qui  se  garoii. 

Du  monde  ! 

en  lus  II VN. 

Eh  !  oui,  beaucoup. 


10  GYRAISO      DE      BERGERAC. 

PREMIER   MARQUIS. 

Tout  le  bel  air  ! 

(Ils  nomment  les  femmes  à  mesure  qu'elles  entrent,  très  parées,  dans 
les  loges.  Envois  de  saluts,  réponses  de  sourires.) 


DEUXIEME   MARQUIS. 


Mesdames 


De  Guéméné, 


CUÏGY. 

De  Bois-Dauphin... 

PREMIER   MARQUIS. 

Que  nous  aimâïhes. 

BRISSAILLE. 


De  Chavigny. 


DEUXIEME    MARQUIS. 

Qui  de  nos  cœurs  va  se  jouant  ! 

LIGNIÈRE . 

Tiens,  monsieur  de  Corneille  est  arrivé  de  Rouen. 

LE   JEUNE   HOMME,    à  son  père. 

L* Académie  est  là.^ 

LE    BOURGEOIS. 

Mais...  j'en  vois  plus  d'un  membre; 
Voici  Bouda,  Boissat,  et  Cureau  de  la  Chambre; 
Porchères,  Golcmby,  Bourzeys,  Bourdon,  Arbaud... 
Tous  ces  noms  dont  pas  un  ne  mourra,  que  c'est  beau! 

PREMIER   MARQUIS. 

Attention  I  nos  précieuses  prennent  place  : 
Barthénoïde,  Urimédonle^  Cassandace, 
Félixérie... 

DEUXIÈME   MARQUIS,    se  pâmant. 

Ah!  Dieu!  leurs  surnoms  sont  exquis! 
Marquis,  tu  les  sais  tous? 

PREMIER   MARQUIS. 

Je  les  sais  tous,  marquis  I 

LIGNIERE,    prenant  Christian  à  part, 

Mon  cher,  je  suis  entré  pour  vous  rendre  service: 
La  dame  ne  vient  pas.  Je  retourne  à  mon  vice! 


V  II  K  M  I  K  11      A  I    1  K  II 

Cmil'^ri  V>l,    Mippliant 

iNuii!...   Vous  qui  cli.nisoniu'/.  el  hi  ville- et  la  cour. 
Restez:  Vous  me  dire/  pour  (jui  je  meurs  d*amour. 

LE  CIIEF   DES   VIOU)NS,    frappant  sur  son  pupitre,  avec  »oa  archet. 

Messieurs  les  violons!... 

(il  lêvo  son  archet.) 
I  \    DISTIUIII  TIUCK. 

Macarons,  citronnée... 

(Les  violons  coninicncciit  à  jou«>r.) 

CHIlISriAN. 

J  .11  |Miji   (ju'clle  ne  soit  coquellc  ot  ralTinc'e, 

Je  irosc  lui  parler  car  je  n'ai  pas  d'esprit. 

Le  langajîfe  aujourd'hui  (pToii  parle  et  (ju'on  écrit^ 

Me  trouble.  Je  ne  suis  (pi'un  bon  soldat  timide.   ^    _ 

—  Elle  est  toujours  à  droite,  au  fond  :   la  loge  \ide.^ 

I.ICMI.UK,    faisant  mine  Je  sortir. 

Je  pars. 

CIIIllSri.VN,    lo  retenant  encore. 

Oh  !   non,  reslez  ! 

LIGMIIIIE. 

Je  ne  poux.   D'Assoucy  î^ 
M  attend  au  cabarel.  On  meurt  de  soif,   ici.t^ 

L.\.   DlSnulU   rillCE,    pa'ssaut  devant  lui  avec  un  plateau. 


Orangeade  ? 

Li(;>ii:iŒ. 
Fi! 

yÇK    ■=>^^«>^^ 

LV    DlSrUlbl  THICE. 

Lait.^ 

(j^  <>  o.r^    cct^  c<  Apt 

LIGMÈÏU:. 

Pouah  : 

a\exAiT^^ 

LA     DISTRURTRICE. 

Rivesaltc.^ 

LIGNIÈRE. 

Halte  !        ^^-^Vv 

(A  Christian.) 

•Te  reste  encore  un  peu.  —  Voyons  ce  rivesalte? 

(Il  s'assied  près  du  bulTet.   La  distributrice  lui  verse  du  rivesalte. 


13  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CRIS,    aans  le  pul)lic  à  l'enlrce  d'un  petit  homiïie  grassouillet  et  réjoui. 

Ah  1   Raguencau  !... 

LIGNIÈRE,    à  Christian. 

Le  grand  rôtisseur  Ragueneau. 

RAGUENEAU,    costume  de  pâtissier  endimanché,   s'avançant  vivement 

vers  Lignicre. 

Monsieur,  avez-vous  vu  monsieur  de  Cyrano? 

LlGNlÈRE,    présentant  Ragueneau  à  Christian. 

Le  pâtissier  des  comédiens  et  des  poètes  ! 

RAGUENEAU,    se  confondant. 

Trop  d'honneur... 

LIGNIÈRE. 

Taisez-vous,  Mécène  que  vous  êtes 

RAGUENEAU. 

Oui,  ces  messieurs  chez  moi  se  servent... 

LIGNIÈRE. 

A  crédit. 
Poète  de  talent  lui-même... 

RAGUENEAU . 

Ils  me  l'ont  dit. 

LIGNIÈRE. 

Fou  de  vers  ! 

RAGUENEAU. 

11  est  vrai  que  pour  une  odelette... 

LIGNtÈRE. 

Vous  donnez  une  tarte... 

RAGUENEAU. 

Oh  !  une  tartelette  ! 

LIGNIÈRE. 

Brave  homme,  il  s'en  excuse!  Et  pour  un  triolel 
Ne  donnâtes-vous  pas.^... 

RAGUENEAU. 

Des  petits  pains! 


rKi.  M  I  i:ii     A  <.  1  h.  i 

LIGNli:hK.    ftc^ironienl 

Au  lait. 

- —  Et  le  fh('.Urol    NoiiN  I  .iiiiM'/ ? 

m  < .  I  I  ;  M  :  M  . 

Je  ridolàlrc. 
i.k;mi:hk. 
/ons  pn  voz  on  ^'Atoaiix  vos  l)illols  dn  llirAlre  ! 
Votre  [)hic(\  aujoiird'lmi,   là,  voyons,  cnire  nous. 
Vous  a  coûté  combien? 

kaguenkaï:. 

Quatre  llans    ()uin/.e  clioux. 

(Il  re^ardo  Je  tous  côlés.^ 

Monsieur  de  Cyrano  n'est  pas  là?  Je  m'étonne. 

LIGMIJiE. 

Pourquoi? 

IWOIENKAU. 

Monllleury  joue  ! 

Lir.Nirnr. 

En  elTct,  cctle  tonne 
Va  nous  jouer  ce  soir  le   rôle  de  Plicdon. 
Qu'importe  à  Cyrano? 

RAGLENEAU. 

Mais  vous  ignorez  donc? 
Il  lit  à  Moninenry.  messieurs,  rpTii  prit  en  haine, 
Défense,  pour  un  mois,  de  reparaître  en  scène. 

LIGMLIŒ,    qui  en  est  à  son  (juatrièine  p«lil  verre. 

Eh  bien? 

H  w;leneau. 
Montflcury  joue! 

CL'IGY,    qui  s'est  rapproche  de  son  groupe. 

Il  n'y  peut  rien. 

ragiem:  \l  . 

Oh!  ohl 

Moi,  je  suis  venu  voir! 

3 


l4  CYRANO      DE      BERGERAC. 

PREMIER   MARQUIS. 

Quel  est  ce  C\rano? 

CLIGY. 

C'est  un  garçon  versé  dans  les  colichemardes. 

DEUXIÈME    MARQUIS. 

Noble? 

CUIGT. 

Suffisamment.  Il  est  cadet  aux  gardes. 

(Montrant  un  gentilhomme  (jui  va  et  vient  dans  la  salle  comme  s*il 
cherchait  quelqu'un.) 

Mais  son  ami  Le  Bret  peut  yous  dire... 

[l\  appelle.) 

Le  Bret  ! 

(Le  Bret  descend  vers  eux.) 

Vous  cherchez  Bergerac .^^ 

LE   BRET. 

Oui,  je  suis  inquiet!... 

CUIGY. 

N'est-ce  pas  que  cet  homme  est  des  moins   ordinaires? 

LE  BRET,    avec  tendresse. 

Ah  !  c'est  le  plus  exquis  des  êtres  sublunaires  I 

RAGUENEAU. 

Rimeur  ! 

CUIGY. 

Bretteur  ! 

BRISSAILLE. 

Physicien  I 

LE    BRET. 

iVJusicienl 

LIGNIÈRE. 

Et  quel  aspect  hétérocUte  que  le  sienl 

RAGUEr^EAU. 

Certes,  je  ne  crois  pas  que  jamais  nous  le  peigne 
Le  solennel  monsieur  PhiHppe  de  Champaigne; 
Mais  bizarre,  excessif,  extravagant,  falot, 


PKEMIEIl      ACTE.  l5 

Il  eût  fourni,  je  pcasc.   à  feu  Jacques  Callol 

Le  plus  fol  spadassin  à   mettre  en  Ire  ses  masques  : 

Feutre  à  panache  triple   et  pourpoint  à  six  has^jues, 

Cape  que  par  derrière*,    avec  ponq>e,   l'estoc 

Lève,  comme  une  cpieuc   insolente  de  coq, 

Phis  fier  que  tous  les  \rtahans  dont  la  Gascogne 

Fut  et  sera  toujours  l'aime  Mère  (iigo^^ne, 

Il  promène,  en  sa  fraise  à  la  Pulcinella, 

Un  ne/!...  .\h  !  messeigneurs,  cpiel  nez  que  ce  ne/là!... 

On  ne  peut  voir  passer  un  pareil  nasij^ère 

Sans  s'écrier  :  u  Oli  I   non,   vraiment,  il  exagère!   » 

Puis  on  sourit,  nn  dit   :  u    IL  va  Tenlever...   »  Mais 

Monsieur  de  Berf^^erac  ne  lenlèvc  jamais. 

m:    lU\Er,    hoclianl    la  tète. 

Il  le  porte,  —  et  pourfend  quiconcjue  le  remarque  ! 

RAr.t'E^E.\U,    fiôrement 

Son  glaive  est  la  moitié  des  ciseaux  de  la  Parque  ! 

PREMIER    MARQUIS,    haussant  les    rpaulcs. 

Il  ne  viendra  pas  ! 

RAMENEAU. 

Si  !        h'  t>:Mi<'  un  poulet 
A  la  Ragueneau! 

I.E    MARQl  IS,    riant 

Soit! 

(Rumeurs  d'admiration   dans   la  salle.   Roxanc  vient  de  paraître  dans 
sa  loge.   Elle   s'assied    sur    le  devant,  sa   duègne    prend  place  au  fond 
Christian,  occupe  à   paver  la  dislrihtilrice.   ne  regarde  pas 

DEUXIKME    MARQl  IS.    avec  des  petits  cris. 

Ah!  messieurs!  mais  elle  est 
Epouvanlablemcnt  ravissante  ! 

PREMMCR     MARQUIS. 

Une  pèche 

Qui  sourirait  avec  une  iiaise  ! 

DEUXIKMF     MAIKJI  IS. 

Ht  si  fraîche 
Qu'on  pourrait,  l'approchant,  prendre  un  rhume  de  cœur! 


l6  CYU\NO     DE      BEUGERAC. 

CHRISTIAN,    lève  la  tèle,  nperroil  I^oxanc,  et  saisit  vivement  Lignière 

par   le  hras. 

C'est  elle! 

LIGNlfuE,    regardant. 

Ahî  c'est  elle?... 

CIIIUSTIAN. 

Oui.  Dites  vite.  J'ai  peur. 

LIGNIÈRE,    dégustant  son  rivesaltc  à   pelils  coups. 

Magdeleine  Hobin,  dite  lioxane.  —  Fine. 
Précieuse. 

CIIIUSTIAN. 

llclas! 

LIGNIÈRE. 

Libre.  Orpbeline.  Cousine 
De  Cyrano,  —  dont  on  parlait... 

(A    ce  moment  un  seigneur  très  élégant,  le  cordon  bleu  en  sautoir, 
entre  dans  la  loge  et,  debout,  cause  un  instant  avec  Roxane.) 

CHRISTIAN,    tressaillant. 

Cet  homme?... 

LIGNIERE,    cpii   commence  à  être  gris,  clignant  de  l'œil. 

Hé!  Hé 

—  Comte  de  Giiiche.   Épris  d'elle.  Mais  marié 
A  la  nièce  d'Armand  de  Riclielieu.  Désire 
Faire  épouser  Roxane  à  certain  triste  sire, 

I  "  monsieur  de  Valvert,   vicomte...  et  complaisant. 
Flic,  n'y  souscrit  pas,  mais  de  Guiche  est  puissant  : 

II  peut  persécuter  une  simple  bourgeoise. 

n  .dlleurs  j'ai  dévoilé  sa  manœuvre  sournoise 
D.uis  une  chanson  qui...  Ho!  il  doit  m'en  vouloir! 

—  La  fin  était  méchante...  Ecoutez... 

[l[  se  lève  en  lituhant,  le  verre  liaut,  prêt  à  ciianter.) 
CHRISTIAN. 

Non.  Bonsoir. 

LIGNIÈRE. 

Vous  allez? 

CHRISTIAN. 

Chez  monsieur  de  Valvert! 


piu:Mir:n     acte.  '7 

LlGNli-:UE. 

Prenez  garde  : 
C'est  lui  f|in  vous  lucra  ! 

(^I^ui  (icsigiiani   tlu  coin   do  INvil   lloiane.) 

Heslez.  On  vous  regarde. 

cuuisriAN. 
<]'<^**l  vrai! 

il   ic^lc   en    contoinplé'illon.    I.e    prj)U|K«    ilo    lire  laine,  «i   |>arlir  ilc  c« 
iiioiiMMil,  le   voNttul   la  l»le   en    l'air  el  Utiu  lie  Ine,  »e  ra|»prtxlio  d»  lui  ) 

i.ir.MKhi:. 
•  C'est  mol  (]ni   pars.   J'ai  soif!   Va   Von  m'attend 
—  Diiiis  les  tavernes! 

(Il  sort  en  /ij^/.i-ii.inl.) 

LK    lUU.T,    (jui  a  fait  le   loiir  de    la  salir,  revenant  ver»  Raguencau, 
d'une  \oix  rassurée 

Pas  (le  Cyrano. 

RAGUENEAl,    intréilulc. 

Pourlarit.. 

LE    nu ET. 

Ail!  je  veux  espérer  (lu'il  na  pas  vu  ralficlic  1 

LA    SALLE. 

Commencez  I  Commencez! 


SCÈNE   m 

Les   Mkmf.s,   moins  Lu;Mi;ui;:   DE  (H  KIIIE, 
VAI.\i:UT,  puis  MO.NTri.ELUV. 

UN    MARQLIS,    vovant   do   riuiclie,  qui    dcsceml  do    la    logo  de  Roxano 
travprse    le    parlerre.   entouré  de    scii:ncurs  obséipiieux,   parmi  lesquels 
le  vicomte  do  \  alvert. 

Quelle  cour,  ce  de  Guichel 

UN   AUTRE. 

Fi!...  Encore  un  Gascon! 


,8  CYRANO     DE      BERGERAC. 

LE    PREMIER. 

Le  Gascon  souple  et  froid, 
Celui  qui  réussit!...  Saluons-le,  crois-moi. 

(Us  vont   vers  de  Guirhe.) 

nrrxiKME   mauqtis. 
Los  beaux   rubans!  Quelle  couleur,  comte  de  Guichet 
Baise-moi-ma-wi(jnonne  ou  bien    Ventre- de- biche? 

l)i:     G  LIGUE. 

C'est  couleur  Espagnol  malade. 

PREMIER   MARQUIS. 

La  couleur 
Ne  ment  pas,  car  bientôt,  grâce  à  votre  valeur, 
L'Espagnol  ira  mal,  dans  les  Flandres! 

DE    GUICIIE. 

Je  monte 
Sur  scène.  Venez- vous .^ 

(H  se    dirii^'e,   suivi    de    tous    les   marquis    et     gentilshommes,  vers 
le  théâtre.  11  se  retourne  et  appelle.) 

Viens,  ValvertI 

CHRISTIAIV,     qui  les  écoute  et  les  observe,  tressaille  en  entendant  ce  nom. 

Le  vicomte  ! 
Ah  !  je  vais  lui  jeter  à  la  face  mon... 

(11  met  la  main  dans   sa   poche,  et  y  rencontre  celle  d'un  tire-laine  en 
train  de  le  dévaliser.  Il  se  retourne.)  , 

Hein  ? 

LE    TÏRE-LAl>E. 

Ay!... 

CHRISTIAN,    sans  le  lâcher. 

Je  cherchais  un  gant  ! 

LE   TIRE-LAINE,  avec  un  sourire  piteux. 

Vous  trouvez  une  main. 

(Changeant  de  ton,  bas  et  vite.) 

Lâchez-moi.  Je  vous  livre  un  secret. 

CHRISTIAN,    le  tenant  toujours. 

Quel? 


I»Hi.  Mil    H      ACTE.  19 

m:    iihe  i.ai!<e. 

Lignière... 

Qui  vous  r|nino.. . 

Eh  bien? 

11:    TIIU:-I.AINE. 

...louclic  à  son  lieure  dernière. 
Une  chanson  qu'il  fit  hlrssa  ([uchju'un  de  grand. 
Et  cent  hommes  —  j 'en  suis  —  ce  soir  sont  |>oslés  ! . . . 

cmiisriA.N. 

Cent! 

Par  ([iii? 

1,1-:    I  M. I    I  \im;. 

Discrclion... 

CnUISriAN,     li.m»ant   !e><  ô|»aules. 

Oh! 

LL    TUIE-LAINK.     av»M    heaiuotip  ilc  diicnilé. 

^  Proressionnellc  I 

ciHUsn  \N. 
Où  sont- ils  postes? 

LE    TIRE-LAINE. 

A  la  porte  de  Nesle. 
Sur  son  chemin.  Prévenez-le! 

CHRISTIAN,    qui  lui  lâche  enfin  le  poignet. 

Mais  où  le  voir.^ 

LL    TlUr    r MNE. 

Allez  courir  tous  les  cabarets  :  le  Pressoir 

D'or,  la  Pomme  de  Pin,  la  deinlure  (jai  crarjne, 

Les  Deux  Torches,  les  Tnn's  Knlonnoirs,  —  et  dans  chaque» 

Laissez  un  [)elil  mot  d'ccrll  l'averlissant. 

CniUSTLVN. 

Oui,  je  cours!  Ah!  les  gueux!  Contre  un  seul  homme,  cent! 


fO  CYRANO      DE      BERGERAC. 

(Uegardunl  Uoiane  avec  amour.) 

La  quiUcr...  elle  I 

(Avec  fureur,  Val  vert.) 

Kl  lui!..  —  Mais  il  faut  que  je  sauve 
Lignièrc! .. . 

(Il  sort  en  courant  —  De  Guiche,  le  vicomte,  les  marquis,  tous  les 
(Toniilshoninies  ont  disparu  derrière  le  rideau  pour  prendre  place  sur 
les  iianqueltes  de  la  sccne.  Le  parterre  est  complètement  rempli.  Plus 
une  place  vide  aux  {.galeries  et  aux  loges.) 

» 

LA     SALLE. 

Coinnieiicez. 

L'N    HOLKGEOIS,    dunl   la  perruque  s'envole  au  bout  d'une  ficelle,  pêchée 
par  un  page  de  la  galerie  supérieure. 

Ma  jierruque! 

CUIS    DE    JOIE. 

Il  est  chauve I... 
Bravo,  les  pages!...  lia!  lia!  ha!  .. 

LE    BOURGEOIS,     furieux,  montrant  le  poing, 

Petit  gredin! 

RIHES   ET    CRIS,     qui  commencent  très  fort  et  vont  décroissant. 

HA  !   iiA  !  ha!  ha!  La!  i.a! 

(Silence  complet.) 
LE    BIŒT,    étonné. 

Ce  silence  soudain?... 

(Ln  spectateur  lui  parle  bas.) 

Ah?... 

LE    SPECTATEUR 

La  chose  me  vienl  d'clic  certifiée. 

MURMURES,     qui  courent. 

Chut!— Il  paraît.^..— Non!...  — Si!— Dans  la  loge  grillée.— 
Le  Cardinal!  —  Le  Cardinal i>  —  Le  Cardinal! 

UN    PAGE. 

Ah  !  diable,  on  ne  va  pas  pouvoir  se  tenir  mal!... 

(On  frai>pe  sur  la  scène.  Tout  le  monde  s'immobilise.  Attente.) 


l'i:  KM  I  LK       \  t    1  1.  3  1 

LA    V()l\    1>  (  \    MVluaiS,     dans  le  tilenLe.  Jerriire  le  r'iilrâii. 

Mnnrlic/    rrllr     cl  i.i  r  i.  lr|  |e  ! 

IN     M   lili:    MAIKjl  IS,     pasMnt  la  trie  par  la   ffnle  du  riileau. 


Une 


(  liiiisc! 


\  l  ii<-  (  ii.ii"»r  '  >l  j >.!--'<««■.  uf  iiiaiii  en  niuin.  aii-ilr'*»ti-  nr*  |.'r%  1  r  fn.ir- 
(juiA  1.1  [>r6ii(i  et  diH{iara!t,  non  >;in»  avuir  ou vo> o  (|u«*l«|ucs  l>ai»^r%  aux 
loges.) 

IN    >\'i  r  j  V  I  ri  it 

.Silenrc! 

On  refrappe  les  trois  coups.  I.o  rideau  »*ouvrc.  'l'ablaan.  f^«  mnrquia 
asB  is  sur  i«'s  côtés,  tians  des  iH>ses  insoli'nlrs.  Toile  de  fond  reprèsrnt.inl 
un  décor  Meuàlro  ilc  |»aslorale.  (^unlre  petits  lustres  ilo  cristal  éclairent 
ta  scène.  Les  violons  jouent  doucement.) 

I.r    ItIU'.T,    à  Ragueneau,  has. 

Monlfleiiry  enlre  en  scène? 

RAGUENEAU,     bas  aussi. 

Oui,  c'est  lui  (jui  commence, 


Cvrnno  n'est  pas  là. 

RAC.l  ENEAU. 

J'ai  |)(M(lu  mon  pari. 

I E  nu ET 
Tant  iiiiiMix  1  lanl  mlriix  ! 

On  cnlerid  un  oir  de  muselle,  rt  Muntllourv  }»nr.»îtcn  scène,  énorme, 
dans  un  coslr.mo  de  bercer  de  pastorale,  un  clia[>eau  j:nrni  do  roses 
penché  sur  roreille,  et  souillant   dans  une  cornemuse  cnrul».iniu'»e.) 

LE    PAUIEUUE,     applaudissant 

Bravo,  Moniririiiv!  .\K>ntllcury ! 

MON TFLEUUY,    après  avoir   salué,  jouant  le  rôle  de  Plietlon. 

«  Heureux  r/ui  loin  des  cours,  dans  un  lieu  soLlaire, 

Se  prescrit  à  soi  me  fur  un  exil  volontuire. 

Et  'jui,  lors^jnc  Zcpliire  a  soufjlé  sur  les  bois...   » 


aa 


CYRANO      DE      B  E  lUi  L  R  A  C  . 


INK   VOIX,    au  milieu  du  parlcrre. 

Coquin,  ne  l'ai  je  pas  interdit  pour  un  mois? 

(Slnpeur.   Toul  le  monde  se  rclourne.  Murmures.) 
VOIX    DIVERSES 

Ilein?  —  Quoi?  —  Qu'est-ce  P.. . 

(On  5-e  lève  clans  les  loges,  pour  voir.) 
CUIGY. 

C'est  lui  ! 

LE   BRET,    terrifié. 

Cyrano  ! 

LA  VOIX. 


Roi  des  pitres» 


Hors  de  scène  à  l'instant î 


TOUTE    LA    SALLE,    indignée. 

Oh! 

MO>TFLEURY. 

Mais... 

LA   VOIX. 

Tu  récalcitres? 

VOIX    DIVERSES,    du  parterre,  des  loges. 

Chut  !  —  Assez  !  —  Montfleury,  jouez  !  —  Ne  craignez  rien  1 . . . 

INIONTFLEURY,     d'une  voix  mal  assurée. 

((  Heureux  qui  loin  des  cours  dans  un  lieu  sol...  » 

LA  VOIX,    plus  menaçante. 

Eh  bien? 
Faudra-t-il  cpic  je  fasse,  ô  Monarque  des  drôles, 
Une  plantation  de  hois  sur  vos  épaules? 

(Une  canne  au  houl  d'un  Lias  jaillit  au-dessus  des  têtes.) 
MON  riM.l^L'RY,     d'une  voix  de  plus  en  plus  faiLle. 

((  Heureux  (jui. . .   » 

(La  canne  s'agite.) 


PBEMIF.Il      ACTB.  iB 

Sortez  ! 

LE    l»AI\Tt:i\f\E. 

Oh! 

MOMTILELRY,    «Vlranslant 

«  Heureux  qui  loin  des  cours...  » 

CYHANO»    surgiitsant  ilu  parterro,  debout  sur  une  chaise,  le»   bras    croitét, 
lo  feutre  en  l>ataille,  la  moustache  hérissée,  le  net  terrible 

Ail  I  je  vais  me  fâcher  I . . . 

(Seosaiioo  à  sa  vue.) 


SGK.M::    IV 

Les  Mêmes,  CVUANO,  puis  BELLLKOSE.  JODELKT. 

MONTFLEL'UY,    aux  marquis 

Venez  à  mon  secours, 
iMcssieurs  ! 

IN    MAIIQLIS,     uonclialaminoQl. 

Mais  jouez  donc! 

CYHANO. 

Gros  homme,  si  tu  joues 

Je  vais  être  obligé  de  te  Icsser  les  joues  ! 

LE    MAHQUIS. 

Assez  I 

CYRANO. 

Que  les  marquis  se  taisent  sur  leurs  bancs, 
Ou  bien  je  fais  tàter  ma  canne  à  leurs  rubans! 


îi  CYRANO      DE      BEI^GEUAG. 

TOrS     Li:S     MAIUUIS,     dehout. 

C'en  esl  trop!...   MonlllourN . . . 

CYRANO. 

Que  Moniricury  s'en  aille, 
On  bien  je  l'essorille  et  le  desenlripaille  ! 

UNE    VOIX. 

Mais... 

CYRANO. 

Qu'il  sorte  ! 

UINE    AUTRE   A'OIX. 

Pourtant... 

CYRANO. 

Ce  n'est  pas  encor  fait? 

(Avec  le  geste  de  retrousser  ses  manches.) 

Bon  !  je  vais  sur  la  scène  en  guise  de  buffet, 
Découper  cette  mortadelle  d'Italie  ! 

MONTFLEURY,     rassemblant  toute  sa  dignité. 

En  m*insultant,  Monsieur,  vous  insultez  ïbalie  ! 

CYRANO,    très  poli 

Si  cette  Muse,  à  qc:l,  Monsieur,  vous  n'êtes  rien, 
Avait  l'honneur  de  vous  connaître,   croyez  bien 
Qu'en  vous  voyant  si  gros  et  bote  comme  une  urne, 
Elle  vous  flancjuerait  quelque  part  son  cothurne. 

LE    PARTERRE. 

Montflcuryl  —  Montfleury  î  —  La  pièce  de  Baro  !  — 

CYRANO,    à  ceux   (jui   crient  autour  de   lui. 

Je  vous  en  prie,  ayez  pitié  de  mon  fourreau  : 
Si  vous  continuez,  il  va  rendre  sa  lame  ! 

(Le  cercle  s'élargit.) 
LA    FOULE,    reculant. 

Ile!  làl... 


PUKMIEli      ACTE.  »S 

(;\H\NO,    à  Monldcury. 

Sortez  de  sc(^ne  ! 

LA    roi  M.,    »o  rapprochant  il  grondant. 

uii  :  oii  : 

CVHVNO.     >o  rcloiirnaiil  vivriiunt. 

c^iKl(|u*un  réclame!^ 

(NouvMU  r«cul., 
UNE    VOIX,    riiantaiit  .111   foml 

Monsieur  de  (iMano 
VrniiiKMîl  nous  lyraïuuse. 
Mal^M'é  ce  tyranneau 
Ou  jouera  la  Clorise. 

TOUTE    L\    SAI.I.i:,     chantant. 

La  Clorise'  Lu  (Horisc  ' ... 

CYllANU. 

Si  j'entends  une  fois  encore  celte  i^lmuson. 
Je  vous  assomme  tous. 

UN    BOUHGKOIS. 

Vous  n'êtes  pas  Sanison  I 

CYRANO. 

Voulez- vous  me  prêter,  Monsieur,  votre  mAchoire? 

UNE    DAME,     (Lins  les  loges. 

(Vest  inouï  ! 

UN    SEICiNElK. 

C'est  scandaleux  ! 

UN    BOURGEOIS. 

C'est  vexatoire  I 

TN    PAGE. 

Ce  qu'on  s'amuse  ! 

LE     PARTERRE. 

kss!  —  Monllleury  !  —  Cyrano 

3 


a6  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYKANO. 

Silence  ! 

LE    PAU  ri:i\UE.    en  délire. 

Ili  han  !  Bêê!  Ouah,  ouah  !  Cocorico I 
Je  vous... 

UN    PAGE. 

Miaou  ! 

CYRANO. 

Je  vous  ordonne  de  vous  taire  ! 
Et  j'adresse  un  défi  collectif  au  parterre  ! 

—  J'inscris  les  noms!  —  Approchez-vous, jeunes  héros  1 
Chacun  son  tour  !  Je  vais  donner  des  numéros  !  — 
Allons,  quel  est  celui  qui  veut  ouvrir  la  liste? 

Vous, Monsieur? Non!  Vous?  Non!  Le  premier  duelliste, 
Je  l'expédie  avec  les  honneurs  qu'on  lui  doit  ! 

—  Que  tous  ceux  qui  veulent  mourir  lèvent  le  doigt. 

(Silence.) 

La  pudeur  vous  défend  de  voir  ma  lame  nue? 

Pas  un  nom? —  Pas  un  doigt?  — ^  C'est  bien.  Je  continue. 

(Se  retournant  vers  la  scène  où  MontQeury  attend  avec  angoisse,) 

Donc,  je  désire  voir  le  théâtre  guéri 
De  cette  fluxion.  Sinon... 

(La  main  à  son  épée.) 

le  bistouri  ! 

MONTFLEURY. 

Je... 

CYRANO,  descend  de  sa  chaise,  s'assied  au  milieu  du  rond  qui  s'e>t  formé, 
s'installe  comme  chez  lui. 

Mes  mains  vont  frappr^>r  trois  claques,  pleine  lune  ! 
Vous  vous  éclipserez  a  la  troisième. 

LE    PARTERRE,    amusé. 

Ah?... 


PltEMlFIl      ACTE.  5- 

CYliANO,    fra|>|uinl  tlant  sm  maint 

MONTFI.KLhY. 


Lnc! 


Je... 

l  M      \ol\,    lica  loges. 

Restez  ! 

LK  i'Aim:miE. 

Restera...  restera  pas... 

MONTFI.EIRY. 

Je  crois, 

Mtv^sioiirs. .. 

CYUANO. 

Deux! 

MONTlLKlia. 

Je  suis  sur  qu'il  vaudrait  mieux  que. 

CYUANO 


Trois  I 


f  Mi.nllleiiry  disparaît  comme  ilans  une  lrap|>e.  Temj)^tc   de  rires,  de 
silUels  et  de  huées.) 

LA     SAI.U:. 

IIu!...   Ini!...   Lâche!...   Iî-a!.,,.'  .. 

CYUANO,    oiwnoui,  se  rer»vei.-e  bui    ^a  cliui^e,  et  croiî*  se»  jamln'» 

Ou*il  revienne,  s  il  i  ose  ! 

UN     BOIUGEOIS. 

L'orateur  de  la  troupe  1 

(Ikllerose  s'avance  et  salue. 
LES    LOf'.ES. 

.Mi!...  Voilà  Rellcrose! 

nEI.LrU<>>^r.      i^'-^-   .I.-ianre. 

Nobles  seigneurs...  t 


Tas  de  veaux  1 


a8  CYRANO     DE     BERGERAC 

I.E    PARTERRE. 

Non!  Non!  Jodelet! 

jODELEr,     s'avance,   et,  nasillard. 
LE     PARTERRE. 

Ml!  Ail!  Bravo!  1res  bien  1  bravo  I 

JODELET. 

Pas  de  bravos  ! 
l.c  pros  tragédien  dont  vous  aimez  le  ventre 
Sest  senti... 

LE    PARTERRE. 

C'est  un  lâche  ! 

JODELET. 

11  dut  sortir! 

LE    PARTERRE. 

Qu'il  rentre 

LES    U?sS. 
LES    AUTRES. 


Non 


Si 


UN    JELNE    HOMME,    à  Cyrano. 

Mais  à  la  fin,  monsieur,  quelle  raison 
Avez-vous  de  haïr  Montflcury  ? 

CYRANO,    gracieux,   toujours  assis. 

Jeune  oison, 
J'ai  deux  raisons,  dont  chaque  est  suffisante  seule. 
Primo  :  c'est  un  acteur  déplorable  qui  gueule, 
Et  qui  soulève  avec  des  han  !  de  porteur  d'eau, 
Le  vers  qu'il  faut  laisser  s'envoler!  —  Secundo  : 
Est  mon  secret... 

LE    VIEUX    BOURGEOIS,    derrière  lui. 

Mais  vous  nous  privez  sans  scrupule 
De  la  Clorise !  Je  m'entetc... 


PREMIER     ACTE. 
CTHANO,    tournant  sa  cbaiso  vort  lo  bourgeoU.  re«pectu 

Vieille  mule, 
Les  vers  du  vieux  Baro  vnlanl  moins  que  zéro. 
J'interromps  sans  remords! 

LES    rUKClEtSES,    danr  let  logM. 

Mal  —  Ho!  —  Notre  Baro! 

Ma  c\\riv\  —  Tcul  on  .lire?...  Ah!  Dieu!... 

CYUA.NO,     tuuriiaiil  »a  v:hai»e  vers  les  loges,  galant 

Belles  personnes, 
Rayonnez,   lleinissez,   soycv.  des  échansonncs 
De  rôve,  d'un  sourire  enc^Iiantez  un  trépas. 
Inspirez-nous  des  vers...   mais  ne  les  jugez  pas! 

BELLEIIOSE. 

Et  l'argent  qu'il  va  falloir  rendre! 

GYHANO,     tournant  sa  chaise  vers  la  scène. 

liellerose, 
Vous  avez  dit  la  seule  intelligente  chose! 
Au  manteau  de  Thespis  je  ne  fais  pas  de  trous  : 

(M  se  lève,  et  lanvanl  un  sac  sur  la  scène.) 

Attrapez  celle  honi^e  au  noI,  et  taisez  nous! 

LA    SALLE,    chlouie. 

Ali!...  Olil... 

JODELET,    ramassant  prestement  la  Ixiursc  et  la  soupesant 

A  ce  prix-lcT,  monsieur,  je  t'autorise 
A    venir  chaoue  jour  empêcher  la  Clor^r' 

LA     SALLE. 

Un!...   Un!... 

JODELET. 

Dussions  nous  même  ensemble  être  hués!.., 

BELLEIIOSE. 

Il  faut  évacuer  la  salle!... 


3o  CYRANO      DE      BEUGEIIAC. 

JODELET. 

Evacuez  ! . . . 

(On  commence  à  sortir,  pcnflant  rpie  Cyrano  regarde  d'un  air  salisfait. 
Mais  la  foule  s'arrête  bientôt  en  entendant  la  scène  suivante,  et  la  sortie 
cesic.  Les  femmes  qui,  dans  les  lotres,  étaient  déjà  debout,  leur  manteau 
remis,  s'arrêtent  pour  écouter,  et  Unissent  par  se  rasseoir.) 

LE    lUŒl',     à  Cyrano. 

C'est  fou  1 . . . 

UN    FACHEUX,     qui  s'est  approché  de  Cyrano. 

Le  comédien  Montfleury  !  quel  scandale  ! 
Mais  il  est  protégé  ])ar  le  duc  de  Caudale  ! 
Avez- vous  un  patron? 

CIRANO. 

Non! 

LE    FACHEUX. 

Vous  n'avez  pas?... 

CYRANO. 

Non! 

LE    FACHEUX. 

Quoi,  pas  un  grand  seigneur  pour  couvrir  de  son  nom?... 

CYRANO,    agacé. 

Non,  ai-je  dit  deux  fois.  Faut-il  donc  que  je  trisse? 
Non,  pas  de  protecteur;.. 

(La  main  à  son  épée.) 

Mais  une  pro lectrice  ! 

LE    FACHEUX. 

Mais  vous  allez  quitter  la  ville? 

CYRANO . 

C'est  selon. 


I>E    FACHEUX. 

Mais  le  duc  de  Caudale  a  le  bras  longl 


PHBMIER      ACTB.  Si 

CYRA'IO. 

Muius  long 
Que  n'est  le  mion.. 

(Montrant  son  c'p^.' 

quand  je  lui  luels  celle  rallonge! 

LE    FACHEIX. 

Mais  vous  ne  songe/  pas  'n  pivlondre... 

CMIAM». 

J'y  songe. 

LE    FACHEIX. 

Mais... 

c:mia>(». 

Tournez  les  tal(Mîs,  niainlenant. 

LE    1  ACHEL'X. 

Mais... 

CYIlA^îO. 

Tournez  ! 
—  Ou  dites-moi  pourquoi  vous  regardez  mon  nez. 

LE    IV'  m  I   \,     aburi. 

Je... 

CYH.\>0,    luarcbant  sur  lui. 

Qu'a-t-il  d*6tonnanl.'^ 

LE     1   \«  ifFïX,     ro<Mil.int 

Votre  Grâce  se  trompe... 
Est-il  mol  et  ballant,  monsieur,  comme  une  trompe?... 

LE    F.iCHElX,    même  jeu. 

Je  n'ai  pas... 

CYRA!tO. 

Ou  crochu  comme  un  bec  de  hibou? 


'.Q  CYRANO      DE      BERGERAC. 

LE    FACHEUX. 

Je... 

CYRANO. 

Y  dislingue-t-Oîi  une  verrue  au  bout? 

LE    FACHEUX. 

Mais... 

GTRA>0. 

Ou  si  quelque  mouche,  à  pas  lents,  s'y  promène? 
Qu*a-t-il  d'hétéroclite? 

LE    FACHEUX. 

Oh!... 

CYRAiSO. 

Est  ce  un  phénomène? 

LE    FACHEUX. 

Mais  d'y  porter  les  yeux  j'avais  su  me  garder  1 

CYRANO. 

4:1  pourquoi,  s'il  vous  plaît,  ne  pas  le  regarder? 

LE  FACHEUX. 

J'avais... 

CYRANO. 

Il  vous  dégoûte  alors? 

LE    FACHEUX. 

Monsieur. . . 

CYRANO. 

Malsaine 
Vous  semble  sa  couleur? 

LE  FACHEUX. 

Monsieur! 

CYRANO. 

Sa  forme,  obscène? 


PB  i:  M  II.  h      ACTE.  33 

Mais  du  tout!... 

CYIIAX). 

Pourquoi  donc  prendre  un  air  dénigrant? 

—  Peut  être  que  monsieur  le  trouve  un  peu  trop  grand? 

LE    FACHEl'X,     balhutunt 

Je  le  trouve  petit,  lout  petit,  minuscule I 

CYRANO. 

Hein?  comment?  nï'accuser  d'un  pareil  ridicule? 
Pelit,  mon  nez?  llolù  ! 

Li:    FACHEUX. 

Ciel  ! 

CVUANO. 

l'inormo,  mon  nez! 

—  Vil  camus,  sol  camnnl.   tcle  |)lale,  aj)|)renez 
Que  je  m'enorgueillis  cruii   |>areil  appendice. 
Allendii  fpi'un  irrnnd  nez  est  proprement  l'indice 
l)'un  homme  allahlc,   bon,   courtois,  spirituel. 
Libéral,  couraufeux,   tel  que  je  suis,  et  tel 

(}\\"\\  vous  est  interdit  à  jamais  de  vous  cioire, 
l>t'[)lora])le  maraud!    car  la  face  sans  ^doire 
(Jiie  va  chercher  ma   main  en  haut  de  votîf'  m], 
Im  aussi  dénuée...  '  t 

(U  le  sonffleUe  ) 
LE    FACHEUX. 

Ai! 

De  fierté,  d'envol, 
De  lyrisme,  de   piltores(pie,  d'étincelle, 
De  somptuosité,  de  Nez  enfin,  que  celle... 

1^11  le  retourne  par  les  épaules.  j<»i^'n.-ml  le  geste  à  la  parole.) 

Que  va  chercher  ma  botte  an  bas  de  votre  dos! 


34  CY^.A^o    de    Bergerac. 

m:     I   \'  lii.l  \,    se  sauvant. 

Au  secours  !  A  la  garde  ! 

CYRANO 

Avis  donc  aux  badauds 
Qui  trouveraioni  ])laisnn(   mon  milieu  de  visage, 
Et  si  le  plaisanlin  çst  noble,  mon  usage 
Est  de  lui  mettre,  avant  de  le  laisser  s'enfuir, 
Par  devant,  et  plus  haut,  du  fer,  et  non  du  cuir! 

DE    CLICHE,    qui  est  descendu  de  la  scène,  avec  les  marquis. 

Mais  à  la  fin  il  nous  ennuie! 

LE    VICOMTE    DE    VALVERT,     haussant  les  épaules 

Il  fanfaronne  ! 

DE    GllCUE. 

Personne  ne  va  donc  lui  répondre? 

LE    VICOMTE. 

Personne?,.. 
Attendez!  Je  vais  lui  lancer  un  de  ces  traite!... 

(H  s'avance  vers  Cyrano  qui  l'observe,  et  se  campant  devant  lui  d'un  air  fat.) 

Vous...  vou«  avez  un  nez...  heu...  un  nez...  très  grand. 

CYliANO,    gravement. 

Très. 

LE    VICOMTE,    riant. 

Ha! 

CTRANO,    imper  luiLable. 

C'est  tout?... 

LE    VICOMTE. 

Mais... 

CTUA>0.  L 

Ail  !  non  !  c'est  un  peu  court,  jeune  hommcl 
On  pouvait  dire...  Oli  !  Dieu!...  bien  des  cboses  en  somme... 


PRBMIEH      ACTE.  35 

En  variant  le  ton,  —  j»m    «xi  mumi-,   kihv   . 

Af^^rcssii  :   «  Moi,  mofisioiir,   si  j'avais  un  tel  ne/.. 

I!  faudrait  sur-Ic  chain|)  (|ue  je  me  raiiipiitab^c!  »i 

Amical  :   «   Mais  il  iloit  tremper  dans  volrc  tasse! 

Ponr  boire,  failes-vous  rnl)ri([ner  un  lianap!   o 

Dcscri|)lif  :  u  Cl'est  un  rocl...  c'est  un  pic!...  c'est  un  capi 

Que  dis-je,  c'est  un  cap?...   C'est  une  |>éninsule!   » 

Curieux  :  u  De  quoi  sert  cette  ohlongue  capsule? 

D'écritoire,  monsieur,  ou  de  boîte  à  ciseaux?  » 

Gracieux  :  «  Aimez  vous  à  Ce  point  les  oiseaux 

Que  paternellement  vous  vous  préoccupi\les 

De  tendre  ce  jKîrchoir  à  leurs  [)ctites  pattes?  » 

Truculent  :   «  Çà,  monsieur,    lorscpie  vous  pétunez, 

La  va[)eur  du  tabac  vous   sort-elle  du  nez 

Sans  (ju'un  voisin  ne  crie   au  feu  de  cbeminc^e?  »> 

Prévenant  :   a  (tardez- vous,    votre  tête  entraînée 

Par  ce  poids,  de  Ic^mber  en   avant  sur  le  sol  !   » 

Tendre  :  u  Faites-lui  faire   un  |»etil  parasol 

De  peur  que  sa  couleur  au   soleil  ne  se  fane!  » 

lYvlant  :  u  L'animal  seul,    monsieur,  qu'Arislopbane 

Appelle  IIippocamf)elepban  locamélos 

Dut  avoir  sous  le  front  tant    de  cbair  sur  lant  d'os!   » 

Cavalier  :   u  Quoi,  l'ami,   ce    croc  est  à  la  mode? 

Pour  pendre  son  ciiapcau,  c'est  vraiment  très  commode  !  » 

Emphaticpie  :  <(  Aucun  vent   ne  j)cut,  nez  magistral, 

T'eiirhinner  tout  entier,    excepté  le  mistral!   » 

Dramati(|uc  :   a  C'est  la    Mer  Uou|^'e  cpiand  il  saigne  !  » 

Admiratif  :  «  Pour  un   parfumeur,   quelle  enseigne!  » 

Lyrique  :  a  Est-ce  une   conque,   êles-vous  un  triton?  » 

Naïf  :  ((  Ce  monumc^nt,    quand  le  visite  ton?  » 

Respectueux  :   ((  Soulfrez,    monsieur,   qu'on  vous  salue. 

C'est  là  ce  qui  s'appelle  avoir  pignon  sur  lue  !  » 

Campagnard  :  u  lié,  ardé!    C'est  y  un  nez?  Nanain  ! 

C'e^t  queuqu'navet  «.réaiit  ou   ben  queuqu'melon  nain!  » 

Militaire  :  «   Pointez  contre  cavalerie  !   » 

Pratique  :  «  Voulez- vous  le  mettre  en  loterie? 

Assurément,  monsieur,  ce  sera  le  gros  lot  !   » 

Enfin,  parodiant  Pyrame  en  un  sanglot  : 


36  CYUANO      DE      BERGERAC. 

((  Le  voilà  donc  ce  nez  (jiii  des  traits  de  son  maître 

A  détruit  l'harmonie  1   II  en  rougit,  le  traître!   )) 

—  Voilà  ce  r|irà  peu  près,  mon  cher,  vous  m'auriez  dit 

îSi  vous  aviez  un  peu  de  lettres  et  d'esprit  : 

Mais  d'esprit,  ô  le  plus  lamentable  des  êtres, 

Vous  n'en  eûtes  jamais  un  atome,  et  de  lettres 

Vous  n'avez  que  les  trois  qui  forment  le  mot  :  sot! 

Eussiez-vous  eu,  d'ailleurs,  l'invention  qu'il  faut 

Pour  pouvoir  là,  devant  ces  nobles  galeries, 

Me  servir  toutes  ces  folles  plaisanteries, 

Que  vous  n'en  eussiez  pas  articulé  le  quart 

De  la  moitié  du  commencement  d'une,  car 

Je  me  les  sers  moi-même,  avec  assez  de  verve, 

Mais  je  ne  permets  ])as  qu'un  autre  me  les  serve. 

DE    GUICHE,    voulant  emmener  le  vicomte  pétrifié 

Vicomte,  laissez  donc  ! 

LE    VICOMTE,    suffoqué 

Ces  grands  airs  arrogants! 
Un  hobereau  qui...  qui...  n'a  même  pas  de  gants! 
Et  qui  sort  sans  rubans,  sans  bouffettes,  sans  ganses! 

CYRANO. 

Moi,  c'est  moralement  que  j'ai  mes  élégances. 

Je  ne  m'attife  pas  ainsi  qu'un  freluquet, 

Mais  je  suis  plus  soigné  si  je  suis  moins  coquet; 

Je  ne  sortirais  pas  avec,   par  négligence, 

Un  affront  pas  très  bien  lavé,  la  conscience 

Jaune  encor  de  sommeil  dans  le  coin  de  son  œil, 

Un  honneur  chiffonné,   des  scrupules  en  deuil. 

Mais  je  marche  sans  rien  sur  moi  qui  ne  reluise, 

Empanaché  d'indépendance  et  de  franchise; 

Ce  n'est  pas  une  taille  avantageuse,  c'est 

Mon  âme  que  je  cambre  ainsi  qu'en  un  corset, 

Et  tout  couvert  d'ex[)loils  qu'en  rubans  je  m'attache, 

llelroussaut  mon  esprit  ainsi  qu'une  moustache, 

Je  fais,  en  traversant  les  groupes  et  les  ronds, 

Sonner  les  vérités  comme  des  éperons. 


PKKMU:  Il       ACTE.  07 

LE     VK^OMIE. 

Mais,  n)onsiciir... 

CYRANO. 

Je  n'ai  pas  de  gants?...  la  belle  allairc! 
Il  nirii  rcsUiit  un  seul...  (îiine  très  vieille  paire  I 

—  Lequel  m'était  d'ailleurs  encor  fort  inj[)orlun  : 
Je  l'ai  laissé  dans  la  figure  de  quehpi'un. 

m:   vicomte. 
Maraud,   l^ujuin,  hulor  de  [)ied  plat  ridicule! 

CVUVNO,    ôlant  Hon  cha{>oau  et  saliinnl  coiiuiie  si  lu  vicomte 
venait  Je  se  présenter. 

Ail?...  Kt  moi,  Cyrano  Saviniori Hercule 
De  Hergerac. 

(Rires.) 

LE    VICOMTE,    exasjxré. 

Boullon: 

CYRANO,    jxiussant  un  cri  comme  lorsiju'on  est  saisi  d'une  crampe. 

Av:... 

L6    VICOMTE,    qui  rcnionlnit,  se  rclournant. 

Qu'est  ce  cncor  qu'il  dit? 

CY*RA>'0,    avec  clos  grimaces  de  douleur. 

Il  r;uil  la  remuer  car  elle  .s'engourdit... 

—  (le  (pic  c'est  que  de  la  laisser  inoccupée!   — 
A)I... 

LE    VICOMTE. 

Qu'avez  vous.^ 

CYRANO. 

J'ai  des  fourmis  dans  mon  épéel 

LE    VlCOMrE,     liranl  la  sienne. 

Soit! 

CYRANO. 

Je  vais  vous  djuner  un  petit  coup  charmant. 

k 


38  CYRA>0      PK      BEHGERAC. 

LE    AiCOMTE,     inôpiisanl. 

Poète  I... 

CT1\A>0. 

Oui,  monsieur,  poète!  et  lellement, 
Qu'en  ferraillant  je  vais  —  hop!  —  à  l'iuiprovisade, 
Vous  composer  une  ballade. 

LE    VICOMTE. 

Lue  ballade? 

CYRANO. 

Vous  ne  vous  douiez  pas  de  ce  que  c'est,  je  crois? 

LE    VICOMTE. 

Mais... 

CYRAN^O,    rccilant  comme  une  leçon, 

La  ballade,  donc,  se  compose  de  trois 
Couplets  de  huit  vers... 

LE    VICOMTE,     piétinant. 

Oh! 

CYRA?fO,    continuant. 

Et  d'un  envoi  de  quatre... 

LE    VICOMTE. 

Vous... 

CYRANO. 

Je  vais  tout  ensemble  en  faire  une  et  me  battre. 
Et  vous  toucher,  monsieur,  au  dernier  vers. 

LE    VICOMTE. 

Non! 

CYRANO. 

Non? 

(Déclamant.) 

((  Ballade  du  duel  qucn  lliôtel  bourguignon 
Monsieur  de  Bergerac  eut  avec  un  hélitrel  » 

LE    VICOMTE. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ça,  s'il  vous  plaît? 

CYRANO. 

C'est  le  titre. 


fcî> 

PhRMIKIl      ACTE.  39 

LA    SALI.E,    tnretcit^  au  plu»  haut  potni. 

Place!  — 7.'rèsainusaiil  !  —  Uangez-vous!  —  Pas  de  bniits! 

(Taûit^au.   Cercla   do   curieux   au    p«rtorrr,    le«    marqui*   ei    laa  ofB- 

Oteri  int'lêi  aux   Ijourj/ooi»  et  aux   jz^tf*  «lu  |>euple'.  Ir npéa 

sur  <lc«  ô|)aiiloH  [xuir  iniout   voir     routon    \c%    (cmnv  Im 

logeai.   A  iJruitc.    De  <fui«he  al  ^%  t^cnhUliommo»    A  j^im.  nr.  1  r  lirel, 
liaguenoau»  (luigv,  etc.) 

CYIWNO,     feniiant  une  *econtle  le*  ^eux 

Allendez!...  je  choisis  mes  rimes...  IJi,  j'y  suis. 

(Il  fait  ce  qu'il  dit,  à  inc»ure  ) 

Je  jette  avec  f/race  mon  feutre. 

Je  fais  lentement  rtihanflnn 

Du  (jnind  niunleua  (jui  mr  r'iJf,  titr,\       C  ^WW\^ 

Et  je  tire  mon  espadon  :  . 

Êlèijant  comme  Cela-Ion,  ^^  \iCr5>L  hr\€^ 

A'/ile  rontme  Scarannturhe, 

Je  rous  prériens,  cher  Myrmidon, 

Qu'à  la  fui  (le  V envoi  je  touche!  \ 

(Premiers  engngeinents  «le  fer.) 

]ous  (Uirie:  bien  «lit  l'cstcr  neutre; 
Oii  vais- je  vous  larder,  dindon?... 
Dans  le  /lanc,  sous  votre  maheutre?... 
Au  ceur,  sous  votre  hleu  cordon?... 

—  Les  co^/uil/es  tintent,  dinf/don  ! 
Ma  pointe  voltit/e  :  une  mouche! 
Décidément...  cVs7  au  hedon, 
QuW  la  fin  de  l'envoi,  je  touche. 

Il  inc  manque  une  rime  en  entre... 
Vous  rompez,  plus  l)lanc  qu  amidon? 
C'est  pour  me  fournir  le  mot  pleutre! 

—  Tac!  je  pare  la  pointe  dont 
Vous  espériez  me  faire  dim^  — 

J'ouvre  la  lijjne,  — je  la  bouche... 
Tiens  bien  ta  broche,  Laridon! 
A  la  fin  de  F  envoi,  je  touche. 

(ii  annonce  solennellcinenl  :) 


4o  CYRANO      DE      BERGERAC. 

ENVOI. 

layi»o^  Prince,  demande  à  Dieu  pardon! 

>tWcv5^  Je^quarte  du  pied,  j'escaiinoiiche, 

(x^^  iV"^""  j(^  coupe  y  je  feinte... 

(Se  fendant.) 

Ilél  la,  donc! 

(Le  vicomte  chancelle;   Cyrano  salue.) 

A  la  fin  de  U  envoi  y  je  touche. 

(Acclamations.  Applaudissements  dans  les  loges.  Des  fleurs  et  des  mou- 
choirs tomhent.  Les  ofHciers  entourent  et  félicitent  Cyrano.  Ragueneau 
danse  d'enlhousiasmo.  Le  Bret  est  heureux  et  navré  Les  amis  du  vi- 
comte le  soutiennent  et  remmènent.) 

LA    FOULE,     en  un  long  cri. 

Ahl... 

UN    GIIEVAU-LÉGER. 


Superbe 


U>E    FEMME. 

Joli! 

RAGUENEAU. 

Pbaïamineux 

UN    MARQUIS. 
LE    BRET. 


Nouveau!... 


Insensé! 


(Bousculade  autour  de  Cyrano.  On  entend.) 

...  Compliments...  félicite...  bravo... 

VOIX    DE    FEMME. 

C'est  un  béros! ... 

UN    Mr)USQUETAIRE,     s'avançant  vivement  vers  Cyrano,    la  main  tendue. 

Monsieur,  voulez-vous  me  permettre.^... 
C*P5t  tout  à  fait  très  bien,  et  je  crois  m'y  connaître; 
Jai  du  reste  exprimé  ma  joie  en  trépignant!... 

(Il  s'éloigne.) 
CYRANO,    à  Cuigy. 

Comment  s'appelle  donc  ce  monsieur? 

CUIGY. 

D'Artagnan. 


IMIKMI  i:il       A(    I  K. 
LE    HKET,    û  Cyrano,  lui  |>roiianl  le  hra« 

Çà,  causons!... 

C^KAMO. 

Laisse  un  peu  sortir  celle  coliue, 

(A    Bolloro^o  ) 

Je  peux  rester? 

BELLEBOSr ,    rc^i>ecliieuMment 

Mais  oui  !... 


1  11  •  I II I 


JOnEIJ.r,    qui  a  ro-nnlr 

C'est  Monincui  \   .ju    -n  iiiic  ; 

BELLEROSE,    solcnnulIcMiicot. 

Sic  transit!.,. 

(Changeant  de   ton.  nii   i»urlier  et  au  ninuclieur  de  chaodellm^ 

Balayez.   Fermez.  N'éteignez  pas. 
Nous  allons  revenir  après  notre  ro[)as. 
Répéter  pour  demain  une  nouvelle  farce. 

(Jodelet  et  Bellerose  sortent,  après   de  t;rands  salut^  à  Cyrano  ) 
LE    POUTIEU,    à  Cvrano. 

Vous  ne  dînez  donc  pas? 

CYRANO. 

Moi?...  Non. 

(  le  portier  >«  retire.) 
LE    BUET.    à  Cyrano 

Parce  que? 

CYRANO,    fièrement. 

Parce... 

(Changeant  de  ton  en   voyant  que  le  portier  est  loin.) 

Que  je  n'ai  pas  d'argent'.... 

LE    BRET,    faisant  le  j^'este  de  lanrcr  un  sac. 

Comment  1  le  sac  d'écus.^... 

4 


•    !\2  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRANO. 

Pension  paternelle,  en  un  jour,  tu  vécus! 

LE    RRET. 

.    Pour  vivre  tout  un  mois,  alors?... 

CYRA>'0. 

Rien  ne  me  reste. 

LE    BRET. 

Jeter  ce  sac,  quelle  sottise  ! 

CYRANO. 

Mais  quel  geste  !... 

LA    DISTRIBUTRICE,    toussant  derrière  son    petit  comi)toir. 

Hum!  .. 

(Cyrano  et  Le- Bret  se  retournent.  Elle  s'avance  inlimidée.) 

Monsieur...  Vous  savoir  jeûner...  le  cœur  me  fend,., 

(Montrant  le  buffet.) 

J'ai  là  tout  ce  qu'il  faut... 

(Avec  élan.) 

Prenez  I 

CYRANO,    se  découvrant. 

Ma  chère  enfant, 
Encor  que  mon  orgueil  de  Gascon  m'interdise 
D'accepter  de  vos  doigts  la   moindre  friandise, 
J'ai  trop  peur  qu'un  refus  ne  vous  soit  un  chagrin, 
Et  j'accepterai  donc... 

(Il  va  au  buffet  et  choisit.) 

Oh  !  peu  de  chose  !  —  un  grain 
De  ce  raisin... 

(Elle  veut  lui  donner  la  i^rappe,  il  cueille  un  grain.) 

Un  seul!...  ce  verre  d'eau... 

(Elle  veut  y  verser  du  vin,  il  l'arrête.) 

limpide! 
—  Et  la  moitié  d'un  macaron  ! 

(Il  rend  l'autre  moitié.) 
LE    BRET. 

Mais  c'est  stupide! 

LA  DISTRIBUTRICE. 

Oh  !  quelque  chose  encor  ! 


l'HTN!  F  r  It        S  CTB.  4» 

CtHA:if>. 

Oui.   La  main  à  Luser. 

(Il  haise,  comme  lu  main  tl'uiio  prinie^^^,  U  main  (lu'ello  lui  Uod.) 
LA     DISnimiTIlICE. 

Merci,  Monsieur. 

(Ilétéroiice  ) 

Bonsoir. 

(EUe  sort.) 


SCÈNE    V 

CYRANO.   Li:  r>KKT.  puisiK  Portier. 


CYRANO,    à  lo  Hrcl. 

Je  l'écoute  causer 

(Il  s'installe  devant  !e  hulTil  et  rant;eanl  devant  lui  le  tnacaron.) 

Dîner!... 

(...  le  verre  d'eau.) 

Boisson  ! . . . 

( ...   le  grain  de  raisin  ) 

Dessert  ! . . . 

(11  sasMcd.) 

Là,  je  me  mets  à  table 

—  Ah!...  j'avais  une  faim,  mon  cher,  épouvantable! 

(Mangeant.) 

—  Tu  disais? 

LE    lîUET. 

Que  ces  fats  aux  grands  airs  beUiquoni 
Te  fausseront  l'esprit  si  lu  n'écoules  qu'eux!.. 
Va  consulter  des  gens  de  bon  sons,  cl  t'informe 
De  rcITet  qu'a  produit  ton  algarade. 

CYH.VNO,    achevant  ?nn  macaron. 

Lnorme. 

LE    BKET. 

Le  Cardinal. 


44  CYRANO      DE      BEHGEUAG. 

GYHANO,    s'épanouisj^ant. 

Il  était  là,  le  Cardinal  ? 

LE    BUET. 

A  dû  trouver  cela... 

CYRANO. 

Mais  très  original. 

LE    BUET. 

Pourtant... 

CYRANO. 

C'est  un  auteur.  Il  ne  peut  lui  déplaire 
Que  l'on  vienne  troubler  la  pièce  d'un  confrère. 

LE    BRET. 

Tu  te  mets  sur  les  bras,  vraiment,  trop  d'ennemis! 

CYRANO,    attaquant  son  grain  de  raisin. 

Combien  puis-je,  à  peu  près,  ce  soir,  m'en  être  mis? 

LE   BRET. 

Quarante-huit. Sans  compter  les  femmes. 

CYRANO. 

Voyons,  compte  ! 

LE    BRET. 

Monlfleury,  le  bourgeois,  de  Guiche,  le  vicomte, 
Baro,  l'Académie... 

CYRANO. 

Assez  !  tu  me  ravis  ! 

LE    BRET. 

Mais  où  te  mènera  la  façon  dont  tu  vis? 
Quel  système  est  le  tien  ? 

CYRANO. 

J'errais  dans  un  méandre; 
J'avais  trop  de  partis,    trop  compliqués,  à  prendre; 
J'ai  pris... 

LE    BRET. 

Lequel  ? 

CYHANO. 

Mais  le  plus  simple,  de  beaucoup. 
J'ai  décidé  d'être  admirable,  en  tout,  pour  tout! 


p  H  E  M I  F.  u     A  n  T  f:  .  45 

Soil!  —  Mais  oiidii,  à  moi,  le  iiiolif  de  ta  linino 
Pour  Mortllcury,  le  vrai,  dis-le  moi! 

CYIIANO,     M  le  vaut 

Ce  Silrnc». 
Si  ventru  que  son  doi-^t  n'alleini  pas  son  nomhril. 
Pour  les  femmes  encor  se  croit  un  doux  péril. 
Et  leur  fait,  cependant  (|u'en  jouant  il  hredonille. 
Des  veux  de  carpe  avec  ses  gros  yeux  de  grenouille!.   . 
Et  je  le  hais  depuis  cpi'il  se  permit,  un  soir. 
De  poser  son  re«^'ard  sur  celle...  Oh!  j'ai  cru  voir 
Glisser  sur  une  lleur  une  lonjjrue  limace  ! 

LE    lUUVr.     sluiH-fait. 

Hein?  Comment?  Serait-il  possihie?... 

(,YHVN(».     .1'..    ini  riro  anicr. 

Que  j'aimasse?... 

'Changeant  île  Ion  et  ^ra>eiiiciit. 

J'aime, 

LE    hïW.T. 

Et  peut-on  savoir?  tu  ne  m'as  jamais  dit?... 

CYRANO. 

Qui  j'aime?...   Réflrchis.  voyons.   Il  m'interdit 

Le  rêve  d'être  aimé  nîônie  par  une  laide. 

Ce  nez  qui  d'un  quart  d'heure  en  tous  lieux  me  précède; 

Alors,  moi,  j'aime  qui?...  Mais  cela  va  de  soi! 

J'aime  —  mais  c'est  forcé!  —  la  plus  belle  qui  soit! 

LE   nuET. 
La  plus  belle?... 

CYIi  VNO. 

Tout  sini[)lement.  qui  soit  au  monde! 
La  plus  brillante,   la  [)Uis  Une, 

(  \\ec  accablement.) 

la  plus  blonde  ! 
i.i:   luu.T. 
Eh!  mon  Dieu,  (piellc  est  donc  cette  femme?... 

CVI\  VNO. 

Un  danger 

Mortel  sans  le  vouloir,  o\(|uis  sans  y  songer. 


46  CYRANO      DE      BERGERAC. 

Un  picge  de  nature,  une  rose  muscade 

Dans  laquelle  l'amour  ?c  tient  en  endDuscade! 

Qui  connaît  son  sourire  a  connu  le  parfait. 

Elle  fait  de  la  cfrace  avec  rien,  elle  fait 

Tenir  tout  le  divin  dans  un  geste  quelconque, 

Et  tu  ne  saurais  pas,  Vénus,  monter  en  conque, 

Ni  toi,  Diane,  marcher  dans  les  grands  bois  fleuris, 

Comme  elle  monte  en  chaise  et  marche  dans  Paris!... 

LE    BRET. 

Sapristi!  je  comprends.  C'est  clair! 

CTRANO. 

C'est  diaphane. 

LE    RRET. 

Magdeleine  Robin,  ta  cousine? 

CYRANO. 

Oui,  —  Roxane. 

LE    BRKT. 

Eh  bien!  mais  c'est  au  mieux!  Tu  l'aimes?  Dis-le-lui 
Tu  t'es  couvert  de  gloire  à  ses  yeux  aujourd'hui  ! 

CYRANO. 

Regarde-moi,  mon  cher,  et  dis  quelle  espérance 
Pourrait  bien  me  laisser  cette  protubérance! 
Oh!  je  ne  me  fais  pas  d'illusion!  —  Parbleu, 
Oui,  quelquefois,  je  m'attendris,  dans  le  soir  bleu; 
J'entre  en  quelque  jardin  où  l'heure  se  parfume  ; 
Avec  mon  pauvre  grand  diable  de  nez  je  hume 
L'avril,  —  je  suis  des  yeux,  sous  un  rayon  d'argent, 
Au  bras  d'un  cavalier,  quelque  femme,  en  songeant 
Que  pour  marcher,  à  petits  pas,  dans  de  la  lune, 
Aussi  moi  j'aimerais  au  bras  en  avoir  une, 
\  Je  m'exalte,  j'oublie...  et  j'aperçois  soudain 
,  L'ombre  de  mon  profil  sur  le  mur  du  jardin! 

LE    lUlET,    ému. 

Mon  ami  !... 

CYRANO. 

Mon  ami,  j'ai  de  mauvaises  heures! 
De  me  sentir  si  laid.  ])nrfois,   tout  seul... 


PIlLMlEll      ACTE.  47 

LE    UUt:T,     vivoiiicol,  lui  prenanl  U  iiuiiQ. 

Tu  pleures  P 

Ail!  non,  cola,  jiuiitti.^.     ^nn,  ce  -'i..iî  m.ji  i.iiu, 
Si  le  long  de  ce  ne/  une  larme  roulait  1 
Je  ne  laisserai  pas,   tant  ipie  j'en  serai  maître. 
La  divine  l)caulé  des  larmes  se  commettre 
Avec  tant  de  laideur  f^M'ossière  ! . . .  Vois  tu  l»icn. 
Les  larmes,  ii  ncsl  rien  de  plus  sublime,  rien. 
Et  je  ne  voudrais  pas  qu'excitant  la  risce, 
Une  seule,  par  moi,   lut  ridiculisée!... 

LE    IJIVKI. 

Va,  ne  t'allrislc  pas!   L'amour  n'est  que  hasard! 

CYRANO,     secouant  la  l^l«. 

Non!  J'aime  Gléopàtre  :  ai-je  Tair  d'un  César? 
J'adore  Bérénice  :  ai  je  ras[)erl  d'un  Tile? 

LE    imET. 

Mais  Ion  couraf^^e  !   ton  esprit  I  —  Cette  petite 

Qui  t'oilVait  là,  tantôt,   ce  modeste  repas. 

Ses  yeux,  tu  l'as  bien  vu,  ne  le  détestaient  pas  ! 

CYIIANO,     saisi. 

C'est  vrai  ! 

I.l.    r.m.i. 

Hé,  bien!  alors?...  Mais,   Uoxane,  eile-môme. 
Toute  blême  a  suivi  ton  duel  !... 

CYRA>0. 

Toute  blême? 

LE    IlUET. 

Son  cœur  et  son  esprit  déjà  sont  étonnés! 
Ose,  et  lui  parle,  afin... 

GYKANO. 

Qu'elle  me  rie  au  nez? 
Non!  —  C'est  la  seule  chose  au  monde  que  je  craigne! 

LE    rOKTIEU,     inlnKluisant  quelqu'un  à  Cvrano. 

Monsieur,  on  vous  demande... 

CYRANO,    vovant  la  durgnc. 

Ahl  mon  Dieu'  "^  •    lui'irne! 


48  CYRANO      DE      BEKGEUAC. 

SCf^lNE    VI 

CYRANO,  LE  BUET,  la  Duègne 

TA    DUÈGNE,    avec  un  grand  salut. 

De  son  vaillant  cousin  on  désire  savoir 
Où  l'on  peut,  en  secret,  le  voir. 

CYRANO,     bouleversé. 

Me  voir? 

LA    DUEGNE,    avec  une  révérence. 

Vous  voir. 
—  On  a  des  choses  à  vous  dire. 

CYRANO. 

Des?... 

LA    DUÈGNE,    nouvelle  révérence. 

Des  choses  1 

CYRANO,    chancelant. 

Ah  !  mon  Dieu  ! 

LA    DUÈGNE. 

L'on  ira,  demain,  aux  primes  roses 
0  D'aurore,  —ouïr  la  messe  à  Saint-Roch. 

CYRANO,    se  soutenant  sur  Le  Bret. 

Ah!  mon  Dieul 

LA    DUÈGNE. 

En  sortant,  —  ou  peut-on  entrer,  causer  un  peu  ? 

CYRANO,     affolé. 

Où  ?. . .  Je. . .  mais. . .  Ah  !  mon  Dieu  ! . . . 

LA    DUÈGNE. 

Dites  vite. 

CYRANO. 

Je  cherche 

LA    DUÈGNE. 
OÙ?... 

CYRANO. 

Chez. . .  chez. . .  Ragueneau. . .  le  pâtissier. . . 

LA    DUÈGNE. 

Il  perche? 


PREMIEU      ACTE.  Jq 

I 
CYRANO. 

Dans  la  rue  —  ali  !  mon  Dieu,  mon  Dieu  !  —  Saini-llonor* 

LA     l>ri.(;NR,     rcmooUnt- 

On  ira.  Soyez-y.  Sept  heures. 

CYIUNO. 

J'y  serai. 

(L«  duègne  sort  ) 

s'ci^np:  vm 

CYRANO,  \A\  HKKT,  puis  les  Comki  *f.x8,  i.fs  CoMKuiF.Nxr^ 
CUKiV.     lUUSSAILLK.     LKiMIilU:.     kk    IVhtikh,    us 

\  lOLONS. 

CYKANO,     tombant  dans  les  hras  ile  Le  Hrcl. 

Moi  1...  D'elle  !...  Un  rende/.-vous  !... 

LE    nUET. 

Kh  bien  !  lu  n'es  plus  îrisle? 

CYRANO. 

Ahl  pour  quoi  que  ce  soit,  elle  sait  que  j'existe l 

ï  i:   \\\\r:ï. 
Maintenant,   tu  vas  être  calme:' 

CYRANO,    hors  de  lui. 

Mainlenanl... 
Mais  je  vais  être  frrnétique  et  fulminant! 
Il  me  faut  une  armée  entière  à  déconiire  ! 
.l'ai  cli\  coMHs  ;    j'ai  vini:l  bras:   il  no  [>cut  me  suffire 
Do  pourfendre  des  nain>... 

Il  crie  l\   tm-  li'le.^, 

Il  me  faut  des  géants! 

(Depuis  un  moment,  sur  la  scène,  au  fond,  den  ondires  de  comédiens 
et  de  couuxliennes  s'aiji^ent,  tliucliotent  :  ou  roinuience  à  réj>êlcr.  Lm 
violons  ont  repris  leur  place  ) 

UNE    VOIX,    de  la  scène. 

Ile!  pst!  là  bas  !   Silence!  on  répète  céans! 

CYRANO,     riant 

Nous  partons! 

Il  remonte  .  par   la  grande  porte  du   fond  entrent  Cnitjv,  nrifts.-ûlle, 

plusieurs  olTiciers  qui  soutiennent  Li^rnièie  complètement  i\re.) 


5o  CYRANO     DE      BERGERAC. 

CUÏGY. 

Cyrano  ! 

CYRANO. 

Qu'est-ce? 

CLIGY. 

Une  énorme  grive 
Qu'on  l'apporte! 

CYRANO,     le  reconnaissant. 

Lignicrel...  Ile,  qu'est-ce  qui  t'arrive? 

CUIGY. 

Il  te  cherche! 

BRTSSAILLE. 

Il  ne  peut  rentrer  chez  lui  ! 

CYRANO. 

Pourquoi? 

LIGNIÈRE,     d'une  A^oix  pâteuse,  lui  montrant  un  billet  tout  chiffonné* 

Ce  billet  m'avertit...  cent  hommes  contre  moi... 
A  cause  de...  chanson...   grand  danger  me  menace... 
Porte  de  Nesle...  Il  faut,   pour  rentrer,  que  j'y  passe... 
Permets-moi  donc  d'aller  coucher  sous...  sous  ton  toit! 

CYRANO. 

Cent  hommes,  m'as-tu  dit?  Tu  coucheras  chez  toi! 

LIGNIÈRE,     épouvanté. 

Mais... 

CYRANO,    d'une  voix  terrihle,  lui  montrant  la  lanterne  allumée 
que  le  portier  balance  en  écoutant  curieusement  cette  scène. 

Prends  cette  lanterne!... 

(i^i^uière  saisit   précipitamment  la  lanterne.) 

Et  marche!  — Je  te  jure 
Que  c'est  moi  qui  ferai  ce  soir  ta  couverture!... 

(Aux  oHiciers.) 

Vous,  suivez  à  distance,  et  vous  serez  témoins! 

CLIGY. 

Mais  cent  hommes!... 

CYRANO. 

Ce  soir,  il  ne  m'en  faut  pas  moins  ! 

(Les  comédiens  et  les  comédiennes,  descendus  de  scène,  se  sont  rap- 
prochés dans  leurs  divers  costumes.) 


PHEMIFK      ACTE.  Si 

Mais  pourquoi  proléger... 

Voilà  Le  Ilret  qui  grogne! 

LK    nilET. 

Cet  ivrogne  banal  i'  .. 

CYRANO,     frappnnl  mit  l'ôpAiile  de    Lignine. 

Parce  (pie  cet  ivrogne. 

Ce  tonneau  de  muscat,  ce  fut  de  rossoli, 
Fit  (pichpie  chose  un  jour  de  tout  a  fait  joli  : 
Au  sortir  d'une  messe  ayant,   selon  le  rile. 
Vu  celle  qu'il  aimait  prendre  de  l'eau  Wnile, 
Lui  que  l'eau  fait  sauver,  courut  au  Inniticr. 
Se  pencha  sur  sa  conque  et  le  hut  tout  entier!... 

LNK    COMKniFNM:,     en  cosliimo  de  $oubrcUo. 

Tiens,  c'est  gentil,  celai 

CMWNO. 

N'est  ce  pas,  la  soubrette? 

L\    COMl'niKNNE,      aui  autres. 

Mais  pourquoi  sont-ils  cent  contre  un  pauvre  potte? 

CÏHANO. 

Marchons  ! 

Aux  officiers.^ 

Kt  vous,  messieurs,  en  me  voyant  charger, 
Ne  me  secondez  pas,  quel  que  soit  le  danger! 

UNE    AUTRE    COMKDIENNE,     saulanl  Je  U  scène. 

Oh!  mais,  moi,  je  vais  \oir! 

CYRANO. 

Venez!... 

UNE    Al  TRE,     sautant  aussi,  à  un  vieux  comêaien. 

Viens  tu,  Cassandre.^... 

CYRANO. 

Venez  tous,  le  Docteur,   Isabelle,  Léandre, 

Tous!  Car  vous  allez  joindre,  essaim  charmant  et  fol, 

La  farce  italienne  à  ce  drame  espagnol. 

Et,  sur  son  ronflement  tintant  un  bruit  fantasque. 

L'entourer  de  grelots  comm.^  un  tambour  de  basi|ue!.. 


52  CYRANO      DE      BERGERAC. 

TOUTES    LES    FEMMES,    sautant  de  joie, 

Biavol  —  Vite,  une  manie!  —  Un  capuchon! 

JODELET. 

Allons  ! 

CYRANO,    aux  violons- 

Vous  nous  jouerez  un  air,  messieurs  les  violons  I 

(Les  violons  se  joignent  au  cortège  qui  se  forme.  On  s'empare  des 
chandelles  allumées  de  la  rampe  et  on  se  les  di^tribue.  Cela  devient  une 
retraite  aux  nand)eaux.' 

Bravo!  des  olficiers,  des  femmes  en  coslume, 
Et,  vingt  pas  en  avant... 

(11  so  place  comme  il  dit.) 

Moi,  tout  seul,  sous  la  plume 
Que  la  gloire  elle-même  à  ce  feutre  piqua, 
Fier  comme  un  Scipion  triplement  Nasica!... 
—  C'est  compris?  Défendu  de  me  prêter  main-forte!  — 
Ou  y  est.^...  Un,  deux,  trois!  Portier,  ouvre  la  porte! 

(Le  portier  ouvre  à  deux  battants.  Un  coin  du  vieux  Paris  pittoresque 
et  lunaire  paraît.) 

Ah!...  Paris  fuit,  nocturne  et  quasi  nébuleux; 
Le  clair  de  lune  coule  aux  pentes  des  toits  bleus; 
Un  cadre  se  prépare,  exquis,   pour  celle  scène; 
Là-bas,  sous  des  vapeurs  en  écharpe,  la  Seine, 
Comme  un  mystérieux  et  magique  miroir. 
Tremble...  Et  vous  allez  voir  ce  que  vous  allez  voir! 

TOUS. 

A  la  porte  de  Nesle! 

CYRAiNO,    debout  sur  le   seuil. 

A  la  porte  de  Nesle  ! 

(Se  retournant  avant  de  sortir,   à  la  soubrette.) 

Ne  demandiez -vous  pas  poin-quoi,  mademoiselle. 
Contre  ce  seul  rimcur  cent  hommes  furent  mis? 

(Il  tire   l'épée  et,   trnnr|uillement.) 

C'est  parce  qu'on  savait  qu'il  est  de  mes  amis! 

Ml  sort.  Le  cortcge,  —  Lignière  zigzaguant  en  tête,  —  puis  les  comé- 
diennes aux  bras  des  ofliciers,  —  puis  les  comédiens  gambadant,  —  se 
mot  en  marclie  dans  la  nuit  au  son  des  violons,  et  à  la  lueur  falote  des 
chandelles.) 

RIDEAU 


deu\iï:mi:  a(  ti: 


L.\   UOTISSEKIE   DES    POÈTES 


T)i:i  \ii;>ii:  acii: 


LA    lio  I  LS81.U1I.    DKS    JHiKiLS 


La  boutiiiui'  i\r  Ua^Mionoaii,  rùtisscur-pAtUiiicr,  vante  onvroir  tu 
coin  (le  la  rur»  Sainl-llnnon''  ol  do  la  rue  do  rArbrc-Sec,  qu'on  iper- 
çoit  larfjonioiit  au  fond,  par  lo  vilrago  do  la  |»orle,  grises  dan*  les 
preniiôros  luours  i\c  l'anbo. 

A  ^Miirlio,  proinior  plan,  roinploir  snrniontr  d'un  dai*  on  fer 
forgô,  auxipicls  sont  acrn>cli('s  des  oies,  dos  canard*,  «le*  paon!i  blancs. 
Dans  de  grands  vases  do  faïence  do  liants  boiH|uct»  de  fleurs  naïves, 
principalement  des  lonmesoU  jaunes.  Du  nx^nie  cttiô,  second  plan. 
immense  clieminé»^  devant  iarpielle,  entre  «le  nionstruetix  cbenots, 
dont  chacun  supj>orte  une  petite  marmite,  les  rôtis  pleurent  dans  les 
lèchefrites. 

A  droite,  premier  plan  avec  porte.  Deuxième  plan,  un  escalier 
montant  à  une  pelitc  salle  en  soupente,  dont  on  aperçoit  rint/riotir 
par  des  Noletsouverl«i  ;  une  table  >  est  dressée,  un  menu  lustre  llamand 
v  luit  :  c'est  un  réduit  où  Ton  va  manger  et  boire.  Une  paierie  de 
bois,  faisant  suite  à  lescalier,  sendjle  me?)' »•  ■>  .TMifr-v  i.i;».v  v^Hes 
analogues. 

Au  milieu  de  la  rôtisserie,  un  cercle  t  ri  itr  tjuc  l  un  [cul  laire 
desconthe  avec  une  corde,  et  ampiel  de  grosses  pièces  sont  accrochée», 
fait  un  lustre  de  gibier. 

Les  fours,  dans  lombre,  sous  l'escalier,  rougeoient.  Des  cuivres 
étincellent.  Des  broches  tournent.  Des  pièces  montées  pyramident« 
des   jambons  pendent.   C'est  b*    coup   <le   feu    matinal.   Bo'i  "•    de 

marmiloFis  cfVarés.  d'énormes  cuisiniers  et  de  niinu'iculo  _  09, 

foisonnement  de  bonnets  à  plume  de  jwulet  ou  à  aile  de  pintade.  On 
apporte,  sur  des  plaques  de  tôl«^  et  des  clavons  d'osier,  des  ipiinconcet 
de  brioches,  des  villages  de  pelits-fours. 

Des  tables  sont  cou>ertes  de  gîileaux  et  de  plats.  D'autrcJ.  entourées 
de  chaises,  alten<lenl  les  mangeurs  et  les  buveurs,  l  ne  plus  j>ctite, 
dans  un  coin,  disparaît  sous  les  papiers.  Ragueneau  v  e>t  assis  au 
lever  du  ridenu  ;  il  <''cril. 


56  CYUArsO      DE      BEllGEUAG. 

SCÈNE   PREMIERE 

RAGUENEAU,  Pâtissiers,  puis  LISE  ;Hagucneau,  à  la  petite 
table,  écrivant  d'iui  air  inspiré,  et  coinpiant  sur  ses  doigts. 

PUEMIER    Ï\\.TISSIER,    apporlant  une  pièce  montée. 

Fruits  en  nougat  !    - 

DEUXIÈME    PATISSIEll,    apportant  un  plat. 

Flan  ! 

TR0IS1I':ME    pâtissier,    apportant  un  rôli  paré  de  plumes. 

Paon  ! 

QUATRIEME    PATISSIER,     apportant  une  plaque  de   gâteaux. 

Roinsolesl 

CINQUIÈME    PATISSIER,     apportant  une   sorte  de  terrine. 

Bœuf  en  daube  I 

RAGUENEAU,    cessant  d'écrire  et  levant  la  tête. 

Sfir  les  cuivres,  déjà,  glisse  l'argent  de  l'aube! 

Elouile  en  toi  le  dieu  qui  cbante,   Ragueneau  1 

L'iieure  du  luth  viendra,  —  c'est  Theure  du   fourneau  I 

(Il  se  lève.  —  A  un  cuisinier.) 

Vous,  veuillez  ni'allonger  cette  sauce,  elle  est  courte. 

LE   CUISINIER. 

De  combien? 

RAGUENEAU. 

De  trois  pieds. 

(Il  passe.) 
LE    CUISINIER.  V 

Hein  ! 

PREMIER    PATISSIER. 

La  tarte  ! 

DEUXIÈME    PATISSIER. 

La  tourte! 

RAGUENEAU,    devant  la  cheniinée. 

Ma  Muse,  éloigne- toi,  pour  que  tes  veux  charmants 
N'aillent  pas  se  rougir  au  feu  de  ces  sarments I 

(A  un  pâtissier,  lui  montrant  des  pains.) 

Vous  avez  mal  |>lacé  la  fente  de  ces  miches  : 
Au  milieu  la  césure,  —  entre  les  hémistiches  I 


DErxirMi:     vttk  5^ 

(A  un  anlr^.  lui    iiiuntrant  nu   {  ùtu  tuuviiovo 

A  ce  palais  ilc  croiUe,  il  faut,   vr^us.  inotlrc  un  loil... 

(A  un  jeuno  apprenti,  qui,  aMin  \tar  lerr«.  emliroche  des  voUillo*.; 

Kt  toi»  sur  celle  brorlic  interuiiuablo,  loi, 
\ai  mode  sic  |)()tilot  oi  la  dirulc  suprihr. 
Alleruc  les,  mon  lils,  connue  le  NÎeux  Malliorlnî 
Mlornail  les  ^^ands  vers  avec  les  plus  petits, 
l-il  fais  Inurner  au  feu  îles  sirophcs  de  rôtis! 

L'?f    AU  IKK    API'KMN  ri,    "t'avanvanl  avec  un  plateau  rc<x»uvprl 
il'uno  a!«*»i«tto. 

Maître,  n\  [)en<anl  à  vous,  dans  le  four  j'ai  fait  cuire 
Ceci,  (pii  vous  plaira,  je  l'espère. 

(11  découvre  le  plaloau,  on   voit  une  ^mmle  Ivre  de  |>âtiftiierie.) 
RAGlICMEAi;,    cldoui. 

Une  Ijre! 

I  '\IM»HtMI. 

En  [uUe  de  brioche. 

RAGILNKAI  ,     riini 

Avec  des  fruits  confits! 
l'apprenti. 
Et  les  cordes,  voyez,  en  sucre  je  les  fis. 

RAr.UENEAT,     lui    donnaiil  .le  l'argent 

Va  boire  à  ma  santé! 

(  Apercevant  Li^c  (pii  entre. ^ 

(Huit!  ma  femme!  Circule, 
Et  cache  cet  argent  ! 

(.\  LiM»,   lui  inoritr»»nl  la  I  \  re  d  mi  air  j^i-ne  ) 

C'est  beau? 

LISE. 

C'est  ridicule! 

(Klle  pose  sur  le  coin[)foir  une  pile  de  sac»  en  p.ipier  ) 
RACil  ENEAL. 

Des  sacs?...   Bon.  Merci. 

(Il  les  remanie., 

Ciel!   Mes  livres  vénérés! 
Les  vers  de  mes  amis!  déchirés!  démembrés! 
Pour  en  faire  des  sacs  h  mettre  des  croquantes... 
Ah!  vous  renouvelez  Or[)héc  et  les  bacchantes! 


58  CYRANO      DE      BERGERAC. 

LISE,    sèclïcnicrit. 

Et  n'ai-jc  pas  le  droit  d'utiliser  vraiment 
Ce  que  laissent  ici,  pour  unique  paiement, 
Vos  méchants  ccriveurs  de  lignes  inégales  I 

RAGUENEAU. 

Fourmi!...  n'insulte  pas  ces  divines  cigales  1 

LISE. 

Avant  de  fréquenter  ces  gcns-Ià,  mon  ami, 

Vous  ne  m'appeliez  pas  bacchante,  —  ni  fourmi  1 

RAGUENEAU 

Avec  des  vers,  faire  cela! 

LISE. 

Pas  autre  chose. 

RAGIENEAU. 

Que  faites-vous  alors,  madame,  avec  la  prose? 

SCÈNE   II 

Les  Mêmes,  deux  Enfants,   qui   viennent  d'entrer 
dans  la  pâtisserie. 

RAGUENEAU. 

Vous  désirez,  petits? 

PREMIER    ENFANT. 

Trois  pâtés. 

RAGUENEAU,     les  servant 

Là,  bien  roux... 
Et  bien  chauds. 

DEUXIÈME    ENFANT. 

S'il  VOUS  plaît,  enveloppez-les-nous? 

RAGUENEAU,     saisi,  à  part. 

Hélas  !  un  de  mes  sacs  ! 

(Aux  enfants.) 

Que  je  les  enveloppe?... 

(Il  prend   un  sac  et  au  moment  d'y 'mettre  les  pâtés,  il  lit.) 

((   Tel  Ulysses,  le  jour  quil  quitta  Pénélope  ..  » 
Pas  celui-ci  !.. . 


DEUXIEME      ACTE.  5^ 

(11  le  met  de  côté  et  en  prend  un  autre   Au  moment  d'^  mettre  les  pât^.  il  lit, 

n  Le  blond  Pliœlnis..,   d  Pas  celui-là  1 

l  \f.'-riir    il- Il     \ 

MSIC,     im|>atientf 

FAï  bien!  qu*atlcnJe/--vous? 

HAGUE.NEAl  . 

(Il  en   prend  un  troisième  ci  M  ri'âigne  ; 

Le  sonnet  à  Philis  1...  mais  c'est  dur  tout  tic  nièinel 

LISK. 

C'est  heureux  (jn'il  ^t»  -"•'  .1.'.  i.l.'! 

(Ilau&^nt  le«  épaulet  ) 

Nicodènic! 

(Kilo  nionto  sur   uno  chai;^  cl  >■<   <•.   t  .  >  ..  .or  des  plats  sur  une  vi<<.^..^.. 

I\AfiUENEAU,     profitant  de  co  qu'elle  tourne   le  d<y«,  rappelle  le»  eofaois 

déjà  h   la  |)ort«« 

Pst!...   Petits!...   Rondcz-nioi  le  somirt  à  Pliilis. 
Au  lieu  de  trois  paies  je  vous  en  donne  six. 

(Les    enfants   lui  rendent    le    sac,  prennent  vivement   les   cAteaux  et 

s(»rleul.    Uaj;uon«MU,  tli-IVipanl   le  p.ipier.  se  uit'l  à  lire  en    '     ' 

((  Pliihs!...  »  Sur  ce  doux  nom.  uno  tarhe  de  1 
ii  Pliilis!...  » 

^Cyrano  entre  hrii>mieu»ful  > 

SCÈNE    m 

RAGUENE.\U,    LISE,    CYUANO,    puis    le   Mousquetaire 

CYRANO. 

Quelle  heure  est-il? 

RAGUENEAU,     !•*   -tl'i'nl    avec  empressement. 

Six  heures. 

CTRANO,    avec  émotion 

Dans  une  heure! 

(Il  va  et  vient  dans  la  boutique.) 
RAGUENEAU,    le  suivant. 

Bravo  !  J'ai  vu... 

CYRANO. 

Quoi  donc! 


6o  CYRA^O     DE     BERGERAC. 

RAG  L'EN  EAU. 

Votre  combat I... 

CYRAiVO. 

Lequel  ? 

RAGUENEAU. 

Celui  de  l'iiôtcl  de  Bourgogne! 

CYRA]VO,    avec  (lédain. 

Ah!...  Le  duel!... 

RAGUENEAU,     admiratif. 

Oui,  le  duel  en  vers!... 

LISE. 

Il  en  a  plein  la  bouche  ! 

CYRANO. 

Allons!  tant  mieux  ! 

RAGUENEAU,    se   fendant  avec  une  broche  qu'il  a  saisi. 

((  A  la  fin  de  l envoi,  je  touche!,,, 
A  la  fin  de  Venvoi,  je  touche  l...  »  Que  c'est  beau! 

(Avec  un  entliousiasme  croissant.) 

«  A  la  fin  de  Venvoi. . .    » 

CYRANO. 

Quelle  heure,  Ragueneau? 

RAGUENEAU,    restant  fendu  pour  regarder  l'horloge. 

Six  heures  cinq  ! . . .  ((...je  touche  !  » 

(Il  se  relève.) 

. .  .Oh  !  faire  une  ballade  ! 

LISE,    à  Cyrano,  qui  en  passant  devant  son  comptoir   lui   a  serré  distraite- 
ment la  main. 

Qu'avez-vous  à  la  mainP 

CYRANO. 

Rien.  Une  estafilade. 

RAGUENEAU. 

Courûtes  vous  quelque  péril? 

CYRANO. 

Aucun  péril. 

LISE,    le  menaçant  du  doigt. 

Je  crois  que  vous  mentez.^ 

CYRANO. 

Mon  nez  remuerait-il? 


DEUMIMK      ACTE.  6| 

Il  faudrait  que  ce  frtt  pour  un  mensonge  rnornie  ! 

((!lj.iii-''anl  (le  Ion   ) 

J'alleiuls  ici  quclcju'un.    Si  ce  't*«'^i   j»m«^  ^'",<   r.ifiic. 
Vous  nous  laisserez  seuls. 

RA(;rENK\L. 

C'est  que  je  ne  peux  pas; 

Mes  riincurs  vont  vriiir-... 

LISE,     ironi<jur, 

Pniir  leur  premier  repas 

CYKANO. 

Tu  les  t'ioigneras  quand  je  le  ferai  signe... 
L'heure!* 

K AGI  EN EAU. 

Six  heures  dix. 

CYUANO,     s'assevant    nerveii>emcnt  à  la  laMe  de  I\ni;M»THMii  .-t   |'r- n.inl 

(lu    papliT. 

l  ne  plume?... 

I\\(il  TNEAl   ,     1(11  ollranl  iclle  (|u'»I  a  à  son  oreille. 

De  cvgne. 

un   MOUSQUETAIHE,     superbcMnenl  in«»uslachu,  entre  cl  d'une  voit 

de  slontor. 

Salut! 

(Lise  remonte  vivement  vers  lui  ) 

CYKANC),    se  retournant. 

Qu'est-ce? 

KAOUENEAU. 

Lu  ami  de  ma  femme.  Un  guerrier 

Terrihle,  —  à  ce  qu'il  dit  !... 

GYIIANO,    reprenant  la   plume  et  éloitrnant  du  preste  Ragueneau 

chtii:... 

Ecrire,  —  plier,  — 

(  A  lui-même.  ) 

Lui  donner,  —  me  sauver. . . 

(.lotanl   la  pUime 

LAche!...  Mais  (juc  y  meure, 
Si  j'ose  lui  [)arler,  lui  dite  un  seid  mut... 

(.\  Hagtienoâu  ) 

L'heurp^ 

U.^GLENEAU. 

Six  et  quart  ! . . . 

e 


6a  CYRANO      DE     BERGERAC. 

GYK.VNO,    frappant  sa  poitrine. 

...un  seul  mot  de   tous  ceux  que  j'ai  là  I 
Tandis  qu'en  écrivant... 

(Il  reprend  la  plume.) 

Eh  bien!  écrivons-la, 
Cette  lettre  d'amour  qu'en  moi  même  j'ai  faite 
Et  refaite  cent  fois,  de  sorte  qu'elle  est  prête. 
Et  que  mettant  mon  âme  à  côté  du  papier, 
Je  n'ai  tout  simplement  qu'à  la  recopier. 

(H   écrit.  —  Derrière    le    vitrage  de  la    porte     on  voit    s'agiter    des 
silhouettes  maigres  et  hésitantes.) 


SCÈNE  IV 

RAGUENEAU,  LISE,  le  Mousquetaire,  CYRANO,  à  la 
petite  table,  écrivant,  les  Poètes,  vêtus  de  noir,  les  bas 
tombants,  couverts  de  boue. 


LISE,     entrant,  à  Ragueneau. 

Les  voici  vos  crottés  ! 

PREMIER    POÈTE,    entrant,  à  Ragueneau. 

Confrère!... 

DEUXIÈME   POÈTE,    de  môme,  lui  secouant  les  mains. 

Cher  confrère  I 

TROISIÈME    POÈTE. 

Aigle  des  pâtissiers  ! 

(11  reniQe.) 

Ça  sent  bon  dans  votre  aire. 

QUATRIÈME    POÈTE. 

0  Pliœbus-Rôtisseur! 

CINQUIÈME    POÈTE. 

Apollon  maître-queux! 

RA.GUE1VEAU,    entouré,  embrassé,   secoué. 

Comme  on  est  tout  de  suite  à  son  aise  avec  eux!.. 

PUE>nER    POÈTE. 

Nous  fûmes  retardés  par  la  foule  attroupée 
A  la  porte  de  Ncsle  !... 


DBUViCMi:    A<  ii:.  es 

DEt^lKMi:    I»« 

Oiivei  Is    *  .  ■  .uj..  -j  .  |M  (». 
Unit  malandrins  sanglants  illiisiraionl  les  pa^'s! 

CYRANO,    levant  iino  »«cooil«  U  Uto. 

Huit?...  Tiens,  je  croyais  sepl. 

ill  rc(ircntl  sa  lettre.) 
RACIE.NEAL,    k  Cyrano 

Est  ce  que  vous  savet 

Le  hi'H)S  du  combat > 

CYH\NO,     nc'^li;;pnn!irnl 

Moi?...  N(in! 

LISE,    au  ujoiiv|ii<>Uire 

Va  von  s? 

Ll      MOI  ^()|  1  I  \IUK,    se  friMiit  la  moustache. 

Penl  (^Ire! 

CYUANO,     l'crivaril.  à  part.    — on  Tenlen  I  niurniiirer  de  tempt  en  l«rop«. 

Je  vous  aime... 

riiEMiiii   i'(M  ii:. 
Un   seul   lioinin»^     a-vur.nf   (ifi     viif    inrlfr^ 

Toule  une  bande  en  fuite  1... 

DELIIÈME     POÈTE. 

Ob  !  c'était  curieux  î 
Des  picjues,  des  bâtons  jonrbaient  le  sol  !... 

CYIUXO.     .■•(•riv.inl. 

.,.ivw  yeux,,. 

TROISIÈME    I»OÈTi:. 

On  trouvait  des  clia[)eaux  jusqu'au  quai  des  Uiièvrcs! 

PHI.MII-U     POKTK. 

Sapristi!  ce  dut  être  un  féroce... 

CYRANO,     ni«^me  jeu. 

..VOS  lèvres,,. 

PRFMIEH    l'oi  li:. 

Un  terrible  géant,  l'autour  de  ces  exploits! 

CYU\N(  »,    nirinr  jeu. 

...Et  je  m'évanouis  de  peur  quaml  je  vous  vois, 

DEUXIÈME     POÈTE,    happant  ud  gAt<?au. 

Qu'as-tu  rimé  de  neuf,  Ragueneau.^ 


64  CVRANO      DE      BERGERAC. 

GYRA^îO,    même  jeu. 

...qui  VOUS  aime.,. 

(Il  s'arrête  au  moinenl  de  signer,  et    se  lève,  meltaiit  sa    lettre  dans 
son  poiirpoinl  ) 

Pas  besoin  de  signer.  Je  la  donne  moi-même. 

RAGUE?îKAr,    an  deuxième  poète. 

J'ai  mis  une  recette  en  vers. 

TROISIEME    POÈTE,     s'install.iiiL  près  d'un  plateau  de  choux  à  la    crème. 

Oyons  ces  vers  ! 

QUATRIÈME    POÈTE,     regardant  une  brioche  qu'il  a  prise. 

Cette  brioche  a  mis  son  bonnet  de  travers. 

(Il  la  dccoitTe  d'un  coup  de  dent.) 
PRI'MIER    POÈTE. 

Ce  pain  d'épice  suit  le  rimeur  famélique, 

De  ses  yeux  en  amande  aux  sourcils  d'angeliquel 

(Il  happe  le  morceau  de  pain  d'épice.) 

DEUXIÈME    POÈTE. 

Nous  écoutons. 

TROISUilME    POETE,    serrant  légèrement  un  chou  entre  ses  doigts. 

Le  chou  bave  sa  crème.  Il  rit. 

DEUXIEME    POETE,    mordant  à  même  la  grande  lyre  de  pâtisserie. 

Pour  la  première  fois  la  Lyre  me  nourrit! 

RA.GUENEAU,    qui  s'est  préparé  à  réciter,  qui  a  toussé,  assuré  son 
bonnet,  pris  une  pose. 

Une  recette  en  vers... 

DEUXIÈME    POETE,    au  premier,  lui  donnant  un  coup  de  coude. 

Tu  déjeunes.^ 

PREMIER    POÈTE,    au  deuxième. 

Tu  dînes  ! 

RAOUENEAU. 

Comment  on  J ait  les  tartelettes  amandlnes. 

Battez,  pour  qu'ils  soient  mousseux, 

Quelques  œufs  ; 
Incorporez  à  leur  mousse 
Un  jus  de  cédrat  choisi  ; 

^  ersez-v 
Un  bon  lait  d'amande  douce; 


OEUXIKMB     ACTE.  dS 

Mettez  de  la  pair  à  11  an 

Dans  le  liane 
De  moules  à  tarlclclte  ; 
D'un  tioii^l  preslr,  ahricolez 

Les  côtés  ; 
N'ersez  goutte  à  goutlclolle 

Votre  mousse  en  ei'S  |iulls,  puis 

Que  CVS  puils 
Passent  au  four,  et,  lilondincs, 
Sorlaul  en  ^'ais  liouprlet^. 

Ce  sont  les 
Tartelettes  ainandines! 

LES    POÈTES,     la  bouche  pleine 

Exquis  I   Délicieux  I 

UN    POr.TE,     sïlouflant. 

Iloinpli  ! 

(Us    remontent   vers    le   foml.    en    mani:eant     Cvrano   qui   a    obtéfT^ 
s'avance  vers  Uagueneau   ) 

CYhANO. 

Heirés  par  la  voix. 
Ne  vois-tu  pas  coniuic  ils  s^MiipillreuL* 

RAGUEÎÎEAU,     plus  I>as,  avec    un  sourire. 

Je  le  vois... 
Sans  reiraider,  de  peur  cpic  cela  ne  les  trouble  ; 
Et  dire  ainsi  mes  vers  me  tionne  un  plaisir  double, 
Puisque  je  satisfais  un  doux  faible  que  j*ai 
Tout  en  laissant  manger  ceux  qui  n'ont  pas  mangé? 

CYUANO,     lui  frappant  sur  l\'j>nule. 

Toi,  tu  me  plais  !... 

(Ragueneau  va  rejoindre  ses  amis.  Cvrano  le  suit  dos  }eui,  puis  n» 
peu  brusquement.) 

lié  là.  Lise  ? 

(Lise,  en  conversation  tendre  avec  le  mousquetaire,  tressaille  etdesceDci 
vers  Cyrano  ' 

Ce  oipitaine... 
Vous  assiège? 

LISE,    oiïensce. 

Ob  I  mes  yeux,  d'une  œillade  baulaine 
Savent  vaincre  quiconque  allaque  mes  vertus. 

6. 


A-^- 


66  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRANO. 

Euh  !  pour  des  yeux  vainqueurs,  je  les  trouve  battus. 

LISE,    suffoquée. 

Mais... 

CYRANO,    nettement. 

Raguencau  me  plaît.   C'est  pourquoi,  dame  Lise, 
Je  défends  que  quelqu'un  le  ridicoculise. 

LISE. 

Mais... 

CYRANO,    qui  a  élevé  la  voix  assez  pour  être  entendu  du  galant. 

A  bon  entendeur... 

(Il  salue  le  mousquelaire,  et  va  se  mettre  en  observation,  à  la  porte  du 
fond,  après  avoir  regardé  l'horloge.) 

LISE,    au  mousquetaire  qui  a  simplemont  rendu  son  salut  à  Cyrano, 

Vraiment,  vous  m'étonnezl 
Répondez...  sur  son  nez... 

LE    MOUSQUETAIRE. 

Sur  son  nez...  sur  son  nez... 

(Il  s'éloigne  vivement.  Lise  le  suit.) 

CYRANO,   de  la  porte  du  fond,  faisant  signe  à  Ragueneau 
d'emmener  les  poètes. 

Pst!... 

RAGUENEAU,    montrant  aux  poètes  la  porte  de  droite. 

Nous  serons  bien  mieux  par  là... 

CYRANO,    s'impatientant. 

Pst!  pstl... 

RAGUENEAU,    les  entraînant. 


Des  vers... 


Pour  lire 


PREMIER    POÈTE,    désespéré,  la  bouche  pleine. 


Mais  les  gâteaux  !... 


DEUXIEME    POETE. 

Emportons  les  I 

(Ils  sortent  tous  derrière   Ragueneau,  processionuellement,  et  aprèl 
avoir  fait  une  ràlle  de  plateaux.) 


del'\ii:m  L     \      i  K.  et 

scr:M:  \ 

CYRANO.   IU)\AM:.  la  DtàG«. 

CYHAX). 

Je  lire 
Ma  lettre  si  je  sens  seiileintMit  (|n  11  v  n 
Le  moindre  espoir!... 

(Koxan.»,  inascjiu'o.  suivie  «le  la  .lii.«-rM\  jKirall   dcrrure  le  vilri^'c.   Il 
ouvre  vivoineiit  la  porto  ) 

Entrez  !... 

(Marcliaiil  sur  la  •ni-^.nf  ) 

Vous,  deux  mots,  duègna  i 

LA    DLKOE. 

Quatre. 

CYRANO. 

htcs-vous  gourmande? 

I.A     DIÈGNE. 

\  m'en  rendre  malade. 

CYRANO,    prenant  vivement  des  aac*  tlo  papier  sur  le  comptoir. 

Bon.  Voici  deux  sonnets  de  monsieur  Benscrade... 

LA    1)1  f:r.  ni:,     pileuse. 

lieu:... 

CYRANO. 

...que  je  vous  rein[)lis  de  darioles. 

LA     Dl  L(JNE,    changeant  de  figure 

iloul 

CYRANO. 

Aimez-vous  le  gâteau  qu'on  nomme  petit  chou? 

LA   DL'ÈGNE,    avec  dignité. 

Monsieur,  j'en  fais  état,  lorsqu'il  est  à  la  crème. 

CYRANO. 

J'en  plonge  six  pour  vous  dans  le  sein  d  un  poème 
De  Saint  Amant!   VA  dans  ces  vers  de  Clia[)elain 
Je  dépose  un  fragment,  moins  lourd,  de  poupelin. 
—  Âh  I  vous  aimez  les  gâteaux  frais? 


68  CYRANO      DE      BERGERAC 


LA    DUEGNE. 

J'en  suis  férue î 

GYRVNO,    lui  chargeant  les  bras  de  sacs  remplis. 

Veuillez  aller  manger  tous  ceux-ci  dans  la  rue. 

LA    DLÈGNE. 

Mais... 

CYRANO,     la  poussant  dehors 

Et  ne  revenez  qu'après  avoir  fini  ? 

(Il  referme  la  porte,   re^lescend  vers  Roxane,   et    s'arrête,  découvert, 
à  une  dislance  respectueuse.) 


SCENE    VI 

CYRANO,   ROXANE,   la  Duègne,   un  instant. 

CYRANO. 

Que  l'instant  entre  tous  les  instants  soit  béni, 
Où,  cessant  d'oublier  qu'humblement  je  respire 
Vous  venez  jusqu'ici  pour  me  dire...  me  direP 

ROXANE,     qui  s'est  démasquée. 

Mais  tout  d'abord  merci,  car  ce  drôle,  ce  fat 
Qu'au  brave  jeu  d'épée,  hier,  vous  avez  fait  mat, 
C'est  lui  qu'un  grand  seigneur...  épris  de  moi... 

CYRANO. 

De  Guiche? 

ROXANE,     baissant  les  yeux. 

Cherchait  à  m'imposer...  comme  mari... 

CYRANO. 

Postiche.^ 

(Saluant). 

Je  me  suis  donc  battu,  madame,  et  c'est  tant  mieux, 
Non  pour  mon  vilain  nez,  mais  bien  pour  vos  beaux  yeux. 

ROXANE. 

Puis...  je  voulais...  Mais  pour  Taveu  que  je  viens  faire, 
II  faut  que  je  revoie  en  vous  le...  presque  frère, 
Avec  qui  je  jouais,  dans  le  parc  —  près  du  lac!... 


DBLMKME      ACTE.  6^ 

CYHANO. 

Oui...  VOUS  veniez  tous  les  êtes  à  Bergcrar  * 

nOXA>E. 

Les  roseaux  fournissaient  le  hois  pour  vos  qK-es 
Et  les  maïs,  les  cheveux  hloruls  pour  vos  poui>ée8l 

K(»X.\!«IE. 

C'était  le  temps  dos  j'iix... 

(Ml  wn. 

Des  nuirons  aigrelets... 
uowm:. 
Le  temps  où  vous  faisiez  tout  ce  que  je  voulais I... 

Roxane,  en  jupons  courts,  s'appelait  Madeleine... 

HOXANE. 

J'étais  jolie,  alors  .^ 

CYIIANO. 

Vous  n'étiez  pas  vilaine. 

ROXA>E. 

Parfois,  la  main  en  sang  Je  quelque  grim|>ement. 
Vous  accouriez!  —  Alors,  jouant  h  la  maman. 
Je  disais  d'une  voix  qui   lAcliail  d'être  dure  : 

(Elle  lui   prend  la  main  ) 

((  Qn  est  ce  que  c'est  encor  que  cette  égralignure?  » 

V  Elle  s'arrête,  stiipôfaile. 

Oh!  C'est  trop  fort!  Et  celle  ci! 

(Cvrano  v«»ut  relircr  mi  main.^ 

Non  1  M(nilrez-la  ! 
Hein?  à  votre  âge,  encor!  —  Où  t'es  tu  fait  cela.^ 

CYUVNO. 

En  jouant,  du  côté  de  la  porte  de  Nesle. 

ROXANE,    «'asseyant  à  uno  tahîe.  et  lroin|»ant  .^on  mouchoir  danf  aa 

\  i>ri  .'  il'i'.iii 

Donnez  ! 

CTRVNO,    s'asMîvant  aussi. 

Si  genlimcnt!  Si  gaiement  maternelle! 


70  CYRANO      DE      BERGERAC. 

BOX ANE. 

Et,  dites-moi,  —  pendant  que  j'ôte  un  peu  le  sang  — 
Ils  étaient  contre  vous? 

CYRANO. 

Oh  !  pas  tout  à  fait  cent. 

ROXANE. 

Racontez  I 

CYRANO. 

Non.  Laissez.  Mais  vous,  dites  la  chose 
Que  vous  n'osiez  tantôt  me  dire... 

ROXANE,    sans  quitter  sa  main. 

A  présent,  j*ose, 
r.ar  le  passé  m'encouragea  de  son  parfum  1 
Oui,  j'ose  maintenant.  Voilà.  J'aime  quelqu'un. 

CYRANO. 

Ahl... 

ROXANE. 

Qui  ne  le  sait  pas  d'ailleurs. 

CYRANO. 

Ah!... 

ROXANE. 

Pas  encore* 

CYRANO. 

Ah!.., 

ROXANE. 

Mais  qui  va  bientôt  le  savoir,  s'il  l'ignore. 

CYRANO. 

Ah!... 

ROXANE . 

Un  pauvre  garçon  qui  jusqu'ici  m'aima 
Timidement,  de  loin,  sans  oser  le  dire... 

CYRANO. 

Ahl... 

ROXANE. 

Laissez-moi  votre  main,  voyons,  elle  a  la  fièvre.  — 
Mais  moi,  j'ai  vu  trembler  les  aveux  sur  sa  lèvre. 


DELMIMt      ACTl.  71 

(nu  v\(). 
Ah!... 

ROXAIHE,    achevant  de  lui  faire  un   |ielil  l>an<Uige  avM  too  OKMiclMlir. 

Et  figurez-vous,  tenez,  que,  justement 
Oui,  mon  cousin,  il  sert  dans  votre  régiment! 

rvii  \\(). 
Ah!... 

HO\a:iE,    rUnt. 

Puiscju'il  est  cadet  dans  votre  compagnie! 

c:yha?io. 
Ah!... 

ROXANE. 

Il  a  sur  son  front  de  l'esprit,  du  génie. 
Il  est  fier,  noble,  jeune,  intrépide,  beau... 

CYHA^iO,     se  levant  tout  {tâle. 

n.'-iii! 

ROXANE. 

Quoi?  Qu'avez-vous.^ 

CYRANO. 

M'  >'    rien. . .  C'est. . .  c'est. . . 

(Il  moutre  m  iniio,  avec  un  tuorire.) 

C'est  ce  bobo. 

ROXANE 

Enfin,  je  l'aime.  Il  faut  d'ailleurs  ([ue  je  vous  die 
Que  je  ne  l'ai  jamais  vu  (|u'à  la  Comédie... 

CYRANO. 

Vous  ne  vous  êtes  donc  pas  parlé? 

roxa:xe. 

Nos  veux  seuls. 

CYRANO. 

Mais  comment  savez-vous,  alors  .^ 

ROXA>E. 

Sous  les  tilleuls 
De  la  place  Royale,  on  cause...  Des  bavardes 
M'ont  renseignée... 

CYR.4NO. 

II  est  cadet? 


^2  CYRANO      DE      BERGERAC. 

I\OXA>E. 

Cadet  aux  gardes. 

CYRANO. 

Son  nom? 

ROXANE. 

Baron  Christian  de  Neuvillette. 

CYliANO. 

Hein.^.. 

îl  n'est  pas  aux  cadets. 

ROXANE. 

Si,  depuis  ce  matin  : 
Capitaine  Carbon  de  Castel-Jaloux. 

CYRANO. 

Vite, 
Vite,  on  lance  son  cœur!...  Mais,  ma  pauvre  petite... 

LA    DUÈGNE,     ouvrant  la  porte  du  fond. 

J'ai  fini  les  gâteaux,  monsieur  de  Bergerac! 

CYRANO 

Eh  bien  !  lisez  les  vers  imprimés  sur  le  sac  ! 

(La  duègne  disparaît.) 

...Ma  pauvre  enfant,  vous  qui  n'aimez  que  beau  langage, 
Bel  esprit,  —  si  c'était  un  profane,  un  sauvage. 

ROXANE 

Non,  il  a  les  cheveux  d'un  héros  de  d'Urfé! 

CYRANO 

S'il  était  aussi  maldisant  que  bien  coiffé! 

ROXANE. 

Non,  tous  les  mots  qu'il  dit  sont  fins,  je  le  devine! 

GIRANO. 

Oui,  tous  les  mots  sont  fins  quand  la  moustache  est  fine. 
—  Mais  si  c'était  un  sot!... 

ROXANE,     frappant  du  pied. 

Eh  bien  !  j'en  mourrais,  làl 

CYRANO,     après  un  temps. 

Vous  m^avez  fait  venir  pour  me  dire  cela.^ 
Je  n'en  sens  pas  très  bien  l'utilité,  madame. 


1)  E  U  \  1  L  M  K      A  (    I  1  : .  ^S 

ROXANE. 

Ah,  c'est  (|no  (|ucl(nrun  hier  ma  mis  la  nrorl  dans  l'Ame, 
El  me  (lisant  (|iie  tous,  vous  êtes  tous  lîo^cons 

Dans  volrc  compagnie... 

CVUANO. 

Et  (|uc  nous  provo<|iK>ffis 
r«)us  l(^s  blancs  becs  (\n'\,  |>ar  favour,  se  font  ciilnicltre 
Parmi  les  purs  Gascons  «|ue  nous  sommes,  sans  l'èlre? 
C'est  ce  (|u'on  vous  a  dil:^ 

liO\  V\F. 

Tremblé  pour  lui  ! 

C^KVNO,     crilre  «»os  dents 

Non  sans  raison  I 

roxam:. 

Mais  j  a: 
l.or><(|ue  invincible  et  grand,  hier,  vous  nous  ix^^        '-•<. 
(lliàii.intcc  co(|uin,  tenant  [die  à  ces  brutes,  — 
J'ai  songé  :  s'il  voulait,  lui.  (|uc  tous  ils  craindront... 

C\I\AN<> 

(1  esl  i)ien,  je  détendrai  volrc  petit  baron. 

roxam:. 

OIi.  n'est-ce  pas  (\uc  vous  allcv.  nw  le  aricnJre? 
,1  ai  Inujours  eu  pour  vous  une  ainilié  si  tendre. 

(A n \NO. 

Oui,  oui. 

ROXANE. 

Tous  serez  son  ami.'^ 

G\RA>iO. 

Je  le  serai- 

ROWNK. 

El  ^amais  il  n'aura  de  duel? 

CYRANO. 

C'est  juré. 


74  CYRANO      DE      BERGERAC. 

ROXANE. 

Oh!  je  vous  aime  bien.  Il  faut  que  je  m'en  aille. 

'^Elle   remet  vivemeat  son    masque,    une   dentelle   sur  son  front,   et 
distraitement  ) 

Mais  vous  ne  m'avez  pas  raconté  la  bataille 
De  cette  nuit.  Vraiment  ce  dut  être  inouil... 
—  Dites-lui  qu'il  m'écrive. 

(Elle  lui  envoie  un  petit  baiser  de  la  main.) 

Oh  !  je  vous  aime  ! 

GYRAIHO. 

Oui,  oui. 

ROXANE. 

Cent  hommes  contre  vous.^  Allons,  adieu.  —  Nous  sommes 
De  grands  amis  ! 

CYRANO. 

Oui,  oui. 

ROXANE. 

Qu'il  m'écrive  I  —  Cent  hommes  1  — r 
Vous  me  direz  plus  tard.  Maintenant,  je  ne  puis. 
Cent  hommes  !  Quel  courage! 

CYRANO,     la  saluant. 

Oh!  j'ai  fait  mieux  depuis. 

(Elle  sort.   Cyrano  reste  immobile,  les  yeux  à  terre.  Un  silence.  La 
porte  de  droite  s'ouvre.  Ragueneau  passe  sa  tête.) 


SCÈNE  VII 

CYRANO,  RA.GUENEAU,  les  Poètes,  CARBON  DE 
GASTEL-JALOUX,  les  Cadets,  la  Foule,  etc.,  puis 
DE  GUICHE. 


RAGUENEAU. 

Peut-on  rentrer? 

GYRA?îO,    sans  bouger. 

Oui... 

(Ragueneau  fait  signe  et  ses  amis  rentrent.  En  même  temps,  à  la  porte 
du  fond  paraît  Carbon  de  Castel- Jaloux,  costume  de  capitaine  aux  gardes, 
qui  fait  de  grands  ^p^^ïes  en  apercevant  Cyrano.) 


DLl^  \  i  I.  Si  1.       \  •  «I 

CAliliO?!    DE    CASTEL  JAI.OLX. 

Le  voilà  ! 

C Y  RATIO,    levant  la  t^(e. 

Mon  ca|>ilaine!... 

CAIU)0:i,    eiultant. 

Notre  héros!  Nous  savons  loiit!  Une  trentaine 
De  mes  cadets  sont  làl... 

CYRA?IO,     n-culiDl. 

Mais... 

CAHbON,     voulant   l'entraîner 

\  iens  I  on  veut  te  voir' 
Non  ! 

CARHON . 

Ils  boivent  en  face,  à  la  Croix  du  Trahoir. 

CYRA>0. 

J«v.. 

CARBON,    reinoiitaat  à    l.i    porte,    et  criant  à   la  cantonade,  «l'iioe   tqîi  ^ 

tonnerre. 

Le  héros  refuse.  Il  est  (riiumcur  bourrue! 

UNE    VOIX,    au  dehors. 

Ahl  Sandious  ! 

(Tumulte  au  dehors,  hniit   d'épces  rt  de  bottes  qui  se  rapprocbeoL 
C.VRUON,    te    frottant  les  nuins. 

Les  voici  qui  traversent  la  nn  !.. 

LES    CADErs,     entrant  d-ins    la   rôliMerie 

Mille  dious  I  —  Capdedious  1  —  Mordic^us  !  —  PocapdedicriS 

RAGL'ENE.Al',    reculant  cpouvanlc. 

Messieurs,  vous  êtes  donc  tous  de  Gascogne! 

LES    CADETS. 

Tous! 

UN   GVnrr.    ."i  Csiano. 

Bravo  I 

CYRANO. 

Baron  ! 

UN    AUTRE,     lui   sec<Hiant  les  ni.iius 

Vivat  ! 


7^  CYRANO      DE      BEllGEUAG, 

CYRANO. 

Baron  ! 

TROISIÈME    CADET. 

Que  je  t'embrasse. 

CYRANO. 

Baron  1.-, 

PLUSIEURS    GASCONS. 

Embrassons-le  ! 

CYRANO,    ne  sachant  auquel  répondre. 

Baron...  baron...  de  grâce... 

RAGUENEAU. 

Vous  êtes  tous  barons,  messieurs! 

LES    CADETS. 

Tous  ? 

RAGUENEAU. 

Le  sont-ils?... 

PREMIER    CADET. 

On  ferait  qîic  lour  rien  qu'avec  nos  torlilsl 

£,E    BRET,    entrant,  et  courant  à  Cyrano. 

On  te  cherche  !  Une  foule  en  délire  conduite 
Par  ceux  qui  cette  nuit  marchèrent  à  ta  suite... 

CYRANO,    épouvanté. 

Tu  ne  leur  as  pas  dit  où  je  me  trouve?... 

LE    BRET5    se   frottant  les  mains. 

Si! 

UN    nOURGEOIS,    entrant,    suivi  d'un   groupe. 

Rlonsîeur,  tout  le  Marais  se  fait  porter  ici! 

(Au  dehors,  ia  rue  s'est  remplie  de  monde,    Des  chaises   à  porteurs, 
des,  carrosses  s'arrêtent.) 

LE    BRET,    bas,  souriant,  à  Cyrano. 

Fa  lloxane? 

CYRANO,    vivement. 

Tais  toi  ! 

LA    FOULE,    criant  dehors. 

Cyrano  !  .. 

{Une  oohae  se  précipite   dans  la  pàtlsserifl.  Bousculade.  Acclamations. 


DEUXIÈME      ACTB.  77 

RAGL'ENFAr',      I.K.iil  mr  une  tahitt 

Ma  lM>iiti(|ue 
Est  envahie!  Ou  casse  tout!  C'est  inn^'niii(|iicl 

DES    r.ENS,     autour  de  Cvrano. 

Mon  ami. ..    mon  ami... 

Je  n'avais  pas  hier 
Tant  d'amis!... 

LE     IUa:r,     ravi 

Le  succès  ! 

UN    PETIT    MAHQriS,     accourant,   les  maio*   temliiet. 

Si  lu  savais,  mon  cher... 

Si  lu? ../ru?...  Qu'est-ce  donc  qu'ensemble  nous  ^.ii dames? 

UN    Al  niE. 
Je  veux  vous  pivsenter,  Monsi'iM     '«  qut.*l(|ii«'^  .î  nin-^i 
Qui  là,  dans  mon  carrosse... 

CYIIAXO,     froidement. 

Kl  vous  d'abord,  à  njoi. 
Qui  vous  présentera? 

LE    nUET.     stupifait 

Mais  qu'as  lu  donc? 

CYHANO. 

Tais  toi  ! 

UN    nOMMr    DE     LETTHES,     avec  une  écriloire. 

Puis-je  avoir  des  détails  sur?... 

CYIIANO. 

Non. 

LE     HUET.     lui   pou<»*anl  !«•  coude 

(7cst  Théophrastc 

Renaudol  I    rinvonlonr  de  la  ga/.e(le. 

CYHANO. 

Baste  ! 
LE  nnET. 
Cette  feuille  où  l'on  fait  laiU  dr  choses  tenir! 
On  dit  (juc  cette  idée  a  beaucoup  d'avenir! 

7- 


78  CYRANO      DE      BERGERAC. 

LE    POÈTE,    s'avançant. 

Monsieur... 

CYRANO. 

Encor  ! 

LE    POÈTE. 

Je  veux  faire  un  pentacrostiche 
Sur  votre  nom... 

QUELQU  UN,    s'avançant  encore. 

Monsieur... 

CYRANO. 

Assez  1 

(Mouvement.  On  se  range.  De  Guiche  paraît,  escorté  d'officiers 
Cuigy,  Brissaille,  les  officiers  qui  sont  partis  avec  Cyrano  à  la  fin  d' 
premier  acte.  Cuigy  vient  vivement  à  Cyrano.) 

CUIGY,    à  Cyrano. 

Monsieur  de  Guiche  1 

(Murmure.  Tout  le  monde  se  range .( 

Vient  de  la  part  du  maréchal  de  Gassion  1 

DE    GUICHE,    saluant  Cyrano 

...Qui  tient  à  vous  mander  son  admiration 

Pour  le  nouvel  exploit  dont  le  bruit  vient  de  courre. 

LA   FOULE. 

Bravo  ! . . . 

CYRANO,     s'inclinant. 

Le  maréchal  s'y  connaît  en  bravoure. 

DE    GUICHE. 

Il  n'aurait  jamais  cru  le  fait  si  ces  messieurs 
N'avaient  pu  lui  jurer  l'avoir  vu. 

CUIGY. 

De  nos  yeux! 

LE    BRET,    bas  à  Cyrano,  qui  a  l'air  absent. 

Mais... 

CYRANO. 

Tais-toi  I 

LE    BRET. 

Tu  parais  souffrir i 


DFUXIEME     ACTE.  7| 

CTRANO,    ire^^illaxil  cl  »c  rcJrt-%ftaut  vivtiiient 

n     ail  ce  monde?.. 

(Sa  mousUche  m  hiTia^fi .  il  piilrÎDc 

Moi.  souIlViri^..  Tu  vas  voir! 

DE    CHICHE,    auciuol  Cui^  a  patlô  à  l'oreilU. 

Votre  rarrirre  abonde 

De  beaux  exploits,  dryx.  —   \«"!<  v.iv.  /  *  î../  .i.c  r. .lu 
De  Gascons,  n'est  ce  pas.'^ 

CYUA>0. 

Aux  cadets,  oui. 

Uî^    CADET,     d'une  voix  terrible 
DE    GUICIIE,    regardant  le«  Gascona,  rangea  derricVe  Cvrano. 

Ah!  ah!...  Tous  ces  messieurs  à  la  mine  baulaine, 
Ce  sont  donc  les  fameux  :^.. 

CARBON     DE    CASTEL-JALOIX. 

Gvranol 

GMIA-NO. 

Cni'ilninc? 

GARHON. 

Puisque  ma  compagnie  est,  je  crois,  au  complet, 
\euillezla  présenter  au  comte  >*il  nous  plaît. 

CÏ'VVNO,     faisant  deux  pas  vers   De  GuicLe,  et  montrant  les  cjdeta. 

Ce  sont  les  cadets  de  Ciascogne 
De  Carbon  de  Castel  Jaloux; 
Bretteurs  et  menteurs  sans  vergogne, 
Ce  sont  les  cadets  de  Gascogne! 
Parlant  blason,   lambel,  bnslognc. 
Tous  plus  nobles  (jue  des  filous, 
Ce  sont  les  cadets  de  Gascogne 
De  Carbon  de  Ca^tcl-Jaluux  : 

Œil  d'aigle,  jambe  de  cigogne. 
Moustache  de  chat,  dénis  de  loups, 
Fendant  la  canaille  (|ui  grogne, 
Œil  d'aigle,  jambe  de  cigogne. 


8o  CYUANO      DE      BERGERAC. 

Os  vont,  —  coiffés  d'un  vieux  vigogne 
Dont  la  plume  cache  les  trous  !  — 
Œil  d'aigle,  jambe  de  cigogne, 
Moustache  de  chat,  dents  de  loups  I 

Perce- Bedaine  et  Casse-Trogne 
Sont  leurs  sobricpiets  les  plus  doux; 
De  gloire,  leur  âme  est  ivrogne  1 
Perce-Bedaine  et  Casse  Trogne, 
Dans  tous  les  endroils  où  l'on  cogne 
Ils  se  donnent  des  rendez-vous... 
Perce-Bedaine  et  Casse-Trogne 
Sont  leurs  sobriquets  les  plus  douxl 

Voici  les  cadets  de  Gascogne 
•Qui  font  cocus  tous  les  jaloux  I 
O  femme,  adorable  carogne. 
Voici  les  cadets  de  Gascogne! 
Que  le  vieil  époux  se  renfrogne  : 
Sonnez,  clairons!  chantez,  coucous  I 
Voici  les  cadets  de  Gascogne 
Qui  font  cocus  tous  les  jaloux! 

t)E    GUICH.E,    noachalamnient  assis  dans  un   fauteuil  que  Ragueneau 

a  vile  apporté. 

Un  poète  est  un  luxe,  aujourd'hui,  qu'on  se  donne. 
—  Voiilez-vous  être  à  moi? 

CYRANO. 

Non,  Monsieur,  à  personne, 

DE    GUIGHE. 

Votre  verve  amusa  mon  oncle  Richelieu, 
Hier.  Je  veux  vous  servir  auprès  de  lui. 

LE    B1\EÏ,     ébloui. 

Grand  Dieu  ! 

DE    GUTCHE. 

l^oiis  avez  bien  rimé  cinq  actes,  j'imagine.^ 

'  LE    BRET,     à  l'oa-eille  de  Cyrano. 

X«  vas  foire  jouer,  mon  cher,  ton  Agrippine  ! 


deuxième:    acte.  Si 

DE  GtlCIIE. 

Poricz-lcs  lui. 

CYRANO,    tenté  et  un  |>«u  cbârmé. 

Vraiment... 

DE    GUICIIE. 

Il  est  (les  plus  cx|)crts. 
Il  vous  corrigera  sculeruonl  (|U('l<|ues  vers.. 

('.\HVN(>,    dont   Iw    vi>ii|;i*  >'i'»l    riiinfdiatrmriil  rfiiibruni. 

lm[)Ossil)l(\  Monsieur;  mon  sang  se  coagule 
En  [)ensant  qu'on  y  peut  changer  une  virgule. 

DE    GlICHE. 

JMais  (hj.urI  un  vers  lui  plaît,  en  revanche,  mon  cher, 
Il  le  [)aye  très  cher. 

(:\u\No. 

Il  le  paye  moins  cher 
<Jne  moi,  lorsque  j'ai  fait  un  vers,  et  (pie  je  l'aime. 
Je  me  le  paye,  en  me  le  chantant  à  moi-même! 

DE     GlICHE. 

Vous  êtes  fier. 

CVllANO. 

Vraiment,  vous  l'avez  remarqué  ? 

LN    C,\DET,    entr.int  avec,  enfilés  à  son  é|>ée,  des  chapeaux  aux  {>lumeU 
niileux,  aux  coilTcs  trouces,  défoncées. 

Uegarde,  Cyrano!  ce  malin,  sur  le  quai, 
Le  bizarre  gibier  à  plumes  cjue  nous  prîmes! 
Les  feutres  des  fuyards!... 

CARBON. 

Des  dépouilles  opimcs! 

TOIT    I.E     MONDE,    riant 

Ah!  Ah!  Ah: 

CtlGY. 

Celui  (|ui  posta  ces  gueux,  ma  foi, 
Doit  rager  aujourd'hui. 

BRISSAILLE. 

Sait-on  ipii  c'est? 


82  CYRANO      DE      BERGERAC. 

DE   GUIGIIE. 

C'est  moi. 

(Les  rires  s'arrêtent.) 

Je  les  avais  chargés  de  châtier,  —  besogne 

Qu'on  ne  fait  pas  soi-même,  —  un  rimailleur  ivrogne. 

(Silence  gcné.) 

LE    CADET j    à  mi-voix,  à  Cyrano,  lui  montrant  les  feutres. 

Que  faut-il  qu'on  en  fasse?  Il  sont  gras...  Un  salmis? 

CYRANO,    prenant  l'cpée  où  ils  sont  enBlés,  et  les   faisant,  dans  un  salut, 
tous  glisser  aux  pieds  de  De  Guiclie. 

Monsieur,  si  vous  voulez  les  rendre  à  vos  amis? 

DE    GUIGHE,     se  levant  et  d'une  voix  brève. 

Ma  chaise  et  mes  porteurs,  tout  de  suite  :  je  monte. 

(A  Cyrano,  violemment.) 

Vous,  Monsieur  1... 

UNE  VOIX,    dans  la  rue,  criant. 

Les  porteurs  de  monseigneur  le  comte 
De  Guichel 

DE    GUICHE,     qui  s'est  dominé,  avec  un  sourire. 

...Avez-vous  lu  Don  Quichol? 

CYRANO. 

Je  l'ai  lu. 
Et  me  découvre  au  nom  de  cet  hurluberlu. 

DE    GUIGHE. 

Veuillez  donc  méditer  alors... 

UN    PORTEUR,     paraissant  au  fond. 

Voici  la  chaise. 

DE    GUIGHE. 

Sur  le  chapitre  des  moulins  ! 

CYRANO,     saluant. 

Chapitre  treize. 

DE    GUIGHE. 

Car,  lorsqu'on  les  attaque,  il  arrive  souvent... 

CVRANO. 

J'attaque  donc  des  gens  qui  tournent  à  tout  vent? 


DEIIXITM  i:      V  (    I  r  83 

liK   Gl;ICII£. 

Qu'un  moulinet  do  leurs  grands  bras  charges  ac  luiics 
\  nus  laricr  (i;nis  la   houe  !... 

(:yra>(). 

Ou  bien  «lans  les  éloileei! 

1,1)0  «iimlie  sort    On  lo  voil  m* 
^ncol  en  cluicliuUnt.  L«  hrct  l< 

sci:m:  viii 

CYUANO.   LK  BHKT,   les  Cahets,  cpii  se  sont  altablé* 
droite  et  à  gauche  et  aux<iuels  on  serl  ^  boire  cl  à  manger. 

C,YKV?1(),     saluant  il'iin  air  i;omien«'  '      •"-    pii  sortent 
sans  oser  le  mIiu-i 

Messieurs...  Messieurs...  Messieurs... 

LE    BUET,     ilo.Holt-,  re^Iescendant.  la  l>r.iH  aii  ciel 

\h  !  dans  «nirls  jolis  draps. . 

CYRA>10. 

Oh  !  toi  !   lu  vas  grogner  1 

LE    HRET. 

Enfin,  lu  coiiMLiidras 
Qu'assassiner  toujours  la   rli.inco  passaL^rro, 
Dcvienl  exagéré. 

CYRA>(> 

lié  bien  oui,  j  cxagcre! 

LE    RUET,     triomphant. 

Ah! 

CYRANO. 

Mais  pour  le  principe,  et  pour  1  exemple  aussi, 
Je  trouve  qu'il  est  bon  d'exagérer  ainsi. 

LE    BRET. 

Si  tu  laissais  un  peu  ton  ame  mousquetaire, 
La  fortune  et  la  gloire... 

CYRANO. 

Et  que  faudrait  il  faire? 
Chercher  un  protecteur  puissant,  prendre  un  j>alron, 
Et  comme  un  lierre  obscur  qui  circonvient  un  tronc 


84  CYRANO      DE      B  E  lu;  E  11  A  C. 

Et  s'en  fait  un  tuteur  en  lui  léchant  l'écorce. 

Grimper  par  ruse  au  lieu  de  s'élever  par  force? 

Non,  merci.  Dédier,  comme  tous  ils  Je  font, 

Des  vers  aux  financiers?  se  changer  en  bouffon 

Dans  l'espoir  vil  de  voir,  aux  lèvres  d'un  minisire. 

Naître  un  sourire,  enfin,  qui  ne  soit  pas  sinistre? 

Non,  merci.  Déjeuner,   chaque  jour,  d'un  crapaud? 

Avoir  un  ventre  usé  par  la  marche?  une  peau 

Qui  plus  vite,  à  l'endroit  des  genoux,  devient  sale? 

Exécuter  des  tours  de  souplesse  dori^ale?... 

Non,  merci.  D'une  main  flatler  la  chèvre  au  cou 

Cependant  que,  de  l'autre,  on  arrose  le  chou, 

Et,  donneur  de  séné  par  désir  de  rhubarbe, 

Avoir  son  encensoir,    toujours,  dans  quelque  barbe? 

Non,  merci!  Se  pousser  de  giron  en  giron, 

Devenir  un  petit  grand  homme  dans  un  rond, 

Et  naviguer,  avec  des  madrigaux  pour  rames, 

Et  dans  ses  voiles  des  soupirs  de  vieilles  dames? 

Non,  merci I  Chez  le  bon  éditeur  de  Sercy 

Faire  éditer  ses  vers  en  payant?  Non,  merci! 

S'aller  faire  nommer  pape  par  les  conciles 

Que  dans  des  cabarets  tiennent  des  imbéciles? 

Non,  merci!  Travailler  à  se  construire  un  nom 

Sur  un  sonnet,  au  lieu  d'en  faire  d'autres  ?  Non, 

Merci!  Ne  découvrir  du  talent  qu'aux  mazettes? 

Être  terrorisé  par  de  vagues  gazettes, 

Et  se  dire  sans  cesse   :  «  Oh,  pourvu  que  je  sois 

Dans  les  petits  papiers  du  Mercure  François?  )>... 

Non,  merci  !  Calculer,   avoir  peur,  être  blême, 

Aimer  mieux  faire  une  visite  qu'un  poème. 

Rédiger  des  placets,  se  faire  présenter? 

Non,  merci!  non,  merci!  non  merci!  Mais...  chanter,. 

Rêver,  rire,  passer,  être  seul,  être  libre, 

Avoir  l'œil  qui  regarde  bien,  la  voix  qui  vibré. 

Mettre,  quand  il  vous  plaît,  son  feutre  de  travers, 

Pour  un  oui,  pour  un  non,  se  battre,  ou  —  faire  un  vers! 

Travailler  sans  souci  de  gloire  ou  de  fortune, 

A  tel  voyage,  auquel  on  pense,  dans  la  lune! 


DEUXIKMB      ACTE.  $5 

N'écrire  jamais  rien  <|iji  de  soi  ne  sortît. 

Et  niodeslo  d'ailleurs,  se  dire  :  mon  petit. 

Sois  satisfait  des  fleurs,  des  fruits,  même  de»  feuillet. 

Si  c'est  (laus  ton  j.irdin   à  loi  que  tu  les  cueilles! 

i*uis,  s'il  advient  d'un   peu  triouipher,  par  Imsir.l, 

Ne  pas  ôtre  oblige'  d'''n   rien  rendre  à  César, 

Vis-a-vis  de  soi-mriue  en  garder  le  mérite. 

liref,  dédaignant  d'être  hc  lierre  parasite. 

Lors  uiruie  qu'on  n'est   pas  le  clirne  ou  le  tilleul. 

Ne  pas  monter  bien  liant,  peut-être,  mais  tout  seul! 

LE   BHET. 

Tout  seul,  soit!  mais  non  pas  conire  tous!  Comment  diable 

As-tu  contracté  la  manie*  ellVovable 

De  te  faire  t(^ujours.   p.ntout.  (!«->  ennrmiv'^ 

CYUAX' 

A  force  de  vous  voir  vous  faire  des  amis. 
Et  rire  a  ces  amis  dont  vous  avez  des  foules. 
D'une  bouche  empruntée  au  derrière  des  poules! 
J  aime  raréfier  sur  mes  pas  les  saluts, 
El  m'écrie  avec  joie  :  un  ennemi  de  plus! 

m:   iuu  r. 
Quelle  aberration  ! 

CYUANO. 

Eh  bien  I  oui,  c'est  mon  vice. 
Déplaire  est  mon  plai-ir.  J'aime  qu'on  me  haïsse. 
Mon  cher,  si  tu  savais  comme  l'on  marche  mieux 
Sous  la  pistolélade  excitante  des  \eu\! 
Comme,  sur  les  pourpoints,  font  d'amusantes  taches 
Le  liel  des  envieux  et  la  bave  des  lâches! 
—  Vous,  la  molle  amitié  dont  vous  vous  entourez, 
Ressemble  à  ces  grands  cols  d'Italie,  ajourés 
Et  flottants,  dans  lesrpiels  votre  cou  s'eflémine  : 
On  y  est  plus  à  l'aise...  et  de  moins  haute  luine. 
Car  le  front  n'ayant  pas  de  maintien  ni  de  loi. 
S'abandonne  a  pencher  dans  tous  les  sens.  Mais  moi, 
La  Haine,  chaque  jour,  me  tuyaute  et  m'apprête 
La  fraise  dont  rcm[)ois  Ou--*  -t  IpvrF-  l.i  tétc; 

8 


86  CYUANO      DE      BERGERA.G. 

Chaque  ennemi  de  plus  est  un  nouveau  godron 
Qui  m'ajoule  une  gcne,  et  m'ajoute  un  rayon  : 
Car, pareille  en  tous  points  à  la  fraise  espagnole, 
La  llaine  est  un  carcan,  mais  c'est  une  auréole! 

LE    HRET,    après  an  silence,  passant  son  bras  sous  le  sien 

l'élis  tout  haut  l'orgueilleux  et  l'amer,  mais,  tout  bas, 
Dis-moi  tout  simplement  qu'elle  ne  t'aime  pas! 

CYRAINO,    vivement 

Tois-loil 

(Depuis  un  moment,  Christian  est  entré,  s'est  mêlé  aux  cadets;  ceux-ci 
ne  lui  adressent  pas  la  parole  ;  il  a  fini  par  s'asseoir  seul  à  une  petite 
table,  où  Lise  le  sert.) 

SCÈNE   IX 

CYRANO,  LE  BREF,  les  Cadets,  CHRISTIAN  DE 
NEUVILLETTE. 


UN    CA.DET,    assis  à  une  table  du  fond,  le  verre  en  main. 

Hé!  Cyrano! 

(Cyrano  se  retourne.) 

Le  récit P 

CYRANO  , 

Tout  à  l'heure  ! 

(II  remonte  au  bras  de  Le  Bret.  Ils  causent  bas.) 
LE    CADET,     se  levant  et  descendant. 

Le  récit  du  combat  !  Ce  sera  la  meilleure 
Leçon 

(Il  s'arrête  devant  la  table  où  est  Christian.) 

pour  ce  timide  apprentif! 

GURtSTIAN,    levant  la  tète. 

Apprentif? 

UN  AUTRE  CADET. 

Oui,  septentrional  maladif! 

CHRISTIAN. 

Maladif? 

PREMIER    CADET,    goi^uenard. 

Monsieur  de  Neuvillette,  apprenez  quelque  chose  : 


DRDXièMR      ACTE.  ■<7 

C'est  qu'il  est  un  olijrt,  clio/  nous,  doiil  ou  no  muse 
I*as  {)lus  (juc  *!•'  '•"!  Ion  dans  l'h»'»»"'    '*'in  prmlu  ! 

CliHlSII\.>f. 

(Qu'est-ce? 

UN    AUTUE    CADKT,    «luno  voix  l«rribl« 

Hc^gnnlozinoi  I 

<  (Il  poM  trois  foU,  iiivutiVimisoiiianl,  ton  Joifçt  tur  too  oet 

M'avez-vous  entendu? 

CHRlSTIA!f. 

Ah  !  c'est  le... 

ir%    AtTIlK. 

Chut!...  jamais  ce  mol  ne  se  proleicl 

fil  montre  Cvrano  f|ui   catino  ati  fon«l  avfo  Lo  Brcl   , 

Ou  c'est  à  lui,  là  bas,  {\\w  l'on  aurait  alTairc! 

UN    AUTRK,    q»ii,  pemlant   qu*il    éinii  Unirné    rer»   \e%  premitrt, 
e^l  Nonii  sans  f>ruit  s'asseoir  sur  U  table,  «Uns  «on  ciot. 

Deuv  nasillai'ds  par  lui   furent  extennincs 
Parce  (|u'il  lui  déplut  qu'ils  parlassent  du  nezl 

U>'    AITIU:,    (rune  voix  caverneuse,     -   9ll^^i^•*a^t  «le  sous  la  table 

où  il  s'est  ^'lissi»  à  i|nalre  |»aUcs 

On  no  peut  faire,  sans  défuncler  avant  l'âge, 
La  moindre  allusion  au  fatal  cartilage  ! 

UN    AUTHE,     liii  jxwanl  la    main  sur  réjviule. 

Un  mot  suffit!  Que  dis-jc,  un  mot?  Un  geste,  un  scull 
Et  tirer  son  mouchoir,  c'est  tirer  son  linceul  1 

SiltMice.  Tons  anlour  ilo  Ini,  les  hra»  croisés,  l«  rognnlenl  II  »«  lève 
et  va  à  (".arbon  Ja  Gaslol  Jalonx  qui,  causant  avec  uu  officier,  a  l'air  de 
ne  rien  voir. 

ciiiusriAN. 
Capitaine  ! 

CARI^O>',    se  rcliHirnant  et   le  toi»ant. 


M 


onsieui  : 


cmusriAN. 

Que  fait-on  quand  on  trouve 
Des  Méridionaux  trop  vantards?... 

GAuno.N . 

On  leur  prouve 
Qu  on  peut  être  du  Nord,  et  courageux. 

(Il  lui  tourne  le  Joe.) 


88  CYRANO      DE      13K  UGEUAG. 

CHRÏSTIAIN. 

Merci. 

PREMIER    CADET,    à  Cyrano. 

Mainleriant,  ton  récit  1 

TOUS. 

Son  récit! 

CYRANO,    redescendant  vers  eux. 

Mon  récit?... 

(Tous  rnpprciolient  leurs  escabeaux,  se  groupent  autour  de  lui,  tendent 
le  col.  Christian  s'est  mis  à  cheval  sur  une  chaise.) 

Eh  bien  !  donc  je  marchais  tout  seul,  à  leur  rencontre. 
La  lune,  dans  le  ciel,  luisait  comme  une  montre, 
Qaand  soudain,  je  ne  sais  quel  soigneux  horloger 
S'étant  mis  à  passer  un  coton  nuager 
Sur  le  boîtier  d'argent  de  cette  montre  ronde, 
Il  se  fit  une  nuit  la  plus  noire  du  monde, 
Et  les  quais  n'étant  pas  du  tout  illuminés, 
Mordions!  on  n'y  voyait  pas  plus  loin  .. 

CHRtSTlAN. 

Que  son  nez. 

(Silence.  Tout  le  monde  se  lève  lentement.  On  regarde  Cyrano  avec 
terreur.  Celui-ci  s'est  interrojipa,   stupéfait.  Attente.) 

CYRANO. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  cet  homme-là  I 

UN    CADET,    à  mi-voix. 

C'est  un  homme 
Arrivé  ce  matin. 

CYRANO,     f.iisant  un   pas  vers  Christian. 

Ce  matin? 

CARBON,    à  mi-voix. 

Il  se  nomme 
Le  baron  de  Neuvil... 

CYRANO,     vivement,  s'arrêtant. 

Âh  !  c  est  bien... 

(Il  pâlit,  rougit,  a  encore  un  îuouveaient  pour  se  jeter  sur  Christian.) 

Je... 

(Puis,  il  se  domine,  et  dit  d'une  voix  sourde.) 

Très  bien... 


s 


DEUXIKMB      AIME.  S9 

(Il  repr-n.l  ) 

Je  (lirais  (li>ric  .. 

Vv.M-  un  ivlil  (lo  r.i^e  dan»   U  \*ni 
Muiilious  !... 

(Il  oonlinue  d'un  ton  n^iartl.) 

i\nci  Ton  n'y  voyait  rien. 

(Sîiiî)our.  0(i  HO  ra<iHio  1  on   ns  remaniant., 

Et  je  marchais,  songeant  (|ue  |H:)ur  un  gueux  fort  mince 
.1  allais  inécontcnler  ([uelque  grand,  quelque  prince, 
Qiji  m'aurait  sûrement... 

ciimsnvN. 

Dans  le  nez.., 

(Tout  \e  rnomlo  se  lève,   («liristian  m  liaianc«  tur  m  cli*iat. 
CYR\N(),    d'une  voit  otraoglÀe. 

Une  dent,  — 

Q'ii  m  aurait  une  (1<miL..  et  ((u'cn  somme,  imprudent. 
J'allais  Fourrer... 

CHRlSri.VN. 

Le  nez... 

CYRANO. 

[.e  doigt...  entre  Técorce 
Tt  l'arbre,  car  ce  gran  1  pouvait  être  de  force 
A  me  faire  donner... 

ciimsi  I  vN. 
Sur  le  nez... 

CYRANO,    essuyant   la  sueur  à  *on  front. 

Sur  les  doigts. 
—  Mais  j*aj(^ulai  :   .M;irche,  Gascon,  lais  ce  (pie  dois! 
Va,  Cyrano!   Et  ce  disant,  je  ine  hasarde. 
Quand,  dans  l'ombre,  quchpiiiu  me  porte... 

CHRIS  Ii\N. 

Une  nasarde, 

CYU VNO. 

Je  la  pare,  et  soud  un  m*3  trouve... 

<:IÎU1STI\N. 

Nez  à  nez... 
8. 


go  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRANO,     bondissant  vers  lui 

Ventre-Saint-Gris  1 

(Tous  les  Gascons  se  précipitent  pour  voir  :  arrivé  sur  Christian,  il  se 
maîtrise  et  continue.) 

avec  cent  braillards  avinés 
qui  puaient... 

CHRISTIAN. 

A  plein  nez... 

CYRANO,     blême  et  souriant. 

L'oignon  et  la  litharge! 
Je  bondis,  front  baissé... 

CHRISTIAN. 

Nez  au  vent". 

CYRANO. 

et  je  charge  I 
J*en  estomaque  deux!  J'en  empale  un  tout  vif! 
Quelqu'un  m'ajuste  :  Paf!  et  je  riposte... 

CHRISTIAN. 

Pif! 

CYRANO,    éclatant. 

Tonnerre  !  Sortez  tous  ! 

(Tous  les  cadets  se  précipitent  vers  les  portes.) 
PREMIER    CADET. 

C'est  le  réveil  du  tigre! 

CYRANO. 

Tous  !  Et  laissez-moi  seul  avec  cet  homme  ! 

DEUXIÈME     CADET. 

Bigre! 
On  va  le  retrouver  en  hachis  I 

RAGUENEAU. 

En  hachis? 

UN    AUTRE     CADET. 

Dans  un  de  vos  pâtés  ! 

RAGUENEAU. 

Je  sens  que  je  blanchis, 
Et  que  je  m'amollis  comme  une  serviette! 

CARBON. 

Sortons  ! 


DEUXiftMR      ACT^.  «J I 

i  N   AI  I un. 
Il  n'en  va  pas  laisser  une  niinlli^! 

Uîf    AUTIIE. 

Ce  qui  va  su  passer  ici,  j*ea  meurs  d  cllroi! 

l'N    Al'  rnr.,    rer<nrin.inl  la    porto  ilo  droîia. 

Qucl(|ae  cliose  (J'cpoiivanlable  ! 

(Ils   sont   tout    sorlis.    —    »oit   par   lo   fond,  •oit   par  1m    c^i^,    — > 
quelque»  uns  ont  •lis^tara  par  Toscalior    C^yrano  et  Chrittiao  r«aliOl  fêoe 

à  face,  et  se  roganleut  un  moment.; 

se  KM':   \ 

CYR.VNO,  CIIIUSTIAN. 

«N  K  V  NO. 

l'jnbrasse  moi  I 

CIIIUSTIVN. 

Monsieur.   . 

GYKANO. 

Brave. 

CIIIUSTIAN. 

Ah  çà  1  mais!... 

CYIIANO. 

Très  bravo.  Je  préfère. 

CHRISTIAN. 

Me  direz-vous.^... 

Embrasse  moi.  Je  suis  son  Irùrc. 

CUIUSTIAN. 

De  qui  ? 

CYRANO. 

Mais  d'elle! 

CHRISTIAN. 

Ilein;>... 

CYRANO. 

Mais  de  Roxane  ! 

CHRISTIAN,    courant  à  lui 

Ciel  ! 
Vous,  son  frère  .^ 


92  CYRANO      DE      BERGERAC 


CYRANO. 

Ou  tout  comme  :  un  cousin  fraternel. 

CHRISTIAN. 

Elle  vous  a?... 

CYRANO. 

Tout  dit  ! 

CHRISTIAN. 

M'aime-t  elle? 

CYRANO. 

Peut-être  ! 

CHRISTIAN,    lui  prenant  les  mains. 

Comme  je  suis  heureux,  Monsieur,  de  vous  connaître  ! 

CYRANO. 

Voilà  ce  qui  s'appelle  un  sentiment  soudain. 

CHRISTIAN. 

Pardonnez-moi... 

CYRANO,    le  regardant,  et  lui  mettant  la  main  sur  l'épaule. 

C'est  vrai  qu'il  est  beau,  le  giedinl 

CHRISTIAN. 

Si  vous  saviez,  Monsieur,  comme  je  vous  admire  1 

CYRANO. 

Mais  tous  ces  nez  que  vous  m'avez... 

CHRISTIAN. 


CYRANO. 

Roxane  attend  ce  soir  une  lettre. 

CHRISTIAN. 
CYRANO. 


Je  les  retire  ! 

Hélas  ! 

Quoi  ? 


CHRISTIAN. 

C'est  me  perdre  que  de  cesser  de  rester  coi  ! 

CYRANO. 

Comment? 

CHRISTIAN. 

Las!  je  suis  sot  à  m'en  tuer  de  honte.. 


DKUXIKMKACTE.  ^3 

<:\  Il  VNo. 
Mais  non,  lu  ne  l'es  pas.  |)iiis(|uc  tu  l'en  ronds  coi iipl«. 
D'ailleurs,  lu  nr  m'as  pas  alU-Kpié  comme  un  sol. 

rniusriA>J 
li.ili  !   oji  Irouve  îles  mois  (piand    ...  iM.»nlc  i  rd^>.Mii  . 
()  li.  j'ai  cerlain  es[)ii[   fatMle  cl  militaire. 
Mais  je  ne  sais,  devanl  les  femmes,  que  me  lairc. 
Oli  1  leiirs  yeux,  quand  je  passe,  onl  pour  moi  deslionlêH... 

CMl  V\0. 

I  ,(ii!  S  c.iMii  S  n'on  (Mit  ils  plus  (piand  vous  vmi"»  .im'ir/ 

«IIKISTIAN. 

Non  !  car  je  suis  de  ceux,  — je  le  sais...  el  je  IremLIr  '.  -- 
Qui  ne  savent  parler  d'amour... 

(.YHANO. 

Tiens!...  Il  me  «emble 
Que  si  l'on  ei\t  pris  soin  de  me  mieux  modeler. 
J'aurais  élé  de  ceux  qui  savent  en  [)arler. 

CnUISTIAN. 

Oh  !  pouvoir  exprimer  les  choses  avec  grâce  ! 

CYRANO. 

I^.tre  un  joli  petit  mousquetaire  qui  passe! 

CIUUSTIAN. 

Itoxane  est  |)récieuse  et  sûrement  je  vais 
Désillusionner  Uoxane  ! 

CYRANO,     resaiilanl  Christian. 

Si  j'avais 

Pour  exprimer  mon  ame  un  pareil  interprète! 

CHRISTIAN,     avec  »léses|ioir 

II  me  faudrait  de  l'élocpience  ! 

GYR.VNO,     hrusqiienient. 

Je  t'en  prête  ! 
Toi.  du  charme  physique  et  vainqueur,  prête  m'en  : 
Et  faisons  h  nous  deux  un  héros  de  roman! 

CHRISTI.VIf. 

Quoi.^ 

CYRANO. 

Te  sens-tu  de  force  à  répéter  !•<  <  hoses 


gi  CYRANO      DE      BERGERAC. 

Que  chaque  jour  je  t'apprendrai?... 

CIIRTSTIAIV. 

Tu  me  proposes?... 

CYRANO. 

Roxane  n'aura  pas  de  désillusions! 
Dis,  Ycux-lu  qu'à  nous  deux  nous  la  séduisions? 
Veux-tu  sentir  passer,  de  mon  pourpoint  de  buffle 
Dans  ton  pourpoint  brodé,  l'âme  que  je  t'insuffle!... 

CHRISTIAN. 

Mais,  Cyrano!... 

GIRAXO.  / 

Christian,  Yeux-tu? 

CHRISTIAN. 

ïu  me  fais  peuri 

CYRANO. 

Puisque  tu  crains,  tout  seul,  de  refroidir  son  cœur, 
Veux-tu  que  nous  fassions  —  ^t  bientôt  tu  l'embrases  !  — ^ 
Collaborer  un  peu.  tes  lèvres  et  mes  phrases?... 

CHRISTIAN. 

Tes  yeux  brillent!... 


CYRANO. 

Veux-tu?.. 

CHRISTIAN. 


Tant  de  plaisir?. 


Quoi  !  cela  te  ferait 


CYRANO,    avec  enivrement. 

Cela... 

(Se  reprenant,  et  en  artiste.) 

Gela  m'amuserait! 


C'est  une  expérience  à  tenter  un  poète. 
Veux-tu  me  compléter  et  que  je  te  complète? 
Tu  marcheras,  j'irai  dans  l'ombre  à  ton  côté  : 
Je  serai  ton  esprit,  tu  seras  ma  beauté. 

CHRIST  [AN. 

Mais  la  lettre  qu'il  faut,  au  plus  tôt,  lui  remettre! 
Je  ne  pourrai  jamais... 

CYRANO,    sortant  de  son  pourpoint  la  lettre  qu'il  a  écrite. 

Tiens,  la  voilà,  ta  lettre! 


Il  t  \  1 1:  M  E 

CllUtSTIA.\. 


Coiniii'iii  .* 


(   \  \{  VNO. 

Hormis  radresse,  il  n'v  manque  plus  rien. 

CIIIUSTI  K 

Je... 

CYIIANO. 

I  II  peux  renvoyer.  Sois  Iranquilio.  Lllc  est  Lien 

(.m\lSTIA?l. 

Vous  aviez  ' 

GÏRA!<0. 

Nous  avons  toujours,  nous,  dans  nos  poches 
Des  épîtres  à  des  Chloris...   de  nos  caboches, 
('ar  nous  sommes  ceux-là  rpii  pour  amnîitc  n'ont 
Que  du  rèvc  souillo  dans  la  bulle  d'un  nom!... 
Prends,  et  tu  changeras  en  vérités  ces  feintes; 
Je  lançais  au  hasard  ces  aveux  et  ces  plaintes  : 
lu  verras  se  poser  tous  ces  oiseaux  errants 
Tu  verras  que  je  fus  dans  celle  lettre  —  pr.uMr.  — 
D'autant  plus  éloquent  que  j'étais  moins  sincère! 
—  Prends  donc,  et  finissons  ! 

CHlU^^riAN. 

N*esl-il  pas  nécessaire 
De  chani^er  qucl<[ues  moLsl^  Kcritc  en  divaguant, 
Ira-t-elleà  Uoxane? 

CYRA?îO. 

l^lle  ira  comme  un  gauti 

cnuisriAN. 

Mais... 

CYUAN' 

La  crcdiiuic  de  l'aipour  pi<'j)iu  tm  unr, 
Que  Pioxano  rroiî\i  que  c'est  écrit  pour  elle! 

Ah  !  irion  ami  1 

(H  se  jette  dans  les  bras  de  Cyraao.   Us  resteoi  embrassds.) 


<j6  C\KA^O      DK      liLKGEUAG. 

SCÈNE   XI 

CYRANO,    CHRISTIAN,    les    Gascons,   le    Mousquetaire, 

LISE. 

UN    CADET,     entr'ouvrant  la  porte. 

Plus  rien...  Un  silence  de  mort... 
Je  n'ose  regarder... 

(U  passe  la  lète.) 

HeinP 

TOUS    LES    CADETS,     entrant  et  voyant  Cyrano  et  Ciirislian 
qui  s'embrassent. 

Ah!...  Oh!... 

UN    CADET. 

C'est  Irop  forl  ! 

(Constei  iialion.  i 
LE    MOUSQUETAIRE,    goguenard. 

Ouais?... 

CARBON. 

Notre  démon  est  doux  comme  un  apôtre  ! 
Quand  sur  une  narine  on  le  frappe,  —  il  tend  l'autre  ? 

LE    MOUSQUETAIRE. 

On  peut  donc  lui  parler  de  son  nez,  maintenant?... 

(Appelant  Lise,  d'un  air  triomphant.) 

—  Eh  !  Lise  !  Tu  vas  voir  ! 

(Humant  l'air  avec  alTectation.) 

Oh!...  oh!...  c'est  surprenant! 
Quelle  odeur!... 

(Allant  îi  Cyrano,  dont  il  regarde  le  nez  avec  impertinence.) 

Mais  monsieur  doit  l'avoir  reniflée? 
Qu'est-ce  que  cela  sent  ici?... 

CYRANO,    le  souffletant. 

La  giroflée! 

(Joie.  Les  cadets  ont  retrouvé  Cyrano  ;  ils   font   des   culbutes.  Rideau.) 


THOISIKMi:  A(  Ti: 


LE    liAISKU    DE   HOXANE 


TIUMSIIMK    \(TF 


LE    BAISKU    I)K    UOXANE 


Une  petite  place  dans  Tancion  Marais.  Vieilles  roaiionH    Penp©o- 
livcs  <lo  ruollcs.  A  clmilc,  la  maison  i\c  Rox. 
din  qui  (li'l)or(lcnt  i\r  lar^r»*  iVuillagcs.  An  «; 
et  balcon.  Un  banc  tievanl  lo  scnil. 

Dn   lierre  grinip<^  ;••'  """*.  •'"    '«-'"•»>   .  n  Murlnn.l.    !..  îi.I...fi    fr\. 
sonne  et  retombe. 

Par  le   banc  et  les  picrro  eu    .^aillic  du   mur,  on  p^ul   Ux:ilcniLnl 
grimprr  au  balcon. 

En   face,  nne   ancienne  maison   do  même  st_>le,  bricpie  et  pi»  rr.\ 

avec  une  porlc   d'entrée.    Lo  bcMirlnir   »! '••  ■    •-»•  ■ -•   -••■•'■.'     •- 

de  lim^e  comme  un  ponce  malad»'. 

Au  lever  du  rideau,  la  duèf:îie  csi  a^^i>4j  sur  le  Ljuic.  La  Icncli' 
grande  ouverte  sur  le  balcon  ilo  U«>xanr. 

Près  de  la  duègne  se  tient  debout  Ragueneau,  v^tu  dune  sort*    : . 
livrée  :  il  termine  un  récit,  en  sVsstjvant  b?  veux. 


COO  C\llANO      DE      BERGERAC. 

SCÈNE    PREMIÈRE 

UAGUENEAU,  la  Duègne,  puis  ROXANE,  CYRANO 
ET  DEUX  Pages. 

RAGLENEAU. 

...Et  puis,  elle  est  partie  avec  un  mousquetaire! 
Seul,  ruiné,  je  me  penJs.  J'avais  quitté  la  terre. 
Monsieur  de  Bergerac  entre,  et,  me  dépendant, 
Me  vient  à  sa  cousine  offrir  comme  intendant. 

LA    DLÈGINE. 

Mais  comment  expliquer  cette  ruine  oii  vous  êtes? 

RAGUENEAU. 

Lise  aimait  les  guerriers,   et  j'aimais  les  poètes! 
Mars. mangeait  les  gâteaux  que  laissait  Apollon  : 
—  Alors,  vous  comprenez,   cela  ne  fut  pas  long! 

LA    DUÈGNE,     se  levant  et  appelant  vers  la  fenêtre  ouverte. 

Roxane,  êtes-vous  prête .^...  On  nous  attend! 

LA  VOIX    DE    ROXANE,    par  la  fenêtre. 

Je  passe 
Une  mante! 

LA  DUÈGNE,    à  Ragueneau,  lui  montrant  la  porte  d'en  face. 

C'est  là  qu'on  nous  attend,  en  face. 
'Chez  Clomire.  Elle  tient  bureau,  dans  son  réduit. 
On  y  lit  un  discours  sur  le  Tendre,  aujourd'hui. 

RAGUENEAU. 

Sur  le  Tendre? 

LA  DUÈGNE,     n>inamlant. 

Mais  ouil.,. 

(Criant  vers  la  fenêtre.) 

Roxane,  il  faut  desrendre, 
Ou  nous  allons  manquer  le^discours  sur  le  Tendie! 

LA   VOIX    DE    ROXANE. 

Je  viens  ! 

(On  enlcntl  un  bruit  d'instruments  à  cordes  qui  se  rapproche  ) 
LA    VOIX   DE   CYRANO,    chantant  dans  la  coulisse. 

La!  la!  la!  la! 


TROISIKMR      ACTB.  101 

I.V    DlkCNF,    turprÎM. 

On  nous  joue  un  morceau? 

CYRANO,     suivi  lie  deux   fwiget  {lorlciirt  <le  th«-orl.M. 

Je  VOUS  (lis  que  la  croche  est  Iriplo,  triple  sol  ! 

PIU:M1I:R    PA(;E,     ironique 

Vous  savez  donc.  Monsieur,  si  les  croches  sont  triples? 

CYIVANO. 

Je  suis  musicien,  comme  tous  les  disciples 
De  (iass(Muii  ! 

I.K     PAGE,    jo.uia    .1    Lli.inlanl 

La!  la! 

CVriANO,       lui  arrai  liant  le  thi'orbe  et  continuftnt  la  plira«e  muticaU. 

Je  peux  continuer!... 

I.aî   la!   la!   la! 

1U)XANF,     paraissant  sur  le  baicoD. 
C'est   VOUS.^ 

CMlVNO,    clianlaul  sur  l'air  qu*!!  contiDue. 

Moi  qui  viens  saluer 
Vos  lv<.  «'t  présenter  mes  respect^  '•  ^-k  ro ses! 

UOXANE. 

Je  descends! 

(Elle  quitte   le  halcon  ) 

LA    1)1  EGNE,     niontranf   les    pages. 

Qu'est-ce  donc  (pie  ces  deux  \irtuoses? 

CVHANO. 

C'est  un  pari  que  j'ai  gagné  sur  d'Assoucy. 

Nous  discutions  un  point  de  grammaire.  —  Non  !  — Si  î  — 

QiKuui  soudain  me  montrant  ces  deux  grands  escogriiles 

Habiles  à  gratter  les  cordes  de  leur  grilVes. 

El  dont  il  fait  toujours  son  escorte,  il  me  dit  : 

"  Je  te  parie  un  jour  de  musique!   »  Il  penlit. 

.Jusqu'à  ce  que  Pluchus  recommence  son  oibe, 

J'ai  donc  sur  mes  talons  ces  joueurs  de  théorbe. 

De  tout  ce  que  je  fais  harmonieux  témoin-!.  . 

Ce  fut  d'abord  charmant,  et  ce  l'est  déjà  moins. 

^^Aux  musiciens  ) 

Hep!...  Allez  de  ma  part  jouer  une  pavane 

9- 


102  CYRANO      DE      BERGERAC. 

A  Montfleury  ! . . . 

(Les  pages  remontent  pour  sortir.  —  A  la  duègne.) 

Je  viens  demander  à  Roxane 
Ainsi  que  chaque  soir... 

(Aux  pages  qui  sortent.) 

Jouez  longtemps,  —  et  faux  ! 

(A  la  duègne.) 

...  Si  l'ami  de  son  âme  est  toujours  sans  défauts? 

ROXANE,    sortant  de  la  maison. 

Ah!  qu'il  est  beau,  qu'il  a  d'esprit  et  que  je  l'aime  1 

CYR/VNO,    souriant. 

Christian  a  tant  d'esprit.^... 

ROXANE. 

Mon  cher,  plus  que  vous- même  J 

CYRANO. 

J'y  consens. 

ROXANE. 

Il  ne  peux  exister  à  mon  goût 
Plus  fin  diseur  de  ces  jolis  riens  qui  sont  tout. 
Parfois  il  est  distrait,  ses  Muses  sont  absentes  ; 
Puis,  tout  à  coup,  il  dit  des  choses  ravissantes! 

CYRANO,     incrédule. 

Non? 

ROXANE. 

C'est  trop  fort  !  Voilà  comme  les  hommes  sont  : 
Il  n'aura  pas  d'esprit  puisqu'il  est  beau  garçon  ! 

CYRANO . 

Il  sait  parler  du  cœur  d'une  façon  experte? 

ROXANE. 

Mais  il  n'en  parle  pas,  Monsieur,  il  en  disserte! 

CYRANO. 

Il  écrit? 

ROXANE . 

Mieux  encor!  Ecoutez  donc  un  peu  : 

(Déclamant.) 

((  Plus  ta  me  prends  de  cœur,  plus  j'en  ai!...  » 

(Triomphante.) 

Eh!  bien! 


TROISIEME     ACTE.  lo3 

CYHAl^O. 

Pt'uh!.. 

Et  ceci  :  «   Pour  sonfjrir,  [mls<iu  u  m  en  faut  un  autre. 
Si  vous  gardez  mon  cœury  envoyez  moi  le  vôtre!  » 

CYIIAX). 

Tanlût  il  en  a  trop  et  tantôt  pas  assez. 
<Ju*cst-ce  au  juste  (ju'il  veut,  de  cœur?... 

ROXANE,     frappant  du  pied. 

\  nu^  lu  a^'accz 
C'est  la  jalousie... 

CYRANO,    Irotsaillaiit 

Hein:... 

ROXANE. 

...craulciir  qui  vous  dévore 
—  Et  ceci,  n'est  il  pas  du  dernier  tendre  encore.^ 
u  Croyez  que  devers  vous  mon  eœur  ne  J ait  qaun  cri, 
FA  (/ue  si  les  baisers  s^envoyaient  par  écrit. 
Mndtune,  volls  liriez  ma  lettre  avec  les  li*vres!.      " 

CYIIANO,     souriant  malgré  lui  de  Mtisfnclion 

11. il  liai  ces  lignes-là  sont...  hé!  hé! 

(Se  reprenant  cl  av» 

mais  bien  n  .. 

ROXANB. 

El  reci... 

CYIIANO.    ravi 

Vous  savez  donc  ses  lettres  par  cœur.^ 
Toutes  ! 

GYUVX),     Irisant  sa  mousloclie 

11  n'y  a  pas  à  dire  :  c'est  flatteur! 

IlOXANE. 

Zl'est  un  maître! 

CYRANO,    modeste. 

Oh  1 ...  un  maître  !... 

ROX.VNE,     péremptoire 

Un  maître !..• 


«a4  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRANO,    saluant. 

Soit  !...  un  maître! 

LA    DUEGNE,    qui  était  remontée,  redescendaut  vivement. 

^Jonsieur  de  Guiche! 

(A  Cyrano,  le  poussant  vers  la  maison.) 

Entrez!...  car  il  vaut  mieux,  peut-être, 
Qu'il  ne  vous  trouve  pas  ici;  cela  pourrait 
Le  mettre  sur  la  piste... 

ROXA?sE,    à  Cyrano. 

Oui,  de  mon  cher  secret! 
îl  m'aime,  il  est  puissant,  il  ne  laut  pas  qu'il  sache! 
Il  peut  dans  mes  amours  donner  un  coup  de  hache! 

Cl"RA?s'0,     entrant  dans  la  maison. 

Bien  !  bien  !  bien  ! 

(De  Guiche  paraît.) 

SCÈNE   II 

ROXANE,  DE  GUICHE,  la  Duègne,  à  l'écart. 

ROXAIVE,    à  de  Guiche,  lui  faisant  une   révérence. 

Je  sortais. 

DE   GLICUE. 

Je  viens  prendre  congé. 

ROXANE. 

Vous  partez  ? 

DE    C.LlCIi'E. 

Pour  la  guerre. 

ROXANE. 

Ah! 

DE    G  LIGUE. 

Ce  soir  même. 

ROXANE. 

Ah! 

DE    GLICHE. 

J'ai 
Des  ordres.  On  assiège  Arras. 


TROisiiiMi;    A.   i  ...  io5 

ROXA?IE. 

Ah  !...  on  assiège?... 
DE  r.nciiE. 
Oui...  Mon  (Jt'pail  a  l'air  de  vous  laisser  de  neige. 

nOXANC,     fKjiimoQl. 

Oh!... 

DE     (.1  HAIE. 

Moi,  je  suis  navré.   Vous  reverrai  je ?...  ()uanJ? 
—  Vous  savez  que  je  suis  nommé  meslrc  do  camp? 

KOX.VNE,     iniliiïércut©. 

Bravo. 

in.  <.i  iche. 
Du  ré^^iment  des  gardes. 

UOXANE,     saisie. 

Ah?  des  gardes? 

DE    G l  ICHE. 

Où  sert  votre  cousin,   l'homme  aux  phrase^  Naiiiardes. 
Je  saurai  ir.e  venger  de  hii,  là  has. 

ROXANC,     ?uiïo<iiic«. 

Comment! 
Les  gardes  vont  là  bas-' 


DE    GUICHi:,     n.mt 

Tiens  '.  c'es 

ROXANE,    tombant  a^isise  sur  le  banc,  — à  |>arl 


Tiens  '.  c'est  mon  régiment  ! 


Christian  ! 

DE    GlICHD. 

Qu'avez- vous? 

ROXANE,     loule  rmiio. 

Ce...  départ.,  me  déses|>ère! 

Quand  on  lient  à  que](pi'un,  le  savoir  à  la  guerre! 

DE    CLICHE,    surpris  el  cbarrae. 

Pour  la  première  fois  me  dire  un  mot  ?i  doux. 
Le  jour  de  mon  dé[)arl  ! 

ROXANE,     cbangennl  île  Ion  et  sévenljnl 

Alors,  —  vous  allez  vous 
Venger  de  mon  cousin?... 


I06  GYUaNO      de      BERGERAC 


Vous  le  voyez? 


DE    GUICIIE,    souriant. 

On  est  pour  luiP 

ROX  A?sE . 

Non,  —  contre! 

DE    GUICHE. 
ROXA?sE. 

Très  peu. 


DE    GLICHE. 

Partout  on  le  rencontre 
Avec  un  des  cadets... 

(Il  cherche  le  nom.) 

ce  Neu...Yillen...viller... 

ROXANE. 

Un  grand? 

DE    GUICHE. 

Blond. 

R0XA>E. 

Roux. 

DE    GLIGHE. 

Beau  ! 

roxa:\e. 

Penh  I 

DE    GUICHE. 
ROXA?fE. 


Mais  bête. 

Il  en  a  l'air! 


(Changeant  Je  ton.) 

...Votre  vengeance  envers  Cyrano,  —  c'est  peut  être 
De  l'exposer  au  feu,  qu'il  adore?...  Elle  est  piètre! 
Je  sais  bien,  moi,  ce  qui  lui  serait  sanglant! 

DE    GUICHE. 

C'est?.. 

ROXANE . 

Mais  si  le  régiment,  en  partant,  le  laissait   /^ 


ThoisiÈMK    ac:ti:.  io^ 

Avec  Sus  Gliers  cadets,  pendant  toute  la  «ni.^n.. 
A  Paris,  bras  croise'^!...  C'est  la  seule 
Un  homme  comme  lui,  de  le  faire  cnn 
Vous  voulez  le  punir?  privez  le  de  danger.  ^ 

DE    GLICIIK. 

Luc  Icinme!   uiir  khimio!   il  n'v  a  qu'une  Icmmo 
pour  in\ t'iilrr  co   loin  ! 

KOWNK. 

Il  se  rongera  l'Ame, 
Et  SCS  amis  les  poings,  de  n'être  pas  au  feu  : 
Et  vous  serez  vengé  ! 

DK    CiLICni^,    »e  rapprochant 

Vous  m'aimez  donc  un  peu! 

(Elle  sourit^ 

Je  veux  voir  dans  ce  fait  d  épouser  ma  rancune 
Une  preuve  d'amour,  Uoxane!... 

ROXANE. 

C'en  est  une. 

DK    GUICIIK,     inonlr.mt  plu<«ie(irs  plit  cachetés. 

J'ai  les  ordres  sur  moi  ipii  vont  élrc  transmis 

V  chaque  compagnie,  à  l'instant  même,  hormis... 

(Il  en  ilôtache  un  , 

Celui-ci  !  C'est  celui  des  cadets. 

(Il  le  met  clans  sa  poche.' 

Je  le  garde. 

(Riant.) 

Ah!  ahl  ah!  Cyrano!...  Son  humeur  bataillarde  !... 
—  Vous  jouez  donc  des  tours  aux  gens,  vous?... 

ROXANE,     le  regardant. 

Quelquefois, 

I)K    CLICUE,     lu.u  i.rèi  d'elle. 

Vous  m'affolez!  Ce  soir  —  écoutez  —  oui,  je  dois 
Être  parti.  Mais  fuir  quand  je  vous  sons  émue!... 
Écoutez.  Il  y  a,  près  d'ici,  dans  la  rue 
D'Orléans,  un  couvent  fondé  par  le  syndic 
Des  capucins,  le  Père  Alhanase.  Un  laïc 


I08  CYRANO      DE      BERGERAC. 

N'y  peut  entrer.  Mais  les  bons  Pères,  je  m'en  charge!... 
Ils  peuvent  me  cacher  dans  leur  manche  :  elle  est  large. 
—  Ce  sont  les  capucins  qui  servent  Richelieu 
Chez  lui;  redoutant  l'oncle,  ils  craignent  le  neveu.  — 
On  me  croira  parti.  Je  viendrai  sous  le  masque. 
Laisse-moi  retarder  d'un  jour,  chère  fantasque! 

ROXANNE,     vivement. 

Mais  si  cela  s'apprend,  votre  gloire... 

DE    GUICHE. 

Bah! 

ROXA?^E. 

Mais 
Le  siège,  Arras... 

DE    GUICHE . 

Tans  pis  !  Permettez  ! 

ROXA>E. 

Non! 

DE    GUIGIIE. 


Permets  ! 


ROXA^E,    tendrement. 

Je  dois  vous  le  défendre! 

DE    GUICHE 

Ah! 


ROXANE. 

Partez  ! 

(A  part  ) 


(Haut.) 

Je  vous  veux  héroïque,  —  Antoine  ! 


DE    GUICHE, 


Christian  reste. 


Mot  céleste  ! 


Vous  aimez  donc  celui?... 

ROXANE. 

Pour  lequel  j'ai  frémi. 


ïe  pars  ! 

(Il  lut   bai^o  la  iiinin  ) 

Lies- VOUS  conleiile? 

ïiUWSE. 

Oui,  mon  ami  ! 

(Il  tort.) 
!. A     I>l  i:(.>F.     lui  fai^inl  l'ann  le  Joi  unt  ri*v^renc«  coiuiuuc. 

Oui,   innn  ami  1 

I;«»\vm:,     à  la  ilmune. 

Taisons  ce  que  je  viens  de  faire  : 
Cvrano  m'en  voudrait  de  lui  voler  sa  guerre! 

(Klle  af)[)elle  vers  la  inaisoo.) 

Cousin  ! 


scèm:  m 

ROXANE,  i.A  Dlèg.ne,  CYRANO. 

UO\A>E. 

Nous  allons  chez  Clomire. 

tlle  ilé-igne  la  |»  ru*    i  <n  i.icr   i 

Altandie  j  doit 
Parler,  et  Lysinion  ! 

LA    DUÈGNE,     incitant  son  petit  iloij^t   <Ian«    son  oreille. 

Oui  !  mais  mon  prlit  doigt 
Dit  qu'on  va  les  manf|uer! 

G\IIA>0,     à  Roxane. 

Ne  manquez  pas  ces  singes. 

(Ils  sont  arrivés  devant  la  (>orle  de  Clomire.  i 

I, A    DUlCCiNE,     avec   ravissement 

Oh  !  voyez!  le  heurtoir  est  entouré  de  linges!... 

(Au  heurtoir.^ 

On  vous  a  bâillonne  pour  que  votre  métal 

Ne  troublât  pas  les  beaux  discours,  —  petit  brutal! 

^Elle  le  soulève  avec  «.les  soins  infinis  et  frappe  lioucem^nl 


IIO  C  Y  II  A  NO      DE      BERGERAC. 

ROXANE,    voyant  qu'on  ouvre. 

Entrons!... 

(Du  seuil,  à  Cyrano.) 

Si  Christian  vient,  comme  je  présume, 
Qu'il  m'attende! 

CYRANO,    vivement,  comme  elle  va  disparaître 

Ah!... 

(Elle  se  retourne.) 

Sur  quoi,  selon  votre  coutume. 
Comptez-vous  aujourd'hui  l'interroger.^ 

ROXANE. 

Sur... 

CYRANO,    vivement. 

Sur? 

ROXANE. 

Mais  VOUS  serez  muet,  là-dessus! 

CYRANO. 

Comme  un  mur. 

ROXANE . 

Sur  rien!...  Je  vais  lui  dire  :  Allez!  Partez  sans  bride! 
Improvisez.  Parlez  d'amour.  Soyez  splendide  ! 

CYRANO,    souriant. 

Don. 

ROXANE. 

Chut!... 

CYRANO. 

Chut!... 

ROXANE. 

Pas  un  mot  ! . . 

l^Elle  rentre  et  referme  la  porte.) 
CYRANO,    la  saluant,  la  porte  une  fois  fermée. 

En  vous  remerciant, 

(Ea  porte  se  rouvre  et  Roxane  passe  la  tète.) 

ROXANE. 

Il  se  préparerait!..- 


THOISIKMB     ACTE.  III 

CMIVNO. 

Diable,  non  !... 

TOUS    LES    DErx,    cn»«ahU 

Chut:... 

L«  porta  M  ferme  ) 
CYR.V:i(>,    âp(>«lant 

Christian  I 

sgenl:  iv 

(:m;a\o.  riîHisTiw 

CYRANO. 

.lo  sais  tout  ce  c|n'il  laul.   Pn'pare  ta  nuMuoire. 
Voici  l'occasion  de  se  couvrir  de  ^doirc. 
Ne  perdons  pas  de  temps.  Ne  prends  jkis  l'air  grognon. 
Vile,  rentrons  chez  loi,  i<'  vais  l'ap[)rendre... 

cnuisriAN. 

Non! 
cyra:ho. 
Ilein? 

CnUISTI  VN. 

Non!  J'attends  Roxane  ici. 
i  \n\\(). 

De  quel  vertige 
Es-tu  frappé?  Viens  vile  apprendre... 

cniu^riAN. 

Non,  te  dis-jel 
Je  suis  las  d'em|)runter  m(»s  lettres,  mes  discours, 
Et  de  jouer  ce  rôle,  et  de  lrend)ler  toujours!... 
C'était  bon  au  début!   Mais  je  sens  ([u'elle  m'aime! 
Merci.  Je  n'ai  plus  peur.  Je  vais  parler  moi  même. 

CYRANO. 

Ouais  ! 

CUHISTIAN. 

Et  qui  le  dit  que  je  ne  saurai  par?... 
Je  ne  suis  pas  si  bêle  à  la  fin!  Tu  verras! 
Mais,  mon  cher,   tes  leçons  m'ont  été  profitables. 
Je  saurai  parler  seul!  Et,  de  par  tous  les  diable^^ 


112  CYKA^O      DE      BERGERAC. 

Je  saurai  bien  toujours  la  prendre  dans  mes  bras!... 

(Apercevant  Roxane,  qui  ressort  de  chez   Clomire.) 

—  C'est  elle  !  Cyrano,  non,  ne  me  quitte  pas  I 

CYRANO,    le  saluant 

Parlez  tout  seul,  Monsieur. 

(U  disparaît  derrière  le  mur  du  jardin.) 

SCÈNE   V 

CHRISTIAN,  ROXANE,  quelques  Précieux  et  Précieuses, 
et  LA  DuÈGiNE,  un  instant. 

ROXAjVE,    sortant  de  la  maison  de  Clomire  avec  une  compagnie 
qu'elle  quilte  :  révérences  et  saluts. 

Barthénoïde!  —  Alcandie!  — 
Grémione  1... 

LA    DUEG^NE,     désespérée. 

On  a  manqué  le  discours  sur  lo  Tendre! 

(Elle  rentre  chez  Uoxane.) 
ROXANE,    saluant  enjore. 

Urimédonte  ! . . .  Adieu  I . . . 

(Tous  saluent  Roxane,  se  resaluent    entre   eux,    se  séparent  et  s'éloi- 
gnent par  différentes  rues.    Roxane  voit   Christian.) 

C'est   VOUS  !... 

(Elle  va  à  lui.) 

Le  soir  descend. 
"     Attendez.  Ils  sont  loin.  L'air  est  doux.  Nul  [)assant. 
Asseyons-nous.  Parlez.  J'écoute. 

CHRISTIAN,    s'assied  près  d  elle,  sur  le  banc    Un  silence. 

Je  vous  aime. 

ROXANE,     fermant  les  veux. 

Oui,  parlez -moi  d'amour. 

CHRISTIAN. 

Je  t'aime. 

ROXANE. 

C'est  le  thème. 
Brodez,  brodez. 

CHRISTIAN. 

Je  vous... 


^.  ■  i» 


laiOlSlÈMB     ACTB.  ni 

ROW.M  . 

Brodez  ! 

CIlUISriAN. 

Je  t  aiinc  Uiit. 

lu  i\    V  M 

Sans  doute.  El  puis? 

CIIIUSTIVN. 

l']l  puis...  je  seraL^  si  conlrni 
Si  vous  ui'aiiuiez!  — Dis  moi,  Uoxaue,  (pi"  »"    iraiiiîosJ 

IIOVANK,     avec  un©  moue 

\(Mj<  p.rollV  z  du  hrouct  quand  j'espérais  des  crèmes! 
hiics  un  [)(Mi  comment  vous  m'aimez?... 

CMIUSriAN. 

Mais...  beaucoup 

ROXAM.. 

Oli...  Drlabyrinlhez  vos  sentiments! 

C.MHIsri  V\,     qui  s'ol  rapproclij  cl  dévore  îles  ym  m  iiiii|iir  blonde. 

Ton  cou  1 
Je  voudrais  l'embrasser!... 

U()\A>E. 

Clirislia.i! 

CIIHISTIAN. 

Je  t'aime! 

RO.XANE,     voulant  se  lever. 

Encore! 

CinUSllAN,     viveiuenl.    la    rtlonr.nl 

Non  !  je  ne  t'aime  pas  ! 

ROXANE,     se  rasscvant. 

C'est  heureux  ! 

CUIUSI  lAN. 

Je  t'adore! 

ROXANE,    se  levant  ot  s'éloignant. 

Oh! 

CHRISTIAN. 

Oui...  je  deviens  sot! 

ROXA>'E,     sèchement 

Ht  cela  me  dopl.iil  ! 
Comme  il  me  déplairait  que  vous  devinssiez  laid. 

lo. 


3l4  CYRANO      DE     BERGERAC. 

CHRISTIAN. 

Mais... 

ROXANE. 

Allez  rassembler  votre  éloquence  en  fuite! 

CHRISTIAN. 

Je... 

ROXANE. 

Vous  m'aimez,  je  sais.  Adieu. 

(Elle  va  vers  la  maison.) 
CHRISTIAN. 

Pas  tout  de  suite! 
Je  vous  dirai... 

ROXANE,    poussant  la  porte  pour  rentrer. 

Que  vous  m'adorez...  oui,  je  sais. 
Non  I  non  !  Allez-vous-en  ! 

CHRISTIAN. 

Mais  je... 

(Elle  lui  ferme  la  porte  au  nez.) 
CYRANO,    qui  depuis  un  moment  est  rentré  sans  être  vu 

C'est  un  succès. 

SCÈNE   VI 

CHRISTIAN,  CYRANO,  les  Pages,  un  instant. 

CHRISTIAN. 

Au  secours  ! 

CYRANO. 

Non  monsieur. 

CHRISTIAN. 

Je  meurs  si  je  ne  rentre 
En  grâce,  à  Tinslant  même... 

CYRANO. 

Et  comment  puis-je,  diantre  ! 
I^ous  faire  à  l'instant  même,  apprendre.^... 

CHRISTIAN,    lai  saisissant  le  bras. 

Oh  !  là,  tiens,  vois! 

(La  fenêtre  du  balcon  s'est  éclairée.) 


CVUA.XO,    hnu 

Sa  lenèlrcl 

Crmi^^TIVN.       riant. 

Jo  vais  mourir  ! 

CYRA>lO. 

Baissez  la  voixl 
ciiuisri  v\,    loiii  Lu 
Mourir!... 

La  nuit  est  noire... 

CIIRISTIAN. 

Eh!  I)icn.^ 

CYRANO. 

C'est  réparable. 
Vous  n'   méritez  pas...   Mets  loi  là.  inisrral»lel 
Là,  devant  le  balcon!  Je  nie  mclliai  dessous... 
Et  je  te  soufflerai  les  mots. 

C1I1USTI.A?Î. 

Mai... 

CYUANO. 

Taisez-vousl 

LES    PAGES,    reparaissant  au  foml,  h  CjiTâDO. 

Hep! 

CVHVN'O. 

Chili:... 

(11  leur  fait  signe  de  parler  l)as  ) 
PHEMIF  K     eA(.E,     à  mi-voix 

Nous  venons  de  donner  la  sérénade 
A  Monllleury  !... 

C\KA>-0,    bas.  vite. 

Allez  vous  mettre  en  embuscade 
L'un  à  ce  coin  de  rue,  et  l'autre  à  celui  ci  : 
El  si  c|uelnue  passant  gênant  vient   par  ici. 
Jouez  un  air! 

DEUXIÈME    PAGE. 

Quel  air,  monsieur  le  gassendiste? 


Il6  CYRANO     DE      BERGERAC. 

CYRANO. 

Joyeux  pour  une  femme,  et  pour  un  homme,  triste! 

(Les  pages  disparaissent,   un  à  chaque  coin  de  rue.  —  A  Christian.) 

Appelle  la! 

CHRISTIAN. 

Roxanci 

GYR.VNO,    ramassant  des  cailloux  qu'il  jette  dans  les  vitres. 

Attends  !  Quelques  cailloux. 

SCÈNE   YII 

ROXANE,  CHRISTIAN,  GYR.OO,  d'abord  caché 
sous  le  balcon. 

ROXAXE,    entr'ouvrant  sa  fenêtre^ 

Qui  donc  m'appelle.^ 

CHRISTIAN. 

Moi. 

ROXANE . 

Qui,  moi.^ 

CHRISTIAN . 

Christian. 

ROXANE,    avec  dédain. 

C'est  vous? 

CHRISTIAN. 

Je  voudrais  vous  parler. 

CYRANO,    sous  le  balcon,  à  Christian. 

Bien.  Bien.  Presque  à  voix  basse. 

ROXANE. 

Non!  Vous  parlez  trop  mal.  Allez -vous-enï 

CHRISTIAN. 

De  grâce I... 

ROXANE. 

Non!  Vous  ne  m'aimez  plus! 

CHRISTIAN,    à  qui  Cyrano  souffle  ses  mots. 

M'accuser,  — justes  dieux  I  — 
De  n'aimer  plus...  quand...  j'aime  p'us! 


T1IOI8IKMI2      ACTF.  1 1 - 

I\OT  \NE,    qui  allait  refermer  ta  (euêire,  •arrêtant 

Tiens!  mais  c  cbt  inici:^! 

CliniSTIA^,    même  jeu 

I/ainc)ur  grandit  hcrcr  dans  mon  i\nic  in(|ni('lo... 
Que  ce...  cruel  niarniot  |>ril   pour  ..   bairelnnnnilc ! 

IVOXAM:.     >avaiir.iiit  »ur  lo  l>alc<in 

(i'(\sl  mieux  1  —  Mais.   j)uis(|u*il  est  cruel,  vous  fuies  ftO> 
De  ne  pas,  cet  amour,   Irtouller  au  l>eiceau! 

CMHISTIAN,     inôine  jeu. 

Aussi  l'ai-je  tenté,  mais...   lenlative  nulle  : 
('e...  nouveau-né.  Madame,  est  un  petit...   Ilrnule. 

hoxam:. 

C'(\st  mieux  ! 

cmU^n^'S,     môme  jeu. 

De  sorte  (|u  11...   slran^nda  comme  rien... 
Les  deux  ser[)ents...  Orf^nieil  et...  Doute. 

U(>\\NE,     ^'accoudant  au  IkiIcoii 

Ail  !  c'est  très  bien. 
—  Mais  pounjuoi  [)arlcz-vous  de  façon  peu  liàlive? 
Auriez-vous  donc  la  goutte  à  l'imaginativc? 

CYR.^NO,     tirant  ('.iiri>tian  !>ous  le  Italcon  et  se  glissant  à  sa  place. 

Cliull  Cela  devient  trop  difficile!... 

ROX\>'E. 

Aujourd'hui... 
Vos  mots  sont  hésitants.   Pounpioi? 

CYR.\NO,     parlant  à  mi-voix,  comme  Christian. 

('/est  (|u'il  fait  nuit» 
Dans  cette  omhro,  à  talons,  ils  cherchent  noIk^  oreille. 

ROXA>E. 

Les  miens  n'éi)rouvent  pas  difficulté  pareille. 

CYR.iNO. 

Ils  trouvent  tout  de  suite.^  oh!  cela  va  de  soi. 
Puisque  cVst  dans  mon  C(rur,  eux,  cpie  je  les  reçoi; 
Or,  moi,  j'ai  le  cœur  grand,  vous,  l'oreille  p(lile. 
D'ailleurs  vos  mots  à  vous,  descendent  :  ils  nmhI  site. 
Les  miens  montent.  Madame  :  il  leur  faut  plus  de  temps  1 


m8  CYRANO      DE      BERGERAC, 

ROXANE. 

Mais  ils  montent  bien  mieux  depuis  quelques  instants. 

CYRANO. 

De  cette  gynmasliqne,  ils  ont  pris  l'habitude! 

ROXANE. 

Je  VOUS  parle,  en  effet,  d'une  vraie  altitude! 

CYRANO. 

Gerte,  et  vous  me  tueriez  si  de  cette  hauteur 
Vous  me  laissiez  tomber  un  mot  dur  sur  le  cœur! 

ROXANE,    avec  un  mouvement. 

Je  descends! 

CYRANO,    vivement. 

Non! 

ROXANE,    lui  montrant  le  banc  qui  est  sous  le  balcon. 

Grimpez  sur  le  banc,  alors,  vitel 

CYRANO,    reculant  avec  effroi  dans  la  nuit. 

Non! 

ROXANE . 

Gomment...  non? 

CYRANO,    que  l'émotion  gagne  de  plus  en  plus. 

Laissez  un  peu  que  l'on  profite.. 
De  cette  occasion  qui  s'offre...  de  pouvoir 
Se  parler  doucement,  sans  se  voir. 

ROXANE. 

Sans  se  voir? 

CYRANO. 

Mais  oui,  c'est  adorable.  On  se  devine  à  peine. 

Vous  voyez  la  noirceur  d'un  long  manteau  qui  traîne, 

J'aperçois  la  blancheur  d'une  robe  d'été  : 

Moi  je  ne  suis  qu'une  ombre,  et  vous  qu'une  clarté! 

Vous  ignorez  pour  moi  ce  que  sont  ces  minutes  ! 

Si  quelquefois  je  fus  éloquent.,. 

ROXANE . 

Vous  le  fûtes  ! 


TU()l>i  1        .         V  I     I  f  ||| 


Mon  lan^Mgc  jinnais  jiiM|u*ici  n  est  sorti 
De  mon  \  lai  CdMir. . . 

Poiinjuoi? 

CYHANO. 

i^arce  que...  jus<|iricî 
Je  parlais  à  travers... 

UOVA.M  . 

Quoi  ? 

CYRA?IO. 

...le  vertige  où  heinble 
Quiconque  est  sous  vos  yeux  !...  Mais,  ce  soir,  il  me  semble. 
Que  je  vais  vous  pailiM"  pour  la   première  foi>  ! 

K()\A>L. 

C'est  vrai  (jue  vous  ave/  une  tout  auln 

IIYUANO,     se  rapprocliani  avec  fie V... 

Oui,  tout  autre,  car  dans  la  nuit  qui  me  protrîre 
J'ose  èlre  enliu  moi  même,  et  j'ose... 

(Il  8'arrèle  cl,  a\ec  t^j^areroODl.) 

Où  en  élais-je.^ 
Je  ne  sais...  tout  ceci,  —  pardonnez  mon  émoi,  — 
C'est  si  délicieux...  c'est  si  nouveau  pour  moi! 

UOXANE. 

Si  nouveau.^ 

CYUANO,    bouleversé,  et  essayant  lonjoars  de  rattra{>er  *e%  mots 

Si  nouveau...  mais  oui...  d'être  sincère  * 

La  peur  d'cUe  raillé,   touj(jurs  ;ni  r<riir  ino  serre... 

Raillé  de  quoi.^ 

CYRAX) 

Mais  de...  d'un  ('lari!...  Oui,  mon  cœur 
Toujours,  de  mon  es[)rit  s'habille,  par  pudeur  : 
Je  pars  pour  décrocher  l'étoile,  et  je  m'arrête 
Par  peur  du  ridicule,  à  cueillir  la  lleurctte  ! 


f30  CYRANO     DE     BERGERAC. 

ROXANE. 


La  fleurette  a  du  bon. 


CYRANO. 

Ce  soir,  dédaignons-la  1 


ROXANE. 

Vous  ne  m'aviez  jamais  parlé  comme  celai 

CTRANO. 

Ahl  si  loin  des  carquois,  des  torches  et  des  flèches, 
On  se  sauvait  un  peu  vers  des  choses...  phis  fiaîchesî 
Au  lieu  de  boire  goutte  à  goutte,  en  un  mignon 
Dé  à  coudre  d'or  fin,  l'eau  fade  du  Ligiion, 
Si  l'on  tentait  de  voir  comment  l'àme  s'abreuve 
En  buvant  largement  à  même  le  grand  fleuve  1 

ROXANE. 

Mais  l'esprit?... 

CYRANO. 

J'en  ai  fait  pour  vous  faire  rester 
D'abord,  mais  maintenant  ce  serait  insulter 
•Cette  nuit,  ces  parfums,   cette  heure,   la  Niiture, 
Que  de  parler  comme  un  billet  doux  de  Voiture  1 

—  Laissons,  d'un  seul  regard  de  ses  astres,  le  ciel 
Nous  désarmer  de  tout  notre  artificiel  : 

Je  crains  tant  que  parmi  notre  alchimie  exquise 
Le  vrai  du  sentiment  ne  se  volatilise, 
Que  l'àme  ne  se  vide  à  ces  passe-temps  vains, 
Et  que  le  fin  du  fin  ne  soit  la  fin  des  fins! 

ROXANE. 

Mais  Tesprit?... 

CYRANO. 

Je  le  hais,  dans  l'amour  !  C'est  un  crime 
Lorsqu'on  aime  de  trop  prolonger  cette  escrime! 
Le  moment  vient  d'ailleurs  inévitablement, 

—  Et  je  plains  ceux  pour  qui  ne  vient  pas  ce  moment  ! 
Où  nous  sentons  qu'en  nous  une  amour  noble  existe 
Que  chaque  joli  mot  que  nous  disons  rend  triste! 


TROISn:ME      ACTK.  191 

U()\am:. 
Eh  bien!  si  ce  moment  est  venu  |)Our  nous  deux, 
Quels  mots  me  direz-vous? 

r.YRA^r). 
Tous  ceux,   lous  ceux,   l--.,^  irui 
Qui  me  viendront    je  vais  vous  les  jeler.  en  loulTe, 
Sans  les  mellre  '  i\  houquels  :  je  vous  aime,  j  etoufle. 
Je  t'aime,  je  s'iis  fou,  je  n'en  peux  plus,  c'est  trop; 
Ton  nom  est  dans  mon  cciMir  comme  dans  im  grelot. 
Et  comme  tout   le  tem[)s,   Koxane.  je  frissonne, 
Tout  le  temps,  le  frrelot  s'agite,  et  le  nom  sonne! 
Do  toi,  je  me  souviens  de  tout,  j'ai  tout  aime*  : 
Je  sais  que  Tan  dernier,   un  jour,  le  douze  mai, 
Pour  sortir  le  malin  lu   cliau^-eas  de  coillure! 
J'ai  tellement  pris  pour  clarté  la  chevelure 
Que,  connue  lorsqu'on  a  trop  fixé  le  soleil, 
On  voit  sur  toute  chose  onsuile  un  rond  vermeil. 
Sur  tout,  (|uaiid  j'ai  (piillé  les  feux  dont  lu  iii'inr.ndrs. 
Mon  regard  ébloui  pose  des  taches  blondes  I 

l\OXA!SE,    d'une   voii  troublée. 

Oui,  c'est  bien  de  l'amour... 

CYR.\NO. 

Certes,  ce  sentiment 
Qui  m'envahit,   terrible  et  Jaloux,  c'est  vraiment 
De  l'amour,   il  en  a  toute  la  fureur  triste! 
De  l'anjour,  —  et  pourtant  il  n'est  pas  égoïste! 
Ah!  (pie  pour  ton  bonheur  je  donnerais  le  mien, 
Quand  même  tu  devrais  n'en  savoii  jamais  rien, 
S'il  se  pouvait,  parfois,  que  de  loin,  j'entendisse 
Rire  un  peu  le  bonheur  né  de  mon  sacrifice! 
—  Chacpie  regard  de  loi  suscite  une  vertu 
Nouvelle,  une  vaillance  en  moi!  Commences-tu 
A  comprendre,  à  présent?  vovons,  te  rends  lu  compte? 
Sens-tu  mon  anie,  un  jx^u,  dans  celle  ond)re.  qui  monte?... 
Oh!  mais  vraiment,  ce  soir,  c'est  trop  beau,  c'est  Imp  doux! 
Je  vous  dis  tout  cela,  vous  m'écoutez,  moi,  vous! 
C'est  trop!  Dans  mon  espoir  même  le  moins  modeste, 
^e  n'ai  jamais  espéré  tanti   II  ne  me  reste 

11 


133  CYUANO      Di:      BERGER  A  G. 

Qu'à  mourir  maintenant!  C'est  à  cause  des  mots 
Que  je  dis  qu'elle  tremble  entre  les  bleus  rameaux  1 
Car  vous  tremblez,  comme  une  feuille  entre  les  feuilles  l 
Car  tu  trembles!  car  j'ai  senti,  que  tu  le  veuilles 
Ou  non,  le  tremblement  adoré  de  ta  main 
Descendre  tout  le  long  des  branches  du  jasmin! 

(11  baise  cperdmiicnl  l'exliénitté  d'une  Lrauclie  pendante.) 
ROXANE. 

Oui,  je  tremble,  et  je  pleure,  et  je  t'aime,  et  suis  tienne  1 
Et  tu  m'as  enivrée  ! 

CYRANO. 

Alors,  que  la  mort  vienne! 
Celte  ivresse,  c'est  moi,  moi,  qui  l'ai  su  causer! 
Je  ne  demande  plus  qu'une  chose... 

CHRISTIAN,    sous  le  balcon. 

Un  baiser! 

ROXANE,    se  rejetant  en  arrière. 


Hein  ? 

Oh! 


CYRANO. 
ROXANE. 

Vous  demandez.^ 


CYRANO. 

Oui...  je... 

(A  Christian  bas.) 

Tu  vas  trop  vite. 

CHRISTIAN. 

Puisqu'elle  est  si  troublée,  il  faut  que  j'en  profite! 

CYRANO,    à  Roxane, 

Oui,  je...  j'ai  demandé,  c'est  vrai...  mais  justes  cieuxl 
Je  comprends  que  je  fus  bien  trop  audacieux. 

ROXANE,    un  peu  déçue. 

Vous  n'insistez  pas  plus  que  cela? 

CYRANO. 

Si!  j*insiste... 
Sans  insister  !.. .  Oui,  oui!  votre  pudeur  s'attriste! 
Eh  bien!  mais,  ce  baiser...  ne  me  l'accordez  pas! 


TIIOISIÈMB     ACTB.  |»S 

CIIIUSIISN,    .'i  Cvrir....  U    tirant  par  •-"•  fnr,t<i»»M 

Pourquoi  ? 

CYKAXO. 

Tais  loi,  (ilirisliaii  ' 

KOXAM:,    m?   jxîiKlaal. 

(}\\r    (lifc-    .     u-        iil   lias? 

Mais  d't^tre  allé  trop  loin,  moi  intime  je  me  gronde; 
Je  me  disais  :  tais-toi,  Cliristian!... 

{\^%  tb(Mirlir4  %f>  tiwMtcnt   a  jou«r  ) 

On  vient! 

(Roxanc  referme  la  fomUre.  Cyrano  écoiit«  lo«  Uiot>rhe«,  •loni  lus  jcnm 
un  air  folàlre  et  l'aulre  un  air  lui^uhre  ^ 

Air  triste?  Air  gai?...  Quel  est  donc  leur  dessein? 
Est-ce  un  homme?  Une  femme?  — Ali!  resl  un  capncinl 

(Entre  un  capuoin    q  li  va  de    maison    en    maison,   une    laoterne  k  U 
main,  regardant  le*  pirtos.) 


SCÎÎNE  VIII 


CYRANO.  CIimSTIAN,  vj*  Caplcw. 

CYIIAN«  »,    au   rapM.  in. 

Quel  est  ce  jeu  renouvelé  de  Diogcne? 

T,E    CAIMCIN. 

Je  cherche  la  maison  île  madame... 

CimiSTIA?!. 

Il  nous  pêne 

i.i:    (.\i'i  «IN. 
Magdeleine  Robin... 

CHRISTIAN. 

Que  veut- il  ?... 

CYRANO,    lui  montrant  une  rtie  montante. 

Par  ici! 
Tout  droit,   toujours  tout  droit... 


\ 

12^  CYRANO     DE     BERGERAC. 

LE    CAPUCIN 

Je  vais  pour  vous 
Dire  mon  chapelet  jusqu'au  grain  majuscule. 

(Il  sort  ) 
CYRANO. 

Bonne  chance  I  Mes  vœux  suivent  voire  cucuUe! 

(Il  redescend  vers  Christian.) 

SCENE    IX 

CYRANO,  CHRISTIAN, 

CHRISTIAN. 

Obtiens-moi  ce  baiser!... 

CYRANO. 

Non! 

CHRISTIAN. 

Tôt  ou  tard... 

CYRANO . 

C'est  vrai! 
11  viendra,  ce  moment  de  vertige  enivré 
Où  vos  bouches  iront  Tune  vers  l'autre,  à  cause 
De  ta  moustache  blonde  et  de  sa  lèvre  rose  ! 

(A  lui-même.) 

J'aime  mieux  que  ce  soit  à  cause  de... 

(Bruit  des  volets  qui  se  rouvrent,  Christian  se  cache   sous  le  balcon.) 

SCÈNE   X 

CYRANO,  CHRISTIAN,  ROXANE. 

ROXANE,   s'avançant  sur  le  balcon. 

C'est  VOUS.^^ 
Nous  parlions  de...  de...  d'un... 

CYRANO. 

Baiser.  Le  mot  est  doux  ! 
Je  ne  vois  pas  pourquoi  votre  lèvre  ne  l'ose; 
S'il  la  brûle  déjà,  que  sera-ce  la  chose? 


THOIBIKMK      ACTK.  llS 

Ne  vuuî>  cil  laites  pas  un  t'pouvanlcninil  : 
N'avez-vous  pas  laiitot,   prescjue  inscnsiblomciil. 
Quille  le  bailina.re  et  glissa  sans  alamios 
Du  sourire  au  soiipir,    ol  du  snu|iir  aux  larmes I 
(ilissez  encore  un  [x'u   <riiis('n>il>lo  faron  : 
Des  larmes  au  baiser  il  n  v  a  (ju'un  IVisson  I 

ROXANK. 

raisez-vous  ! 

Un  baiser,   mais  à  loul  prendre,  qu*est  ce^ 
Tn  serment  fait  d'un  peu  plus  près,  une  promesse 
IMu>  précise,  un  aveu  (]ui   veut  se  confirmer. 
Un  point  rose  (pTon  met  sur  Pi   du  verbr  aimer; 
(i'esl  un  seiM'(ît  qui  prend  la  bouclie  pour  oreille, 
Un  instant  dinlini  qui  fait  un  bruit  d'abeille, 
line  communion  ayant  un  «:<>ù(  de  fleur, 
l  n(^  façon  diui  peu  se  respirer  le  cœur, 
El  d  un  peu  se  goûter,  au  bord  des  lèvres,  l'Ame! 

H0\  vm:. 
Taisez-vous  ! 

CYRANO. 

In  baiser,  c'est  si  noble.   Madame, 
Que  la  reine  de  France,  au  plus  beurou\  des  lorJs, 
En  a  laissé  prendre  un,   la  reine  même  I 

UOXANE. 

Alors! 

CMrVNO,    s'exallanl. 

J'eus  comme  Buckingbam  des  soulTrances  muettes. 
J'adore  comme  lui  la  reine  que  vous  êtes, 
Gomme  lui  je  suis  triste  et  fidèle... 

ho.xam:. 

El  lu  es 
Beau  comme  lui  ! 

iT.YHANO,    à  pari,  dégrisé. 

C'est  vrai,  je  suis  beau,  j'oublaisî 

ROXANF. 

Eh  bien!  montez  cueillir  cette  fleur  sans  jiareille... 


laô  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRAiVO,    poussant  Christian  vers  le  balcon 

Monte  I 


ROXANE. 

Ce  goût 

de 

cœur... 

CYRANO. 

Monte  1 

ROXANE. 

Ce  bruit  d'abeille... 

Monte  1 

CYRANO. 

CHRISTIAN,    hésitant. 

Mais  il 

me 

semble,  à  présent, 

que 

c'est 

mail 

Cet  instant  d'infini  I 

ROXANE. 

CYRANO,    le  poussant. 

Monte  donc,  animal  ! 

(Christian  s*élance,  et  par  le  banc,  le  feuillage,  les  piliers,  atteint  1m 
balustres  qu'il  enjambe.) 

CHRISTIAN. 

Ahl  Roxane! 

(Il  l'enlace  et  se  penche  sur  ses  lèvres.) 
CYRANO. 

Aïe  !  au  cœur,  quel  pincement  bizarre  1 
—  Baiser,  festin  d'amour  dont  je  suis  le  Lazare! 
Il  me  vient  de  cette  ombre  une  miette  de  toi,  — 
Mais  oui,  je  sens  un  peu  mon  cœur  qui  te  reçoit, 
Puisque  sur  cette  lèvre  où  Roxane  se  leurre 
Elle  baise  les  mots  que  j'ai  dits  tout  à  l'heure I 

(On  entend  les  théorbes.) 

Un  air  triste,  un  air  gai  :  le  capucin  ! 

Cil  feint  de  courir  comme  s'il  arrivait  de  loin,  et  d'une  voix  clairo.) 

Holà! 

ROXANE. 

Qu'est-ce? 

CYRANO, 

Moi.  Je  passais...  Christian  est  encor  là? 


TUOISIKMB     ACTB.  II7 

ciinisriA>i.   i.  >   lounp 
Cyrano  ! 

I\0\A>E. 

•  Bonjour,  cousin  ! 

Bonjour,  cousine! 

ROXANK. 

Je  desconcis  1 

(l'^llc  (lisjMi.ui    I.ini  la  iuai!M)n.  Au   fon<I  rentre  lo  v-j.,.^.u. 
cnniSTIA^Ï.    rajï^rccvânl 

01 1  !  encor 1 

(U  suit  Koian«  ) 

SCf^NE    \I 

CYRANO.  CmUSriAN,  IU)\\M:.  m  i  a,mci>, 
UACLKAKAl , 


Magdelcine  Robin  ! 


LE    CAPICIN. 

C'est  ici,  —  je  n)*c»bslinr  — 


CYRANO. 

Vous  aviez  dit  :  Ro  lin. 

LE    CAPtCLN. 

Non  :  Bin.  B,  i,  n,  bin  ! 

ROXANEy    paraissant  sur  le  seuil  de  la  maisoD,  tuivie  de  Ragiie&ea« 

qui  porte  une  lautorne,  ci  île  Christian. 

Qu'est-ce? 

LE    CAPUCIN. 

Une  lettre. 

CUniSTIAN. 

Hein? 

LE    CAPUCIN,    à  Roxane. 

Oh!  il  ne  peut  s*agir  que  d'une  sainte  chose! 
C'est  un  digne  seigneur  qui... 

ROXANE,    à  Christian. 

C'est  De  Guiche! 

CnRISTL\N. 

Il  ose?... 


128  c\l;A^o    de    bercîerag. 

ROXANE. 

Oh  !  mais  il  ne  va  pas  m'imporluner  loujours  ! 

(Décaclielanl  la  leltre.) 

Je  t'aime,  el  si... 

(A  la  lueur  de  la  lanterne  de  Ragiieneau,  elle  lit,  à  l'écart,  à  voix  basse. 

((  Mademoiselle, 

Les  tambours 
Battent;  mon  régiment  boucle  sa  soubreveste; 
Il  part;  moi,  l'on  me  croit  déjà  parti  :  je  reste. 
Je  vous  désobéis.  Je  suis  dans  ce  couvent. 
Je  vais  venir,  et  vous  le  mande  auparavant 
Par  un  religieux  simple  comme  une  chèvre 
Qui  ne  peut  rien  comprendre  à  ceci.   Votre  lèvre 
M'a  trop  souri  tantôt  :  j'ai  voulu  la  revoir. 
L audacieux  déjà  pardonné,  je  l espère. 
Qui  signe  votre  très...  et  cœtera...  » 

(Au  capucin.) 

Mon  père, 
Voici  ce  que  me  dit  cette  lettre.  Écoulez. 

(Tous  se  rapprochent,  elle  lit  à  haute  voix.) 

((  Mademoiselle, 

Il  faut  souscrire  aux  volontés 
Du  cardinal,  si  dur  que  cela  vous  puisse  être. 
C'est  la  raison  pourquoi  j'ai  fait  choix,  pour  remettre 
Ces  lignes  en  vos  mains  charmantes,  d'un  très  saint, 
D'un  tï^ès  intelligent  et   discret  capucin; 
I\ous  voulons  quil  vous  donne,  et  dans  voire  acmeure, 
La  bénédiction 

(Elle  tourne  la  page.) 

nuptiale  sur  V heure. 
Christian  doit  en  secret  devenir  votre  époux; 
Je  vous  I envoie.  Il  vous  déplaît.  Résignez-vous. 
Songez  bien  que  le  ciel  bénira  votre  zèle, 
Et  tenez  pour  tout  assuré.  Mademoiselle, 
Le  respect  de  celui  qui  fut  et  qui  sera 
Toujours  votre  très  humble  et  très...  et  cœtera.  » 


THOISIKMR      ACTR.  199 

LK    CAI'Ldl!^,     rayonnant 

Diurne  seignoiir!...  Je  l'avais  dit.  J'clais  sans  craiiUt  : 
Il  ne  pouvait  s'agir  que  irmie  cliose  saiiitrl 

ROXANK,     l>a«  à    Clirittian 

N'est-ce  pas  que  je  lis  très  Lien  les  lettres? 

«iiiiisriA^. 

Hum! 

II()\vm:,    haul,   avec  dé«6tpoir. 
Ali  ! . . .   C'est  allVrux  ! 

LE    CAPICIN,    qui  a  dirigé  sur  Cvrano  la  clarté  de  ta  lanieni» 
C'est   VOUS? 

ciiiusri  VN. 

C'est  moi  ! 

LE    CAPUCIN,    tournant  la  lumii're  vers  lui.  et.  comme  si  un  JouCe 
lui  venait,  en  voyant  ^a  lM?autc 

Mais... 

ROXA>'E,    vivement 

Posl  scni»ium  . 

<(  Donne:  pour  le  comment  cent  vin(jt  pistoles.   » 

LE    CAPLCIN. 

Digne, 

Di;.'ne  seigneur  ! 

(A  Hoxane  ) 

Résignez  VOUS  ! 

ROXANE,    en  martyre. 

Je  me  résigne  : 

(Pendant  que    ila^ucneau  ouvre  in   porte  au    capucin   que    Cbrialia» 
invite  à  entrer,  elle  dit  bas  à  Cyrano   :) 

Vous,  retenez  ici  De  Guiclie!   Il  va  venir  I 
Qu'il  n'entre  pas  tant  que... 

CYRANO. 

Compris  1 

(.\u  capucin  ) 

Pour  les  bénir 
II  vous  faut?... 

LE    CAflCIN. 

Un  quart  d'heure. 

CyR.\NO,     les  poussant  tous  ver»  la  maison 

Allez!  moi,  je  demeurcl 


l3o  CYRA^O      DE      BERGERAC. 

ROXANE,    à  Christian. 

Viens!... 

(Ils  entrent.) 

SCÈNE  XII 

CYRANO,  seul. 


CYRANO . 

Comment  faire  perdre  à  De  Guiche  un  quart  d'heure? 

(H  se  précipite  sur  le  banc,  grimpe  au  mur,  vers  le  balcon.) 

Là  1 . . .  Grimpons  ! . . .  J'ai  mon  plan  ! . . . 

(Les  théorbes  se  mettent  à  jouer  une  phrase  lugubre.) 

Ho  !  c'est  un  homme  1 

(Le  trémolo  devient  sinistre). 

Ho  !  ho  ! 
Cette  fois,  c'en  est  un!... 

(Il  est  sur  le  balcon,  il  rabaisse  son  feutre  sur  ses  yeux,  ôte  son  épée, 
se  drape  dans  sa  cape,  puis  se  penche  et  regarde  au  dehors.) 

Non,  ce  n'est  pas  trop  haut!... 

(Il  enjambe  les  balustres  et  attirant  à  lui  la  longue  branche  d'un  des 
arbres  qui  débordent  le  mur  du  jardin,  il  s'y  accroche  des  deux  mains, 
prêt  à  se  laisser  tomber.  ) 

Je  vais  légèrement  troubler  cette  atmosphère  ! . . . 


SCÈNE   XIII 

CYRANO,  DE  GUICHE. 

DE    GUICHE,    qui  entre,    masqué,  tâtonnant  dans  la  nuit. 

Qu'est-ce  que  ce  maudit  capucin  peut  bien  faire? 

CTRAINO. 

Diable!  et  ma  voix?...  S'il  la  reconnaissait? 

(Lâchant  d'une  main,  il  a  l'air  de  tourner  une  invisible  clef.) 

Cric  !  crac  I 

(Solennellement.) 

Cyrano,  reprenez  l'accent  de  Bergerac!... 


THOlSlilMK      ACIK.  l3l 

DK    (il  M:|IF.,    ref(ar(iat)t  lu   iu.u%'.n 

Oui,  c'est  la.  J'y  vois  mal.  Ce  inas«|ue  iiriiii|)ortn?!'- * 

(i\  va  pour  entrer,  C^rrano  aaiila  ilu  ImKvh)  on  m  l^nani  «  U  K 
qiii  i>lie,  el  lo  ilrjxiîMs  entre  l.n  |M)rle  et   I)e   *• 
loumcinonl,  connue  ni    criait  <lc   In!»»  haut.   . 
ro>ite  iinnioliile,  coniuiu  cloiirdi.   De  Uuiche  Uil  uu  ImAtA  «4*  «iftvt* 

Ilein?  (juoii* 

(Qii.Kul  il  lèv<^  lc!i  veut,  la  branche  a'eal  rerireaaée;  il  n»  voit  (|Ot  !• 

ciel;  il  ne  coiii|)rfiiil  imhJ 

D'où  loinhc  ilonc  cet  lioiiiiiic? 
CYUAIYO,    se  nietUint  »ur  tua  »caat,  el  avec   l'accent  de  GaacofV*. 

De  la  lune! 

DE    GLICIIE. 

De  la?... 

CYRANO,     (l'une  voix  île  rêve 

Quelle  lieure  est  il. ^ 

DE    GlICIIE. 

N'a-i  il   plus  sa  itn>«Mi  .- 

CMIAX). 

Quelle  heure?  Quel  pays?  Quel  jour?  Quelle  saison? 

DE    GLICIIE. 

Mais... 

cm; A  NO. 

Je  suis  étourdi  ! 

DE    GUICIIE. 

Monsieur... 

CMtANO. 

Comme  une  bombe 
J  e  tombe  de  la  lune  ! 

DE    GUICHE,     impatienté. 

Ah  ça  !  Monsieur! 

CYUANU,     se  rel.-^anl     .l"ut..-  v...v   loi.  il.le 

J  en  tombe  ! 

DE    GtlCHE,     reculant 

Soit!  soit!  vous  en  tombez!...  c'est  peut  eue  un  aeiuenll 

CYHAX),    niarclinnl    sur    lui. 

Et  je  n'en  tombe  pas  mclapli()ii<piemcnt  !... 

DE    GtlCUE. 

Mais... 


73a  CYRANO     DE      BERGEUAG. 

CYRAINO. 

Il  y  a  cent  ans,  ou  bien  une  minute, 
—  J'ignore  tout  à  fait  ce  que  dura  ma  chute  I  — 
J'étais  dans  cette  boule  à  couleur  de  safran! 

DE    GUICHE,     haiisi-aat  les  épaules. 

Oui.  Laissez-moi  passer  I 

CYRANO,     s'inlerposant. 

Où  suis-je?  soyez  franc  I 
Ne  me  déguisez  rien  1  En  quel  lieu,  dans  quel  site, 
Viens-je  de  choir,  Monsieur,  conmie  un  aérolithe? 

DE    GUICHE. 

Morbleu  ! . . . 

CYRANO. 

Tout  en  cheyant  je  n'ai  pu  faire  choix 
De  mon  point  d'arrivée,  —  et  j'ignore  où  je  choisi 
Est-ce  dans  une  lune  ou  bien  dans  une  lerre. 
Que  vient  de  m'entraîner  le  poids  de  mon  postère? 

DE    GUICHE. 

Mais  je  vous  dis,  Monsieur. . . 

CYRANO,    avec  ua  cri  de  terreur  qui  fait  reculer  De  Guiche. 

Ha  !  grand  Dieu  ! ...  je  crois  voir 
Qu'on  a  dans  ce  pays  le  visage  tout  noir  ! 

DE    GUICHE,    portant  la  main  à  son  visage. 

Comment.^ 

CYRANO,    avec  une  peur  emphatique. 

Suis-je  en  Alger. ^  Etes-vous  indigène?... 

DE    GUICHE,    qui  a  senti  son  masque. 

Ce  masque  1... 

CYRANO,   feignant  de  se  rassurer  un  peu. 

Je  suis  donc  dans  Venise,  ou  dans  Gêne? 

DE    GUICHE,    voulant  passer. 

Une  dame  m'attend!... 

CYRANO,    complètement  rassuré. 

Je  suis  donc  à  Paris. 


TimiSI^MK      ACTE.  |3S 


DE    C;U1CIIF.,    tourianl  malgré  lui 

Le  drùle  est  assez  drûle! 

CYnA^CO. 

Ah  !  vous  riez? 


Mais  veux  passer  ! 


DE   GUICIIE. 

Je  ris. 


CYIIVNO,     riyonianl 

C'est  à  Paris  que  je  retombe! 

(Tout  à  fait  à  !«on  ai«te,    riant.  s'i*(>oiM%etant,  Mlu.int 

J'arrive  —  evcusez-inoi  !  —  par  la  dcrnirre  tronihc. 
Je  suis  un  peu  couvert  dVther.  J'ai  vovajfé  ! 
J'ai  les  yeux  tout  i('iu[)lis  de  poudre  d'astres.  J'ai 
Aux  éperons,  encor,  (piclquos  poils  de  planète  ! 

(Cueillant  quelque  chose  sur  sa  niaiulio. 

Tenez,  sur  mon  pourpoint,  un  cheveu  de  comète  1... 

(H  âouflle  comme  |)our  le  faire  envoler.) 
DE  GtlCHE,     hors  de  lui. 

Monsieur  !... 

CYRANO,    au  moment  où   il  va   pa*5er,  t«»n<l   »a  jainl»c  comme  it-ur 
V  montrer  '|Meli|ue  rho-io  et  l'arrt'le 

Dans  mon  mollet  je  rapporte  une  dent 
De  la  Grande  Ourse,  —  et  comme,  en  Irolanl  le  Trident, 
Je  voulais  éviter  une  de  ses  trois  lances. 
Je  suis  allé  tomber  assis  dans  les  Balances.  — 
Dont  l'aiguille,  à  présent,   là-haut,  marque  mon  poids  ! 

(Empêchant  vivement  lie  (iuichc  de  |>asser  el  le  prenant  à  un  txïulon 

du  pourpoint. 

Si  vous  serriez  mon  nez,  Monsietir,  entre  vos  doigts, 
Il  jaillirait  du  lait  1 

m:  (.1  iciiE. 
Ilein?  du  lait  ?... 


ClUANO. 


De  la  Voie 


Lactée 


PK  r.ru.HE 
Oh  !    par  renier! 


la 


l34  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRANO. 

C'est  le  ciel  qui  m'envoie  1 

(Se  croisant  les  bras.) 

Non  !  croiriez  vous,  je  viens  de  le  voir  en  tombant, 
Que  Sirius,  la  nuit,  s'affuble  d'un  turban  ? 

(Confidentiel.) 

L'autre  Ourse  est  trop  petite  encor  pour  qu'elle  morde 

(Riant.) 

J'ai  traversé  la  Lyre  en  cassant  une  corde  I 

(Superbe.) 

Mais  je  compte  en  un  livre  écrire  tout  ceci. 
Et  les  étoiles  d'or  qu'en  mon  manteau  roussi 
Je  viens  de  rapporter  à   mes  périls  et  risques, 
Quand  on  l'imprimera,  serviront  d'astérisques  ! 


k  la  parfm,  je  veux 


Monsieur 


DE    CLICHE. 
CYRANO. 

Vous,  je  vous  vois  venir! 

DE    CLICHE. 


.    CYRANO. 

Vous  voudriez  de  ma  bouche  tenir 
Comment  la  lune  est  faite,   el  si  quelqu'un  habite 
Dans  fa  rotondité  de  cette  cucurbite? 

DE    GUIGHE,     criant. 

Mais  non  !  Je  veux... 

CYRANO. 

Savoir  comment  j'y  suis  monté. 
Ce  fut  par  un  moyen  que  j'avais  inventé. 

DE    GUICIIE,    découragé. 

C'est  un  fou  ! 

CYRANO,    dédaigneux. 

Je  ij'ai  pas  refait  l'aigle  stupide 
De  Regiomontanus,  ni  le  pigeon  timide 
D'Archytas  1... 

DE    GUICHE. 

C'est  un  fou,  —  mais  c'est  un  fou  savant. 


TnOI8lfMK      Al.TE.  |3S 

CIIIANO. 

Non,  je  n'iinltai  rien  de  ce  (ju'on  fil  avant  ! 

(De  (luichfl  a  rôuMÏ  k  pa«Mr  et  il  iu«rch«  ttn  U  purU  «U  Rota»*. 

('_vran<»  lu  »uil,  pn'l  à    TeiupiM^ncr  ) 

.l'iiivorUai  six   moyens  de  violer  l'azur  vierge! 

DE    GllCHE,    M  rekmrnaBl. 

Six? 

CYr\A?(0,   avec  voluhiliU 

Je  pouvais,  niellant  mon  rorps  nu  comme  un  cicrgc, 
r.e  capararonner  de  iioles  de  crislal 
Toules  pleines  des  pleurs  d'un  ciel  mntulinal, 
Et  ma  personne,  alors,  au  soleil  exposée. 
L'astre  l'aurait  humée  en  humant  la  roscc  ! 

I)K    (il  IC.NR,    Hiirprin  et  faisant  un  pas  vert  CyriDO. 

Tiens  1   Oui,  cola  fait  un  ! 

CYRANO,    reculant  {x^tir  IVntralncr  île  Taulre  cAïé. 

Et  je  pouvais  cncor 

Faire  enf^^oufTrer  du  vont,   pour  prendre  mon  essor, 
Vax  raréliaut  l'air  dans  un  cullVe  de  cèdre 
Par  des  miroirs  ardenls,  mis  en  icosaèdre  ! 

DE    (CLICHE,    fait  encore  un  pas. 

Deux! 

CYFIVNO,    reculant  toujours 

Ou  bien,   machiniste  autant  (pi'artiricier. 
Sur  une  sauterelle  aux  détentes  d'acier,  ^^ 

Me  faire,  par  (les  feux  successifs  de  saljK'tr» 
Lancer  dans  les  prés  bleus  où  les  astres  vont  paiirel 

I)F    GLIClIIi:,    le  suivant,  sans  s'en  douter,  et  comptant  sur  se*  Jui^. 

Trois  ! 

CYRA?ïO. 

Puisque  la  fumée  a  tendance  à  monter. 
En  souffler  dans  un  globe  assez  pour  m'emporler  ! 

DE   GIK^UE,    niènje  jeu.  de  plus  en  plut  ctoané. 

Quatre  ! 

CYRANO. 

Puisque  Phœbé,  quand  son  arc  est  le  moindre, 
\ime  sucer,  o  bœufs,  votre  moelle...  m'en  oindre! 


i36  CYHAKO      DE      BERGERAC. 

DE   GUlCriE,    slupélait. 

Cinq  ! 

CYUANO,     qui  en  parlant    l'a  amené  jusqu'à  Tautre  côté  de  la  place^ 

près  d'un   banc. 

Enfin,  me  plaçant  sur  un  plateau  de  fer, 
Prendre  un  morceau  d'aimant  et  le  lancer  en  l'air  ! 
Ça,  c'est  un  bon  moyen   :  le  fer  se  précipite, 
Aussitôt  que  l'aimant  s'envole,  à  sa  poursuite  ; 
On  relance  l'aimant  bien  vile,   et  cadédis  ! 
On  peut  monter  ainsi  indéfiniment. 

DE   GUICHE. 

Six! 

—  Mais  voilà  six  moyens  excellents  !...  Quel  système 
Clioisîtes-vous  des  six,  Monsieur? 

CYRANO . 

Un  septième  ! 

DE    GUICHE . 

Par  exemple  I  Et  lequel  ? 

CYRANO. 

Je  vous  le  donne  en  cent  î 

DE    GUIGUE. 

C'est  que  ce  mâtin-là  devient  intéressant  ! 

CYRANO,    faisant  le  bruit  des   vagues  avec  de  grands  gestes  mystérieux^ 

Houûli!  houûh! 

DE   GUICHE. 

Eh  bien  ! 

CYRANO. 

Vous  devinez? 

DE   GUICHE. 

Non! 

CYRANO. 

La  marée  l... 
A  l'heure  où  Tonde  par  la  lune  est  attirée, 
Je  me  mis  sur  le  sable  —  après  un  bain  de  mer  —  ' 
Et  la  tête  partant  la  première,  mon  cher, 

—  Car  les  cheveux,  surtout,  gardent  l'eau  dans  leur  frange  !  — 


THOISIÈMB      ACTE.  li^ 

Je  m'enlevai  dans  l'air,  «Iroil,  loul  droit,  comme  un  ange. 
Je  monlais,  je  montais  doiiromerit,  sans  cfTorU, 
Quaml  je  sentis  un  choc!...  Alors... 

DE  GtiCnC,   «ntralDé  par  U  curiotilé  el  •'a»«««J«nl  «ur  U  Imbo. 

Alors? 

CÏRAÎIO. 

AI0I8... 

(Reprenaiil  sa   vuix  naturrile. 

Le  quart  d'heure  est  passé,  M«)n^it'iif  ,  je  von^  .l.'livr»* 
Le  mariage  est  fait. 

DE   Gt'lCHE,    M  relevant  (Pun  Uin<l 

Çà,  voyons,  je  suis»  ivre!... 
Cette  voix  ? 

(La  pirte  de  la  maisoQ  s'ouvre,  des  la  piais  paraissent  portaol  (1m  oaa 
délabres  allumés.   Lu.aièra.  Cvranadte  aon  chapeau  au  bord  abaiaté.) 

Et  ce  nez!...  Cyrano? 

CYUWO.    saluant. 

Cyrano. 
—  Ils  viennent  à  1  iiislanl  d'échanger  leur  anneau. 

DE   GUICHE. 

Qui  cela  ? 

i  II  se  retourne  —  Tableau  Derrière  lei  laquais,  Roxaoe  ot  Chrisiiao 
se  tiennent  par  la  miln.  Le  capuoia  le-*  suit  en  souriant,  lia^eneaa 
élève  aussi  uri  (lambeau  La  Juè^ne  forme  la  marcbo,  aharie,  en  (>«tit 
saut  de  lit 

Ciel! 


SCKNK  \IV 

Les  Mèmks,   Il0\.\\'i:,  CIIRISTI \N.  le  Capucw. 
R.VGUENEAU,   Laquais,   la   DituNE. 

DE   CLICHE,    à  RouB«. 

Vous! 

(Reconnaissant  Christian  avec  stupeur  ) 

Lui  ? 

(Saluant  K    ......   u.v«c  admiralioo.) 

Vous  êtes  des  plus  fines! 


l38  CYRANO      DE      BEKGERAG. 

(\  Cyrano.) 

Mes  compliments,  Monsieur  l'inventeur  des  machines  : 

Votre  récit  eût  fait  s'arrêter  au  portail 

Du  paradis,  un  saint  î  Notez-en  le  détail', 

Car  vraiment  cela  peut  resservir  dans  un  livre  I 

CYRANO,    s'inclinant. 

Monsieur,  c'est  un  conseil  que  je  m'engage  à  suivre. 

LE    CAPUCIN,     montrant   les  amants  à  De  Guiche  et  hochant 
avec  satisfaction  sa  grande  barbe  blanche. 

Un  beau  couple,  mon  fils,  réuni  là  par  vous  I 

DE    GUICHE,     le  regardant  d'un  œil  glacé. 

Oui. 

(A  Roxane  ) 

Veuillez  dire  adieu ,  Madame^  à  votre  époux. 

HOXANE. 

Comment  ? 

Dï;    guiche,    à   Christian. 

Le  régiment  déjà  se  met  en  route. 
Joignez-le  ! 

ROXANE. 

Pour  a-Uër  à  la  guerre? 

DE    GLICHE. 

Sans  doute  1 

ROXANE. 

Mais,  Monsieur,  les  cadets  n'y  vont  pas  I 

DE    GUICIIE. 

Ils  iront. 

(Tirant  le  papier  qu'il  avait  mis  dans  sa  poche.) 

Voici  Tordre. 

(A  Christian.) 

CouiozL,  le' porter,  vou»,  baron. 

ROXA>'E,     se  jetant  dans  les  bras  de  Christian. 

Christian  ! 

DE    GUrCHE,    ricanant,  à  Cyrano. 

La  nuit  de  noce  est  encore  lointaine  1 


TIlOISIKMK       Af!TB. 

Dire  qu'il  croit  me  faiic  énoriiuuiciil  lie  i>€iuel 

ClIlilsriAI,     .1  Hoxmtw 

<j.i  [  les  lèvres  cncor  1 

CVUANO. 

Allons,  voyons,  assez! 

CIIHISTIAN,    continuant  à  euibratter  Itoiant. 

C'est  dur  de  la  quitter...  Tu  ne  sais  pas... 

CYKVN(^.     cliercliant  à    IVnIr.iînpr 

Je  sais. 

On  entend  au  loin  dos  tâmlxmrs  qui  luttant  uae  niârcbe.) 
ni:    Gt'IGUE,    qui  est  reinonlc  au  fond. 

Le  régiment  qui  pari  ! 

ROI  ANE,    à  Cyrano,  en  retenant  Christian  qu'il  êMajrt 

toujours  d'entraîner. 

(3li  !...  je  VOUS  le  confie  I 
Promettez-moi  que  rien  nr  va  mettre  sa  vie 
En  danger  ! 

CYh  VNO. 

J'essaierai...  mais  ne  peux  ce|>endanl 
Promettre... 

ROXANE,    même  jeu 

Promettez  qu'il  sera  très  prudent! 

CYRANO. 

Oui,  je  tacherai,  mais... 

ROXANE,    m^nie  jeu 

Qu'à  ce  siège  terrible 
Il  n'aura  jamais  froid  ! 

CYRANO. 

Je  ferai  mon  possible. 
Mais... 

ROXANE,    môme  jeu. 

Qu'il  sera  fidèle  ! 


UO  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRANO. 

Eli  oui!  sans  doute,  mais.. 

ROXANNE,     mêaie  jeu. 

Qu'il  m'écrira  souvent  ! 

CYRANO,    s*ariêlanl. 

Ça,  —  je  vous  le  promet:  * 


RIDEAU 


QUATIUEME  ACTE 


LES   GADLTS   DU   GASCOGNE 


OUATHIf:Mi:   ACTE 


LES  CADETS    Di;   T,  \SCOGNE 

Le  poslc  qti*occu|)C  la  compagnie  de  Carbon  de  Castel-Jaloui 

siège  ilArras. 

Au   fond,   talus   traversant   toulc   la  «cène.   Au  delà  s'aperçoit 
horizon    ilc  plaine:  !«•   paNS   couvert   de   travaux   de  sirgc.    Let   om 
d'Arras  et  la  silhouette  de  ses  toit:>  sur  le  ciel,  très  loin. 

Tentes  ;   armes  éparses  ;   tambours,  etc.  —  Le  jour  vt  •• 
Jaune  Orient.    —   Sentinelles  espacées.  F'eux. 

Houles  dans  leurs  manteaux,  les  Cadets  do  Gascogne  dormeaL 
Carbon  de  Castel-Jaloux  et  Le  Bret  veillent.  Ils  sont  très  pile«  et 
très  maigris.  Christian  dort,  parmi  les  autres,  don^  va  rnni  .m  r^r*- 
mier  plan,  le  visage  éclairé  par  uu  feu.   Silence. 


l44  CYRANO      DE      BERGEKAC. 

SCÈNE   PREMIÈRE 

CIÏRrSTÏAN,  CARBON  DE  CASTEL-JALOUX,  LE  BRET. 

Les  Cadets    puis  CYRANO. 

LE    I3KET. 

C'est  affreux  î 

CARnON. 

Oui,  plus  rien. 

LE    BRET 

Mordious  ! 

CARBON,    lui  faisant  signe  de  parler  plus  bas. 

Jure  en  sourdine  I 
Tu  vas  les  réveiller. 

(Aux  cadets.) 

Chut  !  Dormez  ! 

(A  LeBret.) 

Qui_dort  dîne! 

LE    BRET. 

Quand  on  a  l'insomnie  on  trouve  que  c'est  peu  I 
Quelle  famine  I 

(On  eatdfid  au  loin  quelques  coups  de  feu.) 

CARBON. 

Ah!  mau^réjjis  des  coups  de  feu!... 
Ils  vont  me  réveiller  mes  enfants  ! 

(Aux  cadets  qui  lèvent  la  tête.) 

Dormez  ! 

(On  se  recouche.  Nouveaux  coups  de  feu  plus  rapprochés.) 
UN    CADET,     s'agitant. 

Diantre  I 
Encore? 

CARBON. 

Ce  n'est  rien  1  C'est  Cyrano  qui  rentre  I 

(Les  têtes  qui  s'étaient  relevées  se  recouchent.) 

UNE     SEN ITNELLE,    au  dehors. 

Ventrebieu  !  qui  va  là  ? 

LA    VOIX    DE    CYRANO. 

Bergerac  1 


QUAThl^.MK      A(   TK.  |45 

TA    >rM  INFI  I  f       ..ul  «.»!  »„r   le  ulu« 

N  enlrcbicul 
Qui  va  là? 

CYRANO,    pariitsADl  lar  U  criU. 

Bergerac,   imbécile! 

(11  dMceotl.  1^  Bret  va  aa  devant  d«  l«ii,  ioqai«l  ) 
LE    BHET. 

Ah!  graml  Dieu! 

CYRANO,    lui  faisaDt  signe  de  ne  réveiller  personne 

Chut: 

LE    llRLT. 

Blesse? 

CYRANO. 

Tu  sais  hioii  (ju'ils  ont  pris  l'Iiahiludc 

De  me  manquer  tous  les  malins! 

LE   mur. 

Pour  porter  une  leltre.   à    clianin    iMur  icNanl. 
De  risquer! 

CYRANO,    s'arrêtant  devant  Cbri»lian. 

J'ai  promis  (pi' il   écrirait  souvenl! 

(M  le  regarde.) 

Il  dort.   Il  est  pâli.   Si  la  pauvre  petite 

Savait  qu'il  meurt  de  faim...  .Mais  toujours  beau! 

LE    RRET. 

Va  vite 
Dormir! 

CYRANO. 

Ne  grogne  pas.  Le  Bret!.  .  Sache  ceci  : 

Pour  traverser  les  ran^rs  espatrnols,  j'ai  choisi 

Un  endroit  où  je  sais,  chacjue  nuit    (ju'ils  sont  i\res. 

LE     RHEl. 

Tu  devrais  bien  un  jour  nous  rap|»«^rNr  .îr^  vi\rrs. 


l46  CYRANO      DE      BERGERAC. 

CYRANO. 

Il  faut  être  léger  pour  passer  1  —  Mais  je  sais 
Qu'il  y  aura  ce  soir  du  nouveau.  Les  Français 
Mangeront  ou  mourront,  —  si  j'ai  bien  vu... 

LE    BRET. 

Raconte  \ 

CYRANO. 

Non.  Je  ne  suis  pas  sûr...  vous  verrez!... 

CARBON . 

Quelle  honte, 
Lorsqu'on  est  assiégeant,  d'être  affamé  1 

LE    BRET. 

Hélas  ! 
Rien  de  plus  compliqué  que  ce  siège  d'Arras  : 
Nous  assiégeons  Arras,  —  nous-mêmes,  pris  au  piège, 
Le  cardinal  infant  d'Espagne  nous  assiège... 

CYRANO. 

Quelqu'un  devrait  venir  l'assiéger  à  son  tour. 

LE    BRET. 

Je  ne  ris  pas. 

CYRANO. 

Oh!  oh! 

LE    BRET. 

Penser  que  chaque  jour 
Vous  risquez  une  vie,  ingrat,  comme  la  vôtre, 
Pour  porter... 

(Le  voyant  qui  se  dirige  vers   une  tente. 

OÙ  vas- tu? 

CYRANO. 

J'en  vais  écrire  une  autre. 

^1  soulève  la   toile  et  disparaît.) 


Qf  A  1  Ml  I  MV      \n  B.  i4^ 

scèm:  Il 

Les   Mkmfs,   moins  CM\.\NO. 

(Le  jour    s'osl    un    |>«u    levé.    Luours    rooc-     I  .    ^  l-  ^^ 

l'horizon.   On  entend  un    coup   do   canon    in  ^ 

terie     de    tambours,    très    au     loin,    vers     l.i  it  .mr  if« 

battent    pluH    près      Le»    battories    vont    mi  et    •«  ol 

éclatent    preH<|ue   en    scène   et    !«'êl(>i;<nont    vci       i.i    liroit*.    par».<juxaûl    U 
camp.  Kuiiieuri  do  réveil     Voix  luiutainei  d'«*ni«.iort  j 

CAinw  .N  ,M    ..,„pir 

La  diaric  !...   IL'Ias  1 

(Les  cadets  s'agitent  d.ins  leurs  uianteaui,  s'étirent.) 

Sommeil   succulent,  lu  prends  fin!... 
Je  sais  trop  quel  sera  leur  premier  cri  ! 

Vy    CADET,    io  niellant  sur  son  séaot. 

J'ai  faim! 

UN    AUTRE. 


Je 


meurs  : 


TOUS. 

Oh! 

CAI\BO?î. 

Levez-vous  ! 

TROISIÈME    CADET. 

Plus  un  pas! 

Ql ATHIKME    CADET. 

Plus  tm  geste! 

Lh    I*urMn:u,    se   roi;:ardant  dans  un  mon  eau  de 

Ma  langue  est  jaune  :  Tair  du  temps  est  iri 

LN    AUTRE. 

Mon  tortil  de  baron  pour  un  peu  de  Cliesterî 

IN    AUTRE. 

Moi.  si  l'on  ne  veut  pas  fouruii  a  mon  gaste£ 

De  quoi  m'élaborer  une  pinte  de  cIinIc, 

Je  me  retire  sous  ma  tente,  —  comme  Achille! 

UN    AUTRE. 

Oui,  du  pain  ! 


i48  CYRANO     DE      RERGEKAO. 

CARBON,    allant  à  la  tente  où  est  entré  Cyrano,  à  mi-voix. 

Cyrano  I 

d'autres. 

Nous  mourons  î 

CARBON,   toujours  à  mi-voix,  à  la  porte  de  la  lente. 

Au  secours! 
Toi  qui  sais  si  gaiement  leur  répliquer  toujours, 
Viens  les  ragaillardir  1 

DEUXIÈME   CADET,    se  précipitant  vers  le  premier 
qui  mâchonne  quelque  chose. 

Qu'est-ce  que  tu  grignotes! 

LE   PREMIER. 

De  l'étoupe  à  canon  que  dans  les  bour^uignotes 
On  faTtTr&é^^n  la  graisse  à  graisser  les  moyeux. 
Les  environs  d  Arras  sont  très  peu  giboyeux! 

UN    AUTRE,    entrant.  OO.Vv^ 

Moi  je  viens  de  chasser! 

UN    AUTRE,     même  jeu. 

J'ai  péché,  dans  la  Scarpe! 

TOUS,     debout,  se  ruant  sur  les  deux  nouveaux  venus. 

Quoi?  —  Que  rapportez  vous?  —  Un  faisan?  —  Une  carpe? 
Vite,  vite,  montrez  ! 

LE   PÊCHEUR. 

Un  goujon! 

LE    CHASSEUR. 

Un  moineau! 

TOUS,    exaspérés. 

Assez  !  —  Révoltons-nous  ! 

CARBON. 

Au  secours,  Cyrano! 

(Il  fait  maintenant  tout  à  fait  jour.) 


QUATHlèllE     Acre.  i'i9 

SCIvNK    III 
Les  Mt'iMKH.  CYH.WO. 

CYRANO,    sorlant  de   -«a    tente,    tranijuille.  une  |>luine  à  l'omlU, 
tiL   livre  :i    la   iiiâiQ. 

Ileiii? 

SiU'iicf     Ail    |»n'inirr     .M«*t. 

Poiir(|ii()i  l  en  vas  lu,  toi.  de  ce  pas  qui  (raineP 

LE  CADF.T. 

J'ai  quelque  chose,  dans  les  talons,  qui  me  g<>ne!... 

CYIIANO. 

Et  quoi  donc? 

LE   CADET 

L'estomac! 

CYHANO. 

Moi  de  même,  pardi! 

ÎF     r.  VDFI 

Cela  doit  te  gêner? 

CYRANO. 

Non,  cela  me  grandit. 

DEl  \1KME    CADET. 

J'ai  les  dents  longues! 

CYRANO 

Tu  n'en  mordras  que  plus  large, 

IN    TROISIÈME. 

Mon  ventre  sonne  rrrn\! 

CYRANO. 

Nous  y  battrons  la  charge. 

IN    AUTRE. 

Dans  les  oreilles,  moi.  j'ai  des  bounlonnrimniv. 

CYRANO. 

[Non,  non;  ventre  aiïainé,  pas  d'oroillrs  :  tu  mens! 

LN    AUTRE. 

Oh!  manger  (juclque  choso.  —  à  I  liuil.! 

CYRANO,    le  ilêcoilTanl  ot  lui  niellanl    «'m  r.i^jiii*  «Inn*  \^  n»ain. 

Ta  -aladc. 


l5o  CYRANO     DE      BERGERAC. 

UN    AUTRE. 

Qu*est-ce  qu'on  pourrait  bien  dévorer? 

CYRANO,     lui  jetant  le  livre  qu'il  tient  à  la  main. 

VIliade. 

UN  AUTRE. 

Le  ministre,  à  Paris,  fait  ses  quatre  repas  I 

CYRANO. 

Il  devrait  t' envoyer  du  perdreau? 

LE    MÊME. 

Pourquoi  pas? 
Et  du  vin  ! 

CYRANO. 

Richelieu,   du  bourgogne,  if  y  ou  please  ? 

LE    MÊME. 

Par  quelque  capucin! 

CYRANO. 

L'éminence  qui  grise? 

UN    AUTRE. 

J*ai  des  faims  d'ogre! 

CYRANO. 

Eh!  bien!...  tu  croques  le  marmot! 

LE    PREMIER    CADET,    haussant  les  épaules. 

Toujours  le  mot,  la  pointe! 

CYRANO. 

Oui,  la  pointe,  le  mot! 
Et  je  voudrais  mourir,  un  soir,  sous  un  ciel  rose, 
En  faisant  un  bon  mot,  pour  une  belle  cause  ! 

—  Oh!  frappé  par  la  seule  arme  noble  qui  soit. 
Et  par  un  ennemi  qu'on  sait  digne  de  soi, 

Sur  un  gazon  de  gloire  et  loin  d'un  lit  de  fièvres. 
Tomber  la  pointe  au  cœur  en-  même  temps  qu'aux  lèvres  ! 

CRIS    DE    TOUS. 

J'ai  faim! 

CYRANO,    Sô  croisant  les  bras. 

Ah  çà!  mais  vous  ne  pensez  qu'à  manger?... 

—  Approche,  Bertrandou  le  fifre,  ancien  berger; 


QUATHIÈMK     ACTE.  l5l 

Du  di)iible  étui  de  cuir  lire  l'iin  .1.    î 

Souffle,  et  joîle  à  ce  tas  de 

Ces  vieux  airs  du  pays,  au  doux  rythme  m. 

Dont  clia(|ne  note  est  cnimne  une  prlilo  .som. 

Dans  les(jucls  restent  pris  des  sons  de  voix  ainii'-es. 

Ces  airs  doïit  la  lenteur  est  celle  des  funires 

Que  le  hameau  natal  exhale  de  ses  toits. 

Ces  airs  dont  la  musique  a  l'air  d'être  en  patois!.. 

Le  viom  i*as9ieJ  cl  pré[»aro  »t>n  fifre 

Que  la  Unie,  aujourvlliui,   guerrièi^     j...  s'afflige, 
Se  souvienne  un  moment,   pendant  que  sur  sa  lige 
Tes  doigts  semblent  danser  un  menuet  d'oiseau. 
Qu'avant  d'être  d'ébène,  elle  fut  de  roseau; 
Que  sa  chanson  l'étonnc,  et  qu'elle  y  reconuui-.-c 
L'àine  de  sa  rustique  et  paisible  jeunesse  !.. 

(Le  vieux  commence  à  jouer  ilos  airs  languedociens  , 

Écoulez,  les  Gascons...  Ce  n'est  plus,  sous  ses  doigts, 
Le  fifre  aipu  des  camps,  c'est  la  flûte  des  Ihms! 
Ce  n'est  phis  le  sifllet  du  combat,  sous  ses  lèvres. 
C'est  le  lent  galoubet  de  nos  meneurs  de  chèvres!... 
Écoutez...  C'est  le  Nal,  la  laiiile,  la  forùl, 
Le  petit  pâtre  brun  sous  son  rouge  béret. 
C'est  la  verte  douceur  des  soirs  sur  la  Dord-^  — 
Écoutez,  les  Gascoi^  :  c'est  toute  la  Gascogn 

(Toutes  le*  tôles  se  sont  inclinées:  —  ions  les  yenx  rèrenl;  — eC  <1« 
larmes  sont  furtivciueot  essuvées,  avec  un  revers  de  manche,  un  ooia 
de  manteau.^ 

CARBON,    à  Cvrano,  l>âs. 

Mais  lu  les  fais  pleurer! 

CYRANO. 

De  nostalgie  ! . . .  Un  mal 
Plus  noble  que  la  faim!...  pas  physique  :  moral! 
.'aime  que  leur  soullVance  ait  chang«'  de  viscère, 
Lt  que  ce  soit  leur  cœur,   mainlenaul.  qui  se  serre I 

CAHIi«»N. 

Tu  vas  les  affaiblir  en  les  alt-ntlri-^sanl  î 


tSs  CYRANO     DE    BERGERAC. 

CYRAINO,    qui  a  fait  signe  au  tambour  d'approcher. 

donc!   Les  héros  qu'ils  portent  dans  leur  sang 
vtte  réveillés!  Il  sulfit... 

(Il  fait  un  geste.    Le  tambour  roule.) 
TOUS,    se  levant  et  se  précipitant  sur  leur  armes. 

Hein?  ..  Quoi?...  Qu'est-ce? 

CYRANO,    souriant. 

TTw  wms,  il  a  suffi  d'un  roulement  de  caisse! 
Adieti,  rêves,  regrets,  vieille  province,  amour... 
€Ee  qui  du  fifre  vient  s'en  va  par  le  tambour! 

UN   CADET,    qui  regarde  au  fond. 

A&.Î  Âhî   Voici  monsieur  de  Guiche! 

TOUS    LES    CADETS,    murmurant. 

Hou... 

CYRANO,    souriant. 

Murmure 

UN    CADET, 

îl  nous  ennuie! 

UN    AUTRE. 

Avec,  sur  son  armure, 
San  graad  col  de  dentelle,  il  vient  faire  le  fierl 

UN    AUTRE. 

•C<2rRaie  si  l'on  portait  du  linge  sur  du  fer! 

LE    PREMIER. 

•€Vi5t  feoa  lorsque  à  son  cou  l'on  a  quelque  furoncle! 

LE    DEUXIÈME. 

'Sricore  un  courtisan  ! 

UN    AUTRE. 

Le  neveu  de  son  oncle! 

CARBON. 

C'est iftR  Gascon  pourtant! 

LE   PREMIER. 

Un  faux!...  Méfiez-vous I 
IPg^rce  que,  les  Gascons...  ils  doivent  être  fous  : 
&ie^  de  plus  dangereux  qu'un  Gascon  raisonnable. 


QUATHIKMK      ACTE.  |53 

LE   RHET. 

Il  est  pAlo! 

ly    At'THE. 

Il  a  fiiim...  aulaîil  i\\\'\u\  p.iuvrc  lii.il.lr! 
Mais  comme  sa  cuirasse  a  «lis  dnus  de  mmh.  il 
Sa  crampe  creslomac  étincelle  an  s<ileil  ! 

CYRANO,    vivement. 

N'ayons  pas  l'air  non  plus  de  souffrir!  Vous,  voscarlr».. 
Vos  pipes  et  vos  dés... 

(Toii!*  rnpidcmcnl  se  mrttcnt  à  jouer  »iir  des  Uml>ourf,  »ur  det 
rftcalK-aiix  i^'l  i>nr  terr*',  sur   leurs  manteaux,  et   itt  allument    de 

hii;:ue.s  pijM's  île  pôluii.) 

Kl  iiiui,  je  lis  Descartes. 

(Il  M-  protnoiir  do  lor.g  eti  large  et  lit  dans  un  petit  livr«>  <|«ril 
a  lirt^  (U*  i^a  porhc. — Tableau.  —  DoGuiclie  entre.  Ton'  le 

a  l'air  absurbé  cl  coulent.  Il  C5l  tr.'*  paie.   Il  va  wr*  • 

sgkm:  i\ 

Les  Mi;mi:s.  1)K   Gl  ICIH':. 
DE  G  LIGUE,        Carbon. 

Ah  !  —  Bonjour! 

(Ils  s\)l)servonl  tous   !.•«.  deiix.    A    part.  a  } 

Il  est  vorl. 

CARBON,    do  même. 

Il  ira  plus  que  les  veux. 

DE   CLICHE,    regardant  les  oadeU. 

Voici  donc  les  mauvaises  leles?...  Oui.  messieurs, 
Il  me  revient  de  tous  côtés  qu'on  me  Uiuiairdc 
Chez  vous,  que  les  cadets,  noblesse  nionlagnarde, 
Hobereaux  béarnais,  barons  péri^^ourdins. 
N'ont  pour  leur  colonel  |>as  assez  de  dédains, 
M'appellent  inlri^ranl,  courtisan.  —  qu'il  les  ^-éne 
De  voir  sur  ma  cuirasse  un  col  au  pcmit  Ar  (iéne,  — • 
Et  qu'ils  ne  cessent  pas  de  s'indigner  entre  eux 
Qu'on  puisse  être  Gascon  et  ne  pas  être  gucujL  ! 

(Silence.   On  joue.  On  fume.) 


l54  CYRANO     DE     BERGERAC. 

Vous  ferai-je  punir  par  voire  capitaine? 
Non. 

CARBON. 

D'ailleurs,  je  suis  libre  et  n*inflige  de  peine... 

DE    GUICHE. 

Ah? 

CARBON . 

J'ai  payé  ma  compagnie,  elle  est  à  moi. 
Je  n'obéis  qu'aux  ordres  de  guerre. 

DE   GUICHE. 

Ah?...  Ma  foil 
Cela  suffit. 

(S 'adressant  aux  cadets.) 

Je  peux  mépriser  vos  bravades. 
On  connaît  ma  façon  d'aller  aux  mousquetades  ; 
Hier,  à  Bapaume,  on  vit  la  furie  avec  quoi 
J'ai  fait  lâcher  le  pied  au  comte  de  Bucquoi; 
Ramenant  sur  ses  gens  les  miens  en  avalanche, 
J*ai  chargé  par  trois  fois! 

CYRANO,    sans  lever  le  nez  de  son  livre. 

Et  votre  écharpe  blanche? 

DE   GUICHE,    surpris  et  satisfait. 

Vous  savez  ce  détail?...  En  effet,  il  advint, 
Durant  que  je  faisais  ma  caracole  afin 
De  rassembler  mes  gens  pour  la  troisième  charge, 
Qu'un  remous  de  fuyards  m'entraîna  sur  la  marge 
Des  ennemis;  j'étais  en  danger  qu'on  me  prît 
Et  qu'on  m'arquebusât,   quand  j'eus  le  bon  esprit 
De  dénouer  et  de  laisser  couler  à  terre 
L'écharpe  qui  disait  mon  grade  militaire; 
En  sorte  que  je  pus,  sans  attirer  les  yeux, 
Quitter  les  Espagnols,  et  revenant  sur  eux. 
Suivi  de  tous  les  miens  réconfortes,  les  battre  ! 
—  Eh  blenl  que  dites-vous  de  ce  trait? 

(Les  cadets  n'ont  pas  l'air  d'écouter;  mais  ici  les  cartes  et  les  cornets 
à  dés  restent  en  l'air,  la  fumée  des  pipes  demeure  dans  les  joues  : 
atteute.) 


O  U  A    1    i;  1  ».   M  1.  \  L   I   1_  1^5 

CÏRA?ÏO. 

'}trilenri  quatre 
N'eut  jamais  consenti,  le  nornhnî  i  n  .  ablanl. 
\  se  ilirninuor  ilc  son  panache  hianc. 

(Joio  iiloaciou^o.  I..0S  carte*  s'alMtlent.  Ltt  éèê  lombenl.  L4  fumet 

sVcliippo  ) 

DB    GUICIIB. 

[/adresse  a  réussi,  cependant  ! 

^Mèiiio  attouto  suHpoQilaiit  i«>H  jotu  ol  lo^  |ii|m*4  ) 

C\IlANO. 

C'est  possible. 
Mais  on  n'alxlujuc  pas  l'honneur  d't^tre  une  cible. 

(Carlos,  des,    iiiin.  -^   H'.L.it  .„t^  toiiil><-r>'         -.f.lonl  av«o  iaa«    hUs- 
faction  croissante 

Si  j'eusse  été  présent  (jnaiid  récliarpc  coula 

—  Nos  couraires,  monsieur,  dillèrent  en  col^  — 

Je  l'aurais  ramassée  et  me  la   serais  mise. 

K  •  DE    fU'ICIIE. 

Oui,  vantardise,  encor,  de  gascon  ! 

CYHANO. 

Vantardise  ?... 
Prétez-la  moi.  Je  m'olTrc  à  monter,  dés  ce  soir, 
\  l'assaut,  le  premier,  avec  elle  en  sautoir. 

DE    GUICHE. 

Ollre  encor  de  gascon  I   Vous  savo/.  (pie  l'écbarpe 
Resta  chez  l'ennemi,  sur  les  bords  de  la  Scarpe, 
En  un  lieu  que  depuis  la  mitraille  cribla,  — 
Oii  nul  ne  peut  aller  la  chercher  ! 

CYRANO,    tirant  de  sa  [><>clio  l'ccharpc  blati..  ho   cl  la   lui  IcnJanl 

La  voilà. 

(Silence.    Les  caJols  éloiiiïcnt   leurs  rires  dans  1m  cartM  ot  dans  \m 

cornoh  à  (lt'»s    Do  (lui.:he  se  rcloiirno.  \c%    ro:;ar»le  :   i;       '  "        nenl  ils 
reprennent  leur  i^ravilé,  leurs  jeux  ;    l'un  Jeui  sifllolo  Jcreaca 

l'air  montagnara  joué  par  le  fifre.) 

DE   GUICHE,    prenant  l'r.  harpe. 

Merci.  Je  vais,  avec  ce  bout  d'élolTe  claire. 
Pouvoir  faire  un  signal,  —  que  j'hésitais  à  faire. 

(Il  va  **"  tains,  y  «jrimi>e,  et  agite  plusieurs  fois  l'ècharpe  en  1  Ait  ) 

TOUS. 

Ilein  ! 


l56  CYRANO     DE      BERGERAC. 

LA    SENTINELLE,    en  haut  du  talus. 

Cet  homme,  là-bas  qui  se  sauve  en  courant  !  .. 

DE   GUIGHE,    redescendant. 

C'est  un  faux  espion  espagnol.  Il  nous  rend 
De  grands  services.  Les  renseignements  qu'il  ]3orle 
Aux  ennemis  sont  ceux  que  je  lui  dorme,  en  sorte 
Que  l'on  peut  influer  sur  leurs  décisions. 

CYRANO. 

C'est  un  gredin  ! 

DE   GUIGHE,    se  nouant  nonchalamment  son  écharpe. 

C'est  très  commode.  Nous  disions.^... 
—  Ah  !  J'allais  vous  apprendre  un  fait.  Cette  nuit  même. 
Pour  nous  ravitailler  tentant  un  coup  suprême, 
Le  maréchal  s'en  fut  vers  Dourlens,  sans  tambours  ; 
Les  vivandiers  du  Roi  sont  là  ;  par  les  labours 
Il  les  joindra;  mais  pour  revenir  sans  encombre, 
Il  a  pris  avec  lui  des  troupes  en  tel  nombre 
Que  l'on  aurait  beau  jeu,  certe,  en  nous  attaquant  : 
La  moitié  de  l'armée  est  absente  du  camp  ! 

CARBON. 

Oui,  si  les  Espagnols  savaient,  ce  serait  grave. 
Mais  ils  ne  savent  pas  ce  départ  ? 

DE    GUIGHE. 

Ils  le  savent. 
Ils  vont  nous  attaquer. 

CARBON. 

Ah  ! 

DE   GUIGHE. 

Mon  faux  espion 
M'est  venu  prévenir  de  leur  agression. 
Il  ajouta  :   «  J'en  peux  déterminer  la  place  ; 
Sur  quel  point  voulez-vous  que  l'attaque  se  fasse? 
Je  dirai  que  de  tous  c'est  le  moins  défendu. 
Et  l'effort  portera  sur  lui.   »  —  J'ai  répondu  : 
((  C'est  bon.  Sortez  du  camp.  Suivez  des  yrux  la  ligne  . 
Ce  sera  sur  le  point  d'où  je  vous  forai  signe,  » 


g  L'A  I  im  M 


167 


<:aiiiu).'«,  aui  cêd9iê. 

Messieurs,  prépare/  vous  ! 

(Tous  bo  k\cnl.   iJiuil  <l'«ijct:î    -,  _ 

UE  GUICIIK. 

C'est  dans  une  heure. 

PUEMU.Ii   CADET. 

Ail :...  bleu 

(IN  se  rassr>enl  ton».  On  reprcoil  la  partie  ioterroni|.ur 
l>i:  UUICIIE,   à  Carbon. 

Il  laiit  f^aguer  du  temps.   Le  maréchal  revient. 

CAHUO.X. 

Kt  [)Our  irairiRM"  du  temps .^ 

DE    GlICUE. 

Vous  aurez  I  obhgeance 
De  vous  faire  tuer. 

CYHA>0. 

Ah  !  voila  la  \i  u;.r.iiu  i  . 
*_/ 

i)i:  (;liciie. 

Je  ne  prétendrai  pas  que  si  je  vous  aimais 

Je  vous  eusse  choisis  vous  et  les  vôtres,  mais. 

Comme  à  voire  bravoure  on  n*en  compare  aucune, 

C  est  mon  lloi  (|uc  je  sers  en  servant  ma  rancune. 

CYRA>0,    Mlu.inl. 

Souffrez  (pie  je  vous  sois,  monsieur,  reconnai>siinl. 

de  GL'ICIIE,    Minant 

Je  sais  que  vous  aimez  vous  l)attn'  un  contre  cent. 
Vous  ne  vous  phiindrez  pas  de  mancpier  de  In^hOfriie. 

II  reiiionf'-         •    •  -♦-'" 
CYRANO,    aux  caclels. 

Iiih  bien  donc  !  nous  allons  au  blason  de  Gascogne, 
Qui  porte  six  chevrons,  messieurs,  d'azur  et  d'or. 
Joindre  un  chevron  de  sang  (pii  lui  manquait  encor! 

De  (Miiclie  cause  bas  avec  (larl>on  de  Caslel-Jaloux.  au  f«»otl.  Ou  tlunoc 
des  ordres.   La   résistance  se  prépare.  Gvrano  va  ver»  ClirUliai*  qui  e«l 

resté  innnohile,  les  bras  croises.) 

CYRANO,    lui  mettant  la  main  5UI 

Christian  ? 


l58  CYRANO     DE      BERGERAC. 

CHRISTIAN,    secouant  la  tête. 

Roxane ! 

CYRANO.  i 

Hélas  ! 

CHRISTIAN. 

Au  moins,  je  voudrais  mettre 
Tout  l'adieu  de  mon  cœur  dans  une  belle  lettre!... 

CYRANO. 

Je  me  doutais  que  ce  serait  pour  aujourd'hui. 

(Il  tire  un  billet  de  son  pourpoint.) 

Et  j'ai  fait  tes  adieux. 

CHRISTIAN. 

Montre  I . . . 

CYRANO. 

Tu  veux?... 

CHRISTIAN,    lui  prenant  la  lettre. 

Mais  oui  1 

(Il  l'ouvre,  lit  et  s'arrête,) 

Tiens  ! . . . 

CYRANO. 

Quoi? 

CHRISTIAN. 

Ce  petit  rond?... 

CYRANO,   reprenant  la  lettre  vivement,  et  regardant  d'un  aîmaïf. 

Un  rond?... 

CHRISTIAN. 

C'est  une  larme! 

CYRANO . 

Oui...  Poète,  on  se  prend  à  son  jeu,  c'est  le  charme  1... 
Tu  comprends...  ce  billet,  —  c'était  très  émouvant  : 
Je  me  suis  fait  pleurer  moi-même  en  l'écrivant. 

CHRISTIAN. 

Pleurer?... 


QUATRIÎME      ACTE.  1S9 

CTnA!«0. 

Oui...  parce  que...  mourir  n'c^l  pas  terrible. 
Mais...  ne  plus  la  revoir  jamais...  voila  l'horrible I 

Car  enfin  jo  ne  la... 

(Christian  I0  regarde  ) 

nous  ne  la... 

lu  ne  la... 

CIiniSriVN.     lui      .rr.    f...»    K^îc-Urt. 

Donne-moi  ce  billet! 

(Oq  entoad  uno  mineur,  au  loio,  ilans  le  câinp  ) 
LA    VOIX    I>*L?ÏE    SE?ITI?CEI-LE. 

Vcnlrebicu.  qui  va  là? 

(Coups  (le  feu.  Bruits  de  voix.  Grelots  ) 
CAUBON. 

Qu'est-ce?... 

LA  SENTINELLE,  qui  Mt  sur  \e  Ului. 

Un  carrosse  I 

(Oa  te  prccipito  pour  voir.) 
CUIS 

Qu(»i.'l)ans  le  camp?  —  Il  y  entre! 
—  Il  a  l'air  de  venir  de  cliez  rennemi  !  —  Diantre! 
Tirez!  —  Non!  Le  cocher  a  crié!  —  Cric  quoi?  — 
Il  a  crie  :  Service  du  Roi  ! 

'Tout  lo  mondo  est  sur  le  talus  et  r«;;ar>le  au  dehors.  Les  greloU  m 

rapprochent.) 

DE    GlICIIE. 

Hein?  Du  Roi!... 

(On  redescentl,  on  s'aligne  ) 

CAIUH». 

Chapeau  bas,  tous  ! 

DE    GUICUE,    à  la  cantonade. 

Du  Roi  !  —  Rangez-vous,  vile  tourbe. 
Pour  qu'il  puisse  décrire  avec  poin[)e  sa  courbe  ! 

(Le  carrosse  entre  au  grand  trot     II  o^t  ccuv^rl  »!•'  »o*- 

sière.   Les  rideaux  sont  tirés     Deui   la'juais  «Icrrioro     l.  •  ) 


î6o  CYRANO     DE      BERGERAC. 

CARBON,    criant. 

Battez  aux  champs! 

(Roulement  de  tambours.  Tous  les  cadets  se  découvrent.) 
DE    GUICHE. 

Baissez  le  marchepied  I 

(Deux  hommes  se  précipitent.   La  portière  s'ouvre.) 
ROXANE,    sautant  du  carrosse. 

Bonjour! 

(Le  son  d'une  voix  de  femme  relève  d'un  seul   coup  tout  ce  monde 
profondément  incliné.  —  Stupeur.) 

SCÈNE  V 

Les  Mêmes,  ROXANE. 
DE    GUICHE. 

Service  du  Roi  !  Vous  P 

ROX  AîsE . 

Mais  du  seul  roi,  l'Amour! 

CYRANO. 

Ah  !  grand  Dieu  I 

CHRISTIAN,    s'élançant. 

Vous  1  Pourquoi  ? 

ROXANE . 

C'était  trop  long,  ce  siège  ! 

CHRISTIAN. 

Pourquoi?... 

ROXANE. 

Je  te  dirai  ! 

CYRANO,    qui,  au  son  de  sa  voix,  est  resté  cloué  immobile, 
sans  oser  tourner  les  yeux  vers  elle. 

Dieu!  La  regarderai-je? 

DE    GUICHE. 

Vous  ne  pouvez  rester  ici  ! 

ROXANE,    gaiement. 

Mais  si  !  mais  si  I 


QCAthii:mk     \f' îr  lOi 

Voulez  vous  m'avariC(T  un  taniInMir?... 

Kl  le  «'«uietJ  sur  un  Umliour  qu*uo  tttmùê  | 

I*a.  nuTci  ! 

(Elle  lit  ) 

On  a  tiré  sur  mon  carrosse  ! 

,  Ki«Triiirnl 

L'm»  patrouilla! 

—  lia  Taii  (r«'tiv  fait  avec  une  rilrouilh*. 

N'est  ce  pas?  comme  dans  le  conle,  et  les  lac|iiais 
Avec  des  rats. 

I  Envoyant  des  lèvrei   uo  liaÎMr  à  Cbrutiao.' 

Bonjour  ! 

Lat  regardant  tout  ) 

Vous  n'avez  pas  l'air  f:ais! 

—  Savez-vous  que  c'est  hjin.  Arras? 

(Apercevant  <^vraoo  ) 

Cousin,  cliarnioc  ! 

CMUNO.    s  .IN  .II.. .ml 

Ail  ça  !  conuneiit  ?.. . 

ii<)\  \m:. 

Comment  jai  retrouvé  Tarméo? 
Oh  !  mon  Dieu,  mon  ami,  mais  c'est  tout  simpli»  :  j'ai 
Marché  tant  que  j'ai  vu  h»  pavs  ravagé. 
Ah!  ces  horrciir>,  il  a  Tailu  que  je  les  visse 
I^oiir  y  croire!  Messieurs,  si  c'est  là  le  service 
De  votre  Iloi,  le  mien  vaut  mieux! 

CYHAM). 

\  iivons,  c'est  fou  ! 
Par  ou  (llahle  avez-vous  hicn  pu  pa-ser? 

HDWNK. 

Par  oii  ^ 

Par  chez  les  Espagnols. 

PUEMIER    CADET. 

Ah  !  qu'Elles  sont  malignes  ! 

DE    tUICHE. 

Comment  avez-vous  fait  i)Our  traverser  leurs  lignes? 

i4. 


l62  CYRANO      DE      BERGERAC. 

L£    BRET. 

Cela  dut  être  très  difficile!... 

ROXANE . 

Pas  trop. 
J'ai  simplement  passé  dans  mon  carrosse,  au  trot. 
Si  quelque  hidalgo  montrait  sa  mine  altière, 
Je  mettais  mon  plus  beau  sourire  à  la  portière, 
Et  ces  messieurs  étant,  n'en  déplaise  aux  Français, 
Les  plus  galantes  gens  du  monde,  —  je  passais  I 

CARBON. 

Oui,  c'est  un  passeport,  certes,  que  ce  sourire! 
Mais  on  a  fréquemment  dû  vous  sommer  de  dire 
Où  vous  alliez  ainsi,  madame? 

ROXANE . 

Fréquemment. 
Ak)rsje  répondais:  «  Je  vais  voir  mon  amant.   » 
—  Aussitôt  l'Espagnol  à  l'air  le  plus  féroce 
Refermait  gravement  la  porte  du  carrosse, 
D'un  geste  de  la  main  à  faire  envie  au  Pioi 
Relevait  les  mousquets  déjà  braqués  sur  moi, 
Et  superbe  de  grâce,  à  la  fois,  et  de  morgue, 
L'ergot  tendu  sous  la  dentelle  en  tuyau  d'orgue, 
Le  feutre  au  vent  pour  que  la  plume  palpitât, 
S'inclinait  en  disant  :   «  Passez,  seîiorita  !  )) 

CHRISTIAN. 

Mais,  Roxane... 

ROXANE. 

J'ai  dit:  mon  amant,  oui...  pardonne 
Tu  comprends,  si  j'avais  dit  :  mon  mari,  personne 
Ne  m'eût  laissé  passer  ! 

CHRISTIAN. 

Mais... 

ROXANE. 

Qu'avez- VOUS  ? 

DE    GUIGHE. 

Il  faut 
Vous  en  aller  d'ici  ! 


Qr  A  f  i«  I  r  Si  iW 


HOXA^E. 

Moi? 

CYUAIIC». 

Bien  vile! 

Oui 

1 
Mais 

LE    DHET 

\ 

CUHISll  \A 
UOX.i!<IE. 

comment? 

CHRISTIAN ,     emUrnMé 

C'est  que... 

lu  filuà   tùtl 

CTR.VNO,    de  mémo. 

Dans  trois 

quarb  (l*beure.. 

DE    GUICHE,    de  même 

.. 

.ou 

quatre 

CARB07C,     «ie  moiiHv 

Il  vaut  mieux... 

LE    imET,   de  même 
Vous  pourriez... 

ROXANE 

Je  reste.  On  va  se  battre. 

TOI  s. 

Oh!  non! 

ROWNF. 

C'est  mon  mari  ! 

(Elle  se  jette  dans  le*  bras  de  GirUtunO 

Qu'on  me  tue  avec  toi  ! 

CHRISTIA?!. 

Mais  quels  yeux  vous  avez! 

ROXAXE. 

^^  ^'^  dirai  pourquoi! 


l64  CYRANO      DE     BERGERAC. 

DE    GUIGHE,    désespéré. 

C'est  un  poste  terrible! 

ROXANE,    se  retournant. 

Hein  I  terrible  ? 

CYRANO. 

Et  la  preuve 
C'est  qu'il  nous  Ta  donné! 

ROXANE,    à    de    Guichfe. 

Ah!  vous  me  vouliez  veuve? 

DE    GUICHE. 

Oh!  je  vous  jure!... 

ROXANE. 

Non  !  Je  suis  folle  à  présent  ! 
Et  je  ne  m^en  vais  plus  !  D'ailleurs,  c'est  amusant. 

CYRANO. 

Eh  quoi  !  la  précieuse  était  une  héroïne  ? 

ROXANE . 

Monsieur  de  Bergerac,  je  suis  votre  cousine. 

UN    CADET. 

Nous  vous  défendrons  bien  ! 

ROXANE,    enfiévrée  de  plus  en  plus. 

Je  le  crois,  mes  amisl 

UN    AUTRE,    avec   enivrement. 

Tout  le  camp  sent  l'iris  ! 

ROXANE. 

Et  j'ai  justement  mis 
Un  chapeau  qui  fera  très  bien  dans  la  bataille!... 

(Regardant  de  Guiche.) 

Mais  peut-être  est-il  temps  que  le  comte  s'en  aille  : 
On  pourrait  commencer. 

DE    GUIGHE. 

Ah  !  c'en  est  trop  !  Je  vais 
Inspecter  mes  canons,  et  reviens...  Vous  avez 
Le  temps  encor  :  changez  d'avis! 

ROXANE. 

Jamais! 

(De  Guiche  sort.) 


QU  AT  lui:  MB      ACTR.  |65 

scf:\i:  M 

Les  Mkmks.   moi,,.   I»r  nj'\r]\y 

CIIKISTIA?!,     Mipplunl. 

Roiancl... 


Non  ! 


IMIKMIKII    CADKT,    aui    autres 

Elle  reste  I 

TOUS,    9C  précipitant,  m  Imusciilaat.  •'a»tiqnaol 

Tii   |)ri«rnel  —  Un  savon!  —  Ma  h,i!ianc 
Est  trouée  :  une  aiguille!  —  Un  ruban!  —  Ton  miroir!  — 
Mes  iiianclicttes!  —  Ton  fer  à  moustache!  —  Ln  ra»oir! 

l{i)\  VNE,    à  Cvrano  qui  la  supplie  enoora 

Non!    rien  ne  me  lera  bouger  de  cette  place! 

CAIVHON,  apri's  s'être,  comme  les  autres,  san^'lô.  c|m)u«s«Iô.  avoir  br<M*^  «oo 
clia|»eau,  reJre.ssJ  sa  plume  et  tiré  ses  manchettes,  s'arance  •  — -  "  t.io«, 
et  cérémonieusement. 

Peiilelre  siérait-il  (|ue  je  vous  présentasse, 
Puis'.|u*il  en  est  ainsi,  (pielques  de  res  messieurs 
Qui  vont  avoir  l'honneur  de  mourir  sous  vos  yeux. 

(U)xan3  s'incline  et  elle  alleuil.  debout  au  bras  tle  Chrtsliaa.  Girboa 

présente  :) 

Baron  de  Peyrescous  de  Colignac! 

LE    CADET,    saluant. 

Madame... 

CAUnON,     continuant 

Ilamn  de  Casterac  de  Cahu/.ae.  —  Vidame 
De  Malgouyre  l]slressac  Léshas  d'I'^scarabiol.  — 
<'hevalicr  d  Anli^mac-Juzel.  —   Baron  llillol 
De  Blagnac-Saléchan  de  Gastel-Crabioules... 

KOXA>E. 

Mais  combien  avez  vous  de  noms,  chacun? 

LE   BAii'»^    mil  «>r. 

Des  foules  I 


l66  CYRANO     DE     BERGERAC. 

CARBON,    à  Roxane. 

Ouvrez  la  main  qui  tient  votre  mouchoir. 

ROXANE,    ouvre  la  main  et  le  mouchoir  tombe. 

Pourquoi? 

(Toute  la  compagnie  fait  le  mouvement  de  s'élancer  pour  le  ramasser. 
CARBON,    le  ramassant  vivement. 

Ma  compagnie  était  sans  drapeau  !  Mais,  ma  foi. 
C'est  le  plus  beau  du  camp  qui  flottera  sur  elle  I 

ROXANE,    souriant. 

Il  est  un  peu  petit. 

CARBON,    attachant  le  mouchoir  à  la  hampe  de  sa  lance  de  capitaine. 

Mais  il  est  en  dentelle  ! 

UN    CADET,    aux  autres. 

Je  mourrais  sans  regret  ayant  vu  ce  minois, 
Si  j'avais  seulement  dans  le  ventre  une  noixi... 

CARBON,    qui  l'a  entendu,  indigné. 

Fil  parler  de  manger  lorsqu'une  exquise  femme I... 

ROXANE. 

Mais  i  air  du  camp  est  vif  et,  moi-même,  m'affame  : 
Pâtés,  chaud-froids,  vins  fins  :  —  mon  menu,  le  voilà  1 
—  Voulez-vous  m'apporter  tout  cela  I 

(Consternation.) 
UN    CADET. 

Tout  celai 

UN    AUTRE. 

Où  le  prendrions-nous,  grand  Dieu.^ 

ROXANE,    tranquillement. 

Dans  mon  carrosse. 

TOUS. 

Hein?... 

ROXANE. 

Mais  il  faut  qu'on  serve  et  découpe,  et  désosse  ! 
Regardez  mon  cocher  d'un  peu  plus  près,  messieurs, 
Et  vous  reconnaîtrez  un  homme  précieux  : 
Chaque  sauce  sera^  si  l'on  veut,  réchauffée! 


QUATRIÈMB      ACTE.  î§^ 


LESC\i>ii^      -r  nnnl  inn  In  i  irrow 


C'est  Ragucncaii  1 

(Acclaniationt.) 

oiii  Oh: 

no.XAXE,    les  suivant  iloi  yeui. 

PauMvs  gciis! 

(  >  H  V  \.  .      l,,i  K..;..,ni  la  main. 

Bonne  {ve\ 

I\AGUE>'EAL%    ilcl)Out  »iir  lo  siège  conme  ud  cliarUUo  en  place  publ«q«». 

Messieurs  !... 

lÙltlKHlvinsiil''  • 

m:s  r,  \î>f.ts. 
J>i.ivo!   Bravt)! 

Les  Espagnols  n'ont  pas. 
Quand  passaient  t;inl  d'appas,  vu  passer  le  repasi 

(Applaudu»cfnMili.) 

CVIIANO,    basa  ChriiliAn. 

Hum  !  lium  !  Christian  ! 

EACUENEAU. 

Distraits  par  la  galanterie 

Ils  n'ont  pas  vu... 

Il  lire  de  son  *lt*j^o  un  plat  «jn'iï  .I.'-»*» 

la  galantine!... 

(ApplaiidissenienU.  La  galantine  paite  de  maina  «a  aiiat.) 
CYRANO,    bas  à  Chriatian 

Je  l\  n  prie, 
Un  seul  niol  !... 

IWGl'EyZKV. 

Et  Vénus  sut  occuper  leur  œil 
Pour  que  Diane,  en  secret,  put  pass^T... 

11  brandit  un  gigot  > 

son  chevreuil  ! 

(Enlhoosiasme.  Le  gigol  «t  mUî  pur  TÎngl  mains  ImkIom.) 
CTRANO,    bas  à  Chri»Uan. 

Je  voudrais  te  parler! 


l68  CYRANO      DE      BERGERAC. 

ROXANE,    aux  cadets  qui  redescendent,  les  bras  chargés  de  victuailles. 

Posez  cela  par  terre  ! 

(Elle  met  le  couvert  sur  l'herbe,  aidée  des  deux  laquais  imperturbables 
qui  étaient  derrière  le  carrosse.) 

ROXATS'E,  à  Christian,  au  moment  où  Cyrano  allait  Tentraîner  à  part. 

Vous,  rendez-vous  utile  1 

(Christian  vient  l'aider.   Mouvement  d'inquiétude  de  Cyrano.) 
RAGUENEAU. 

Un  paon  truffé  ! 

PREMIER    CADET,     épanoui,  qui  descend  en  coupant  une  large  tranche 

de  jambon. 

Tonnerre  ! 
Nous  n'aurons  pas  couru  notre  dernier  hasard 
Sans  faire  un  gueuleton... 

(Se  reprenant  vivement  en  voyant  Roxane  ) 

pardon  !  un  balthazar  ! 

RAGUENEAU,    lançant  les  coussins  du  carrosse. 

Les  coussins  sont  remplis  d'ortolans! 

(Tumulte.  On  éventre  les  coussins.  Rire.  Joie.) 
TROISIÈME   CADET. 

Ah!  Viédaze! 

RAGUENEAU,    lançant  des  flacons  de  vin  rouge. 

Des  flacons  de  rubis!... 

(De  vin  blanc.) 

Des  flacons  de  topaze! 

ROXANE,    jetant  une  nappe  pliée  à  la  figure  de  Cyrano- 

Défaites  cette  nappe!...  Eh!  hop!  Soyez  léger! 

RAGUENEAU,    brandissant  une  lanterne  arrachée. 

Chaque  lanterne  est  un  petit  garde-manger  ! 

CYRANO,     bas  à  Christian,  pendant  qu'ils  arrangent  la  nappe  ensemble. 

11  faut  que  je  te  parle  avant  que  tu  lui  parles! 

RAGUENEAU,    de  plus  en  plus  lyrique. 

Le  manche  de  mon  fouet  est  un  saucisson  d'Arles  ! 

ROXANE,    versant  du  vin,  servant. 

Puisqu'on  nous  fait  tuer,  morbleu  !  nous  nous  moquons 
Du  reste  de  l'armée!  —  duW  tout  pour  les  Gascons! 


QUATHIÈMK      A<    I  ».  ,  t,^ 

Et  si  De  Guichc  vient,  pcrsonno  m.  Ilnvite' 

(Allant  (le  l'un  h  l'autre  ) 

Là.  vous  avez  le  temps.  —  Ne  man^'cz  pas  si  vile!  — 
liuvcz  un  peu.  —  Pourrpioi  pleurez  vous? 

l'HKMU.H    CADET. 

C  est  trop  U>u  ! 

nOXANK. 

Chut!  —  Uouge  ou  l)lanc.'>  —  Du  pain  pour  m 

—  Un  couteau!  —  Voire  assiette!  —  Ln  |>ou(l  , 

—  Je  vous  sers!  —  Du  bourj^^ogne .^  —  L'ne  aile? 

CYU.VNO,    qui   la  suit,  les  hras  chargés  île   plaU.  raidanl  k 

Jo  l'adore! 

ROXANE,    allant    rcrs  ChriMian 

Vous? 

CHRISTIAN. 

Kien. 

ROXA^IE. 

Si!  ce  biscuit,  dans  du  muscat...  deux  doigts! 

CHIUSri AN,    cs^axant  tic  la  retenir. 

Ob!  dites  moi  puui<|U(n  vous  vîntes? 

HOXANE. 

Jr  me  ii(jis 
A  CCS  inalbeureux...  Cbul  î  Tout  h  rbiun!... 

LE    liUET,    qui    était   remonte  au    l'-im.  jmmu    |.,.-'ri .    .m  1.....1  w  nije 
un  pain  à  la  sentinollo  du  talu». 

De  Guicbe! 

C\Il  ANC). 

N  ite,  cacbez  llacon,  [)lat,  terrine,  bourriche! 
Ib^p! — N'avons  l'air  de  rien!... 

(.\  Ragiieœa 

Toi,  remonte  ti  un  bond 
Sur  ton  sioge  !  —  Tout  est  caché?... 

En  un  clin  d'œil  tout  a  rlë  re|Kiu«!M'  dnns  le*  lenlet.  ou  caché  toot 
les  vêtements,  s<ius  les  manteaux,  dans  les  feutres  —  I>e  Guu  he  entre 
vivement  —  et  s'arrête,  tout  d'un  coup,  renillan*    —  >'I-   • '*   ' 


170  CYRANO      DE      BERGERAC. 

SCÈNE    YII 

Les  Mêmes,  DE  GUICHE. 

DE    GUICHE. 

Cela  sent  bon. 

UN    CADET,    clianlonnaat  d'un  air  détaché. 

To  lo  lo!... 

DE   GUICHE,    s'arrêtant  et   le  regardant. 

Qu'avez-vous,  vous?...  Vous  êtes  tout  rouge! 

*  LE    CADET. 

Moi?...  Mais  rien.  C'est  le  sang.  On  va  se  battre  :  il  bouge! 

UN    AUTRE. 

Poum. . .  poum. . .  pouni. . . 

DE   GUICHE,    se  retournant. 

Qu'est  cela? 

LE    CADET,    légèrement  gris. 

Rien!  C'est  une  chanson  ! 
Une  petite... 

DE    GUICHE. 

Vous  êtes  gai,  mon  garçon  ! 

LE    CADET. 

L'approche  du  danger! 

DE  GUICHE,    appelant    Carbon  de    Gastel-Jalouï,  pour   donner   un  ordre. 

Capitaine  !  je... 

(H   s'arrête  en  le  voyant.) 

Peste!" 
Vous  «vez  bonne  mine  aussi  ! 

CARBON,    cramoisi,  et  cachant  une  bouteille  derrière  son  dos, 
avec  UQ  geste  év.islf. 

Oh!... 

DE    GUICHE. 

Il  me  reste 
Un  canon  que  j'ai  fait  porter.., 

(11  montre  un   endroit    dans  la  coulisse.) 

là,  dans  ce  coin. 


QUATHIEMB      \r.  TK 


n» 


Et  vos  hommes  pourront  s'en  servir  au  besoin. 

UN  CADET,    §e  lUodiiiAïkt 

Cliarmaiile  attention  ! 

UN  AUTHE,    lui  •oorUrt  gr»cteti»«m«it 

Douce  sollicitude! 

DE  GUICIIE. 

Ah  ra  î   mais  ils   >nu\  fous!   - 

hemeot 

.N  avant   {lah  lliabitude 
Du  canon,  prenez  garde  au  recul. 

LE     Pin  NMIM     I    MiRT. 

Ml  !  pffii  : 

DE  GUICIIE,  allant  à  lui,  furteui. 

Mais!... 

Li:    C.VIU.T. 

Le  canon  des  Gascons  ne  recule  jamais! 

on  GUIGIIE,    lo  prenant  i>.ir  If»  Ira^  *^i  1«  ft^tmiAul 

Vous  êtes  gris!...  De  quoi? 

LE    CADET,    «uperl>«. 

De  Todcur  de  la  poudre! 

DE   GUICUE,    haussant  les  rpaulcs,  le  rcpou»*©   et   ta  YiYfmcnl  j  Itotao*. 

Vite,  a  quoi  daignez-vous,  madame,  vou^  î.\.,ii.îr.'^ 

IlOIA?CE. 

Je  reste  I 

DE   GUICIIE. 

Fuyez! 

HOXA>E. 

Non  ! 

DE   GlICIIE. 

Puisqu'il  en  est  ainsi, 
Qu'on  me  donne  un  mousquet! 

CARBON. 

Conini""'  ^ 

ftl-     Cl    l(    11} 

Je  resie  aussi. 


172  CYRANO     DE      BERGERAC. 

CYRANO. 

Enfin,  Monsieur!  voilà  de  la  bravoure  pure! 

PREMIER    CADET. 

Seriez-vous  un  Gascon  malgré  votre  guipure? 

liOXAlNE. 

Quoil... 

DE    GIJICIIE. 

Je  ne  quitte  pas  une  femuie  en  danger. 

DEUXIÈME   CADET,    au  premier. 

Dis  donc!  Je  crois  qu'on  peut  lui  donner  à  manf^er! 

(Toates  les  victuailles  reparaissent  comme  par  enchantemenl  ) 
DE   QUICHE,    dont  les  yeux  s'allument. 

Des  vivres! 

UN    TROISIÈME    CADEl. 

Il  en  sort  de  toutes  les  vestes! 

DE     GUICHE,    se   maîtrisant,  avec  hauteur. 

Est-ce  que  vous  croyez  que  je  mange  vos  restes? 

CYRANO,    saluant. 

Vous  faites  des  progrès! 

DE   GUICHE,    fièrement,  et  à  qui   échappe  sur  le  dernier  mot 
une  légère  pointe  d'accent. 

Je  vais  me  battre  à  jeun  ! 

PREMIER    CADET,    exultant  de  joie. 

A.  Jeang !  Il  vient  d'avoir  l'accent! 

DE   GUICHE,    riant 

Moi! 

LE   CADET. 

G^en  est  un! 

Ils  se  mettent  tous  à  danser.) 
CARBON   DE    GASTEL-JALOUX,    qui  a  disparu  depuis  un  moment 
derrière  le  talus,  reparaissant  sur   la  crête. 

J'ai  rangé  mes  piquiers,  leur  troupe  est  résolue! 

(Il  montre  une  ligne  de  piques  qui  dépasse  la  crête.) 
DE   GUICHE,    à  Roxane,  en  s'inclinant. 

Acceptez-vous  ma  main  pour  passer  leur  revue?... 

(Elle    la    prend,  ils    remontent    vers    le    talus.  Tout    le    monde    se 
découvre  et  les  suit.) 


Parle  vilcl 


QUATRIEME     ACTE.  17S 

r.imiSTIA't,    «lUnl  k   C^r%no,  r\rrmrx^\ 


(Au    iiioniunt   <ni    ivoiafu"   |k.»r.iii   ..:r    1  ^,    «lii|i*rti«t««l 

al)ais»ceH  jwur  lo  salut,  un  in  s«|.»e 

LES   PIQtlEHS,    autlekon. 
CIIUIMIAN. 

Quel  élail  ce  secret?... 

cïnA?îo. 
Dans  le  cas  où  Ko\aii(\.. 

cuaisriA!i. 
Eh  bien? 

CTHANO. 

Te  parlerait 
Des  lettres? 

CimiSTIA!!. 

Oui,  je  sais  !... 

CYRANO. 

De  l'étonner... 

CIimSTIAN. 

De  quoi  ? 

CYRANO. 

Il  faut  que  je  te  dise  !... 
Oh!  mon  Dieu,  c'est  tout  simple,  et  j'y  pense  aujourd'hui 
En  la  voyant.  Tu  lui... 

CHRISTIAN. 

Parle  vite  ! 

CYRANO. 

Tu  lui... 
As  écrit  plus  souvent  que   tu  ne  crois. 

CHRISTIAN. 

Ilcin? 
cyra.no. 

Damet 

Je  m'en  étais  charge  :  j'interprétais  la  flamme  ! 

iS. 


174  CYRANO      DE      BEIlGERAG. 

J'écrivais  quelquefois  sans  te  dire  :  j'écris  I 

CHRISTIAN. 

Ah? 

CYRANO. 

C'est  tout  simple  ! 

CHRISTIAN. 

Mais  comment  t'y  es-tu  pris, 
Depuis  qu'on  est  bloqué  pour?... 

CYRANO. 

Oh!...  avant  l'aurore 
Je  pouvais  traverser... 

CHRISTIAN,    se  croisant  les  bras. 

Ah!  c'est  tout  simple  encore? 
Et  qu*ai-je  écrit  de  fois  par  semaine?...  Deux?  —  Trois?... 
Quatre?  — 

CYRANO.  '^ 

Plus. 

CHRISTIAN. 

Tous  les  jours? 

CYRANO. 

Oui,  tous  les  jours.  — Deux  fois. 

CHRISTIAN,    violemment. 

Et  cela  t'enivrait,  et  l'ivresse  était  telle 
Que  tu  bravais  la  mort... 

CYRANO,    voyant  Roxane  qui  revient. 

Tais-toi  !  Pas  devant  elle  ! 

(Il  rentre  vivement  dans  sa  tente.) 

SCÈNE  VIII 

ROXANE,  CHRISTIAN;  au  fond,  allées  et  venues  de  Cadets, 
CARBON  et  DE  GUICHE  donnent  des  ordres, 

ROXANE,    courant  à  Christian. 

Et  maintenant,  Christian!... 

CHRISTIAN,    lui  prenant  les  mains. 

Et  maintenant,  dis  moi 
Pourquoi,  par  ces  chemins   effroyables,  pourquoi 


QUATIUÎIMF     ACTE.  17S 

A  travers  tous  ces  rangs  de  soudards  cl  de  rettrw. 

Tu  m'as  rejoint  ici .' 

UOXANE. 

C'est  a  can»-''  ''•»•»  î"ï»r««' 

CIIIUSTIAN 

Tu  dis? 

IlOXA^K. 

Tans  pis  pour  vous  si  je  cours  c 
Ce  sont  vos  lettres  qui  m'ont  grisée  !  Ah  ! 
Combien  depuis  un  mois  vous  m'en  avez  écrilef. 
Et  plus  belles  toujours  !  . 

CniUSTIAN. 

Quoi  !  potir  quelques  poUlet 


Lettres  d'amour 


HOXANE. 


Tais-toi!...  Tu  r-^         v  .  i^  savoir! 
Mon  Dieu,  je  t'adorais,  c'est  vrai,  <.  ,  ju  un  soir. 

D'une  voix  que  je  t'ignorais,  sous  ma  fenêtre. 
Ton  ame  commença  de  se  faire  connaître... 
Eh  bien!  tes  lettres,  c'est,  vois-lu.  depuis  un  mois. 
Comme  si  tout  le  temps,  je  l'entendais,  la  voix 
De  ce  soir-là,  si  tendre,  et  qui  vous  enveloppe! 
Tant  pis  pour  loi,  j'accours.  La  sage  Pénélope 
Ne  fut  pas  demeurée  à  broder  sous  son  toit. 
Si  le  seigneur  Ulysse  eut  écrit  comme  toi. 
Mais  pour  le  joindre,  elle  eùl,  aussi  folle  qu'Hélcnc, 
Envoyé  promener  ses  pelotons  de  lain< 

CmilSTIAN. 

Mais...  • 

ROXA!IE. 

Je  lisais,  je  relisais,  je  défaillais. 
J'étais  à  toi.  Chacun  de  ces  petits  feuillets 
Était  comme  un  pétale  envolé  de  ton  àme. 
On  sent  à  chaque  mot  de  ces  lettres  de  flamme 
L'amour  puissant,  sincère... 

CURlSTI.\:i. 

\h  !  <in.  ^r.>  ..t  puissant? 
Cela  se  sent.  Roxane.^... 


576  CYRANO     DE      BERGERAC. 

ROXA?JE. 

Oh  !  si  cela  se  sent  ! 


CHRISTIAN. 


Et  vous  venez? 


ROXANE. 

Je  vieas  (ô  mon  Christian,  mon  maître! 
Vous  me  relèveriez  si  je  voulais  me  mettre 
A  vos  genoux,  c'est  donc  mon  âme  que  j'y  mets, 
Et  vous  ne  pourrez  plus  la  relever  jamais!) 
Je  viens  te  demander  pardon  (et  c'est  bien  l'heure 
De  demander  pardon,  puisqu'il  se  peut  qu'on  meure!) 
De  l'avoir  fait  d'abord,  dans  ma  frivolité, 
L'insulte  de  t'aimer  pour  ta  seule  beauté! 

CHRISTIAN,    avec  épouvante. 

Ah  !  Roxane  ! 

ROXANE. 

Et  plus  tard,  mon  ami,  moins  frivole, 
—  Oiseau  qui  saute  avant  tout  à  fait  qu'il  s'envole,   — 
Ta  beauté  m'arrêtant,  ton  âme  m'entraînant, 
Je  t'aimais  pour  les  deux  ensemble!... 

CHRISTIAN. 

Et  maintenant? 

ROXANE. 

Eh  bien!  toi-même  enfin  l'emporte  sur  toi  même, 
Et  ce  n'est  plus  que  pour  ton  âme  que  je  t'aime! 

CHRIST*  N,    reculant. 

Ah  !  Roxane  1 

ROXANE . 

Sois  donc  heureux.  Car  n'être  aimé 
Que  pour  ce  dont  on  est  un  instant  costumé, 
Doit  mettre  un  cœur  avide  et  noble  à  la  torture; 
Mais  ta  chère  pensée  efface  ta  figure, 
Et  la  beauté  par  quoi  tout  d'abord  tu  me  plus, 
Maintenant  j'y  vois  mieux —  et  je  ne  la  vois  plus! 


QU  A  i  lu  1   M  i:      Al.  I  B  lyi 

CilUISTlJlIf. 

Oh!... 

lu  Joules  encor  cruiio  telle  vicloiirr... 

CIIRI<  1 1  H  N  .     ioulou roulement 

Koxane  î 

ROXA!<IE. 

Je  comprends,  lu  ne  peux  [>as  y  croire, 

.\  cet  amoui  ?.. . 

i:iiuisnA>. 

Je  ne  veux  pas  de  cel  amour  ! 
Moi,  je  veux  ôtre  aime*  plus  simplemenl  |>our... 

RO\A?CE. 

Pour 

Ce  qu'en  vous  elles  oui  aimé  jusqu'à  celle  heure? 
Laissez- VOUS  donc  aiiniT  d'une  façon  meilleure! 

CIIHISTIAN. 

Non  1   (^.*t''t;nt  mieux   ;ivnnt  ! 

U().\A>iE. 

Ah!  lu  n'y  enlends  rien! 
C'est  maintenant  que  j'aime  mieux,  que  j'aime  bien! 
C'est  ce  qui  le  lafl  toi,  lu  m'enlends,  que  j'adore, 

Et  moins  hrillanl.. . 

(;ilUIMIA>i. 

Tais- loi  ! 

I\f)XA>E. 

Je  l'aimerais  encore! 
Si  toute  ta  beauté  tout  d'un  coup  s'envolait... 

cnaisTiAN. 

Oh  !  ne  dis  pas  cela  ! 

UO.WNE. 

Si  !  je  le  dis! 

cnlu^TiA.^^ 

Quoi?  laid? 


178  CYRANO     DE      BERGEIIAG. 

KOXANE. 

Laid!  je  le  jurel 

CHRISTIAN. 

Dieul 

ROXANE. 

Et  ta  joie  est  profonde? 

CHRISTIAN,    d'une  voix  étouffée. 

Oui... 

ROXANE . 

Qu*as-tu.^... 

CHRISTIAN,    la  repoussant  doucement. 

Rien.  Deux  mots  à  dire  :  une  seconde... 

ROXANE. 

Mais?... 

CHRISTIAN,    lui  montrant  un  groupe  de  cadets,  au  fond. 

A  ces  pauvres  gens  mon  amour  t'enleva  : 
Va  leur  sourire  un  peu  puisqu'ils  vont  mourir...  va! 

ROXANE,    attendrie. 

Cher  Christian  I 

(Elle   remonte   vers   les    Gascons  qui  s'empressent  respectueusement 
autour  d'elle.) 

SCÈNE    IX  ♦ 

CHRISTIAN,  CYRANO;  au  fond  ROXANE,  causant 
avec  CARBON  et  quelques  Cadets. 

CHRISTIAN,    appelant  vers  la  tente  de  Cyrano. 

Cyrano? 

CYRANO,    reparaissant,  armé  pour  la  bataille. 

Qu'est-ce?  Te  voilà  blême! 

CHRISTIAN. 

Elle  ne  m'aime  plus  ! 

CYRANO. 

Comment? 

CHRISTIAN. 

C'est  toi  qu'elle  aime! 


QUA  1  iil:    M    .       Al.  I  i:.  1^^ 

GTnA!«0. 

Non  1 

Elle  n'aime  pins  <|uo  nu»n  *mi>* 

Non! 

CniilSTlAN. 

C'est  donc  hicn  toi  qu'nllc  aime.  —  el  lu  l'aimes  aussi  f 

Moi? 

ClIUlSriAN. 

Je  le  sais. 

CVUVNO. 

C'est  vrai. 

c:niiLsriAN. 

Comme  ua  fou. 

CYRANO. 

Davantage. 

CHIlISTIA?f. 

Dis-le-liii  ! 

CYHANO. 

Non  ! 

CHRISTIA!!. 

Pourquoi  ? 

(:\  n  \yo. 

Uegarde  mon  visage! 

ciiiusriAN. 
Elle  m'aimerait  laid  ! 

CYRA?CO. 

Elle  le  l'a  dit! 

CniUSTIAN. 

Là! 

CYRANO. 

Ah!  je  suis  bien  content  qu'elle  t'ait  dit  celai 


l8o  CYRANO      DE      BERGERAC. 

Mais  va,  va,  ne  crois  pas  celte  chose  insensée  ! 
—  Mon  Dieu,  je  suis  content  qu'elle  ait  eu  la  pensée 
De  la  dire,  —  mais  va,  ne  la  prends  pas  au  mot, 
Va,  ne  deviens  pas  laid  :  elle  m'en  voudrait  trop  ! 

CHRISTIAN. 

C'est  ce  que  je  veux  voir! 

CYRANO. 

Non,  non! 

CHRISTIAN. 

Qu'elle  choisisse  \ 
Tu  vas  lui  dire  tout! 

CYRANO. 

Non,  non!  Pas  ce  supplice. 

CHRISTIAN. 

Je  tuerais  ton  bonheur  parce  que  je  suis  beau? 
C'est  trop  injuste  ! 

CYRANO. 

Et  moi,  je  mettrais  au  tombeau 
Le  tien  parce  que,  grâce  au  hasard  qui  fait  naître. 
J'ai  le  don  d'exprimer...  ce  que  tu  sens  peut-être? 

CHRISTIAN. 

Dis-lui  tout! 

CYRANO. 

Il  s'obstine  à  me  tenter,  c*est  mal! 

CHRISTIAN. 

Je  suis  las  de  porter  en  moi-même  un  rival  ! 

CYRANO . 

Christian  I 

CHRISTIAN. 

Notre  union  —  sans  témoins  —  clandestine, 

—  Peut  se  rompre,  —  si  nous  survivons  ! 

CYRANO. 

Il  s'obstine  !... 

CHRISTIAN. 

Oui,  je  veux  être  aimé  moi-même,  ou  pas  du  tout! 

—  Je  vais  voir  ce  qu'on  fait,  tiens  !  Je  vais  jusqu'au  bout 


QUATIIIÈMB     ACTE.  lll 

Du  poste;  je  reviens  :  parle,  et  qu'elle  pn'Pri» 
I/un  de  nous  deux  ! 

CTRAltO. 

Ce  sera  toi  ! 

CIIRISTIA?!. 

««lais. . .   I'    I  «  "i"  I»' , 

(II  appelle.)  ''  * 

Roxane  ! 

CYIIANO. 

Non  !  Non  ! 

nOXANB,    accounnt. 

Quoi? 

CIiaiSTIA?!. 

Cyrano  vous  dira 

Une  chose  importante... 

(Elle  va  vivement  à  C>râno.  Chri»tiMi  •orl  ) 


SCKNK     \ 

ROXANE.  CYRANO,  puis  LK  RHKT.  CARBON  DE 
CASTKL-JALOLX.  i.s  Cadets.  R.VGUENEAl,  DE 
GLICIIE,  ETC. 

ROXANE. 

Importante? 

CYRANO,    éperdu. 

Il    >  fil    * 
(A  Roxane.) 

Rien....  Il  attache,  — oh  !Dieu  !  vous  devez  le  connaître! 
De  l'importance  à  rien  ! 

ROXANE,    vivement 

Il  a  doutr  |><  NI  ctrc 
De  ce  que  j'ai  dit  là?...  J'ai  vu  (ju'il  a  doute!... 

CYRANO,    lui  prenant  U  nuin. 

Mais  avez-vous  bien  dit.  d'ailleurs,  la  vérité? 

iG 


l82  CYRANO     DE     BERGERAC. 

ROXANE. 

Oui,  oui,  je  laimerais  même... 

(^EUe  hésite  une  seconde.) 
CYRANO,    souriant  tristement. 

Le  mot  vous  gêne 
Devant  moi? 

ROXANE. 

Mais... 

CYRANO. 

Il  ne  me  fera  pas  de  peine  ! 
—  Même  laid? 

ROXANE . 

Même  laid  1 

(Mousqueterie  au  dehors.) 

Ah  !  tiens,  on  a  tiré  ! 

CYRANO,    ardemment. 

Affreux  ? 

ROXANE. 

Affreux  ! 

CYRANO. 

Défiguré  ? 

ROXANE. 

Défiguré  ! 

CYRANO. 

Grotesque  ? 

ROXANE. 

Rien  ne  peut  me  le  rendre  grotesque! 

CYRANO. 

Vous  Taimeriez  encore? 

ROXANE. 

Et  davantage  presque  I 

CYRANO,    perdant  la  tête,  à  part. 

Mon  Dieu,  c'est  vrai,  peut-être,  et  le  bonheur  est  là. 

(  A  Roxane.) 

Je...  Roxane...  écoutez!... 


QUATlWIMi:      ACTB.  iSl 

LE    UIIET,    ontraol  râ|Miiomeol,  appelU  4  ni-toU. 

Cyrano  1 

CVIIA?ro,    te  relournAnl 

ll.ifi    • 

I  I       II.!    I 

Chili  ! 

(Il  loi  dit  ua  mol  tout  Uè.) 
CYRANO,     lji!M»aDt  i*ciiu|iper  U  main  do  Rosane,  aT#o  oo  cri. 

Ahl... 

IIOXANE. 

Qu'avez-vous? 

CYRANO,    à  lui-iiième,  avec  Mupcur. 

C'est  fini. 

(D«iooaiîon«  nouvallfis  ^. 
ROXAÎIE. 

Quoi  ?  Qu'csl-cc  encore  ?  On  lire  ? 

(Elle  remonte  pour  rrganicr  aa  dabort  ) 
CYRANO. 

C'est  fini,  jamais  plus  je  ne  pourrai  le  dire! 

ROXANE,     voulant  s'clanccr. 

Que  se  passe-l-il? 

CYRANO,     vivement ,  l'arrêtant. 

Rien  ! 

(Dos  cadets  sont  entras,  cv  hanl  <j  ju'iU  porlcnl.  et  lU 

forment  un  groupe  cnipêchanl  Ituxane  «l  aj  ^  . 

ROXANE. 

Ces  hommes? 

CYRANO,    réioignant 

Laissez  le»!... 

ROXANE. 

iMais  qu'alliez-vous  me  dire  avant?... 

CYRANO. 

Ce  que  j'allais 

l^ous  dire?...  rien,  oh!  rien,  je  le  jure,  madame! 

(Solennellement,^ 

Je  jure  que  l'esprit  de  Christian,  que  son  âme 


l84  CYRANO      DE     BERGERAC. 

Étaient... 

(Se  reprenant  avec  terreur.) 

sont  les  plus  grands... 

ROXAr^E. 

Étaient.^ 

(Avec  un  grand  cri.) 

Ah!... 

(Elle  se  précipite  et  écarte  tout  le  monde. 
CYRANO. 

G ''est  fini 

ROXANE,    voyant  Christian  couché  dans  son  manteau. 

Christian  ! 

LE  BRET,    à  Cyrano. 

Le  premier  coup  de  feu  de  l'ennemi  ! 

(Roxane  se  jette  sur  le  corps  de  Christian.  Nouveaux  coups  de  feu 
Cliquetis.  Rumeurs.  Tambours.) 

CARBON    DE    CASTEL-JALOUX,    l'épée   au  poing. 

C'est  l'attaque  !  Aux  mousquets  ! 

(Suivi  des  cadets,  il  passe    de  l'autre  côté  du  talus.) 
ROXANE. 

Christian  ! 

LA  VOIX  DE   CARBON,   derrière  le  talus. 

Qu'on  se  dépêche! 

ROXANE. 


Christian 


Roxane ! 


CARBON. 

Alignez-vous  ! 

ROXANE. 

Christian  ! 

CARBON. 

Mesurez...  mèche  ! 

(Ragueneau  est  accouru,  apportant  de  l'eau  dans  un  casque.) 
CHRISTIAN,    d'une  voix  mourante. 


CYRANO,  vite  et  bas  à  l'oreille  de  Christian,  pendant  que  Roxane  affolée 
trempe  dans  l'eau,  pour  le  panser,  un  morceau  de  linge  arraché  à  sa  poi- 
trine. 

J'ai  tout  dit.  C'est  toi  qu'elle  aime  encor! 

(Christian  ferme  les  yeux.) 


QUATHII   MF      Kfl  V  igj 

HUXA.^e. 

Quoi,  mon  amour > 

liatjiu'lie  haute! 

KOXANE,    è  Cyrino. 

Il  n'csl  pas  morl?... 
CAiiiK»:^. 
Ouvre:  la  cnaryc  avec  les  dents! 

ROXA^E. 

Devenir  froide,  là,  contre  la  niiennt  '. 

CAHIlO:<l. 

En  joue! 

KOXANE. 

Une  lettre  sur  lui  ! 

lElle  l'ouvre.) 

Pour  moi  ! 

CYKA>0,    à  pârl 

Ma  K'ilre  ! 

CAUnoN. 

Feu! 

(Mousqueterie.  Crii.  Bruit  de  baliilU  ) 
CYHANO,    voulaot  dégnger  m  main  que  tient  lloxane  agenouillé* 

Mais,  Koxane,  on  se  bat! 

nOXANE,    le  rel-nant. 

Restez  encore  un  |>eu. 
il  est  mort.  Vous  étiez  le  seul  à  le  connaître. 

(Elle  pleure  doucement.) 

—  NVst  ce  pas  que  c'était  un  être  c\«itii>,  un  (}lrc 
Merveilleux  ? 

CYHANO,    debout,  Uie  nue. 

Oui,  Roxane. 

ROXANE. 

In  poêle  inouï. 
Adorable? 

II. 


l86  CYRANO     DE     BERGERAC. 

CYRANO. 

Oui,  Roxane. 

ROXANE. 

Un  espri  t  sublime? 

CYRANO. 

Oui, 
Roxane ! 

ROXANE. 

Un  cœur  profond,  inconnu  du  profane, 
Une  âme  magnifique  et  charmante? 

CYRANO,    fermement. 

Oui,  Roxane  I 

ROXANE,     se  jetant  sur  le  corps   de  Christian . 

Il  est  mort! 

CYRANO,    à  part,  tirant  l'épée. 

Et  je  n'ai  qu'à  mourir  aujourd'hui, 
Puisque,  sans  le  savoir,  elle  me  pleure  en  lui! 

(Trompettes  au  loin.) 

DE   QUICHE,    qui  reparaît  sur  le  talus,  décoiffé,  blessé  au  front, 
d'une  voix  tonnante. 

G^est  le  signal  promis  !  Des  fanfares  de  cuivres  ! 
Les  Français  vont  rentrer  au  camp  avec  des  vivres  ! 
Tenez  encore  un  peu  ! 

ROXANE. 

Sur  sa  lettre,  du  sang, 
Des  pleurs  I 

UNE  voix,    au  dehors  criant. 

Rendez-vous  I 

VOIX  DES    CADETS. 

Non! 

RAGUENEAU^    qui,  grimpé  sur  son  carrosse,  regarde  la  bataille 
par-dessus  le  talus. 

Le  péril  va  croissant 

CYRANO,    à  de  Guiche    lui  montrant  Roxane. 

Emportez-la  !  Je  vais  charger  ! 

ROXANE,    baisant  la  lettre,  d'une  voix  mourante. 

Son  sang!  ses  larmes I. 


QUATHIKME     ACTI.  187 

RAGUKTEAC,    «autant  à  bai  il o  carrum  pour  eevir  f«r«  «lU. 

Elle  s'évanouit! 

DE  GUICIIE,    sur  la  talui.  aai  cadtto,  %wtù  rtft. 

Tenez  bon! 

UTIE  VOIX,    au  Jabon 

l^as  les  annes! 

V(n\     in  ^    i.ADETS. 

Non! 

CYRANO,    a  de  Goidia. 

Vous  avez  prouvé.  Monsieur,  votre  valeur  : 

(Lui  montraDt  Iloxana.) 

Fuyez  en  la  sauvant  ! 

DE    GUICIIE.    qui  court  à  RoxaDO  et  l'enUTa  dant  m*  bras 

Soit!  Mais  on  est  vaincjucur 
Si  vous  gagnez  du  lenips! 

ctra:«o. 
C'est  bon  ! 

(Criant    vers    Roxane  que  tlt  Ciuichc.  aitlc  do    Ragmoain,  tOlpoHt 

évanouie.) 

Adieu,  Roxane I 

(Tumulte.  Cris.  Des  cadets  reparaissent  bleaa^  et  Tiennaot  tooibtriO 
scène.  Cvrano  se  précipitant  au  combat  est  arrêlè  mu  la  crHt  par  Car- 
bon de  Castel-Jaloux,  couvert  de  sang  ) 

CARRO!1 

Nous  plions!  Jai  reçu  deux  coups  de  pcrluisancl 

CYRANO,    criant  aux  Gascons. 

Hardi!  Reculés  pas,  drollos ! 

A  (Urbfin,   qu'il  »ouUenLJ 

N'ayez  pas  peur! 
J'ai  deux  morts  à  venger  :  Christian  et  mon  bonheur I 

(lis  redescendent.  Cyrano  brandit  la  lance  où  est  atUcbé  la 

de  Roxane. 

Flotte,  petit  drapeau  de  dentelle  à  son  cliilTrc! 

(Il  la  plante  en  terre;  il  crie  aux  cadeta.) 

Toiimhé  dessus  I  Esc  rasas  tous! 

(Au  fifre 

Un  air  de  fifre! 


l88  CYRANO      DE     BERGERAC. 

(Le  fifre  joue.  Des  blessés  se  relèvent.  Des  cadets  dégringolant  le  talus 
viennent  se  grouper  autour  de  Cyrano  et  du  petit  drapeau.  Le  carrosse 
se  couvre  et  se  remplit  d'hommes,  se  hérisse  d'arquebuses,  se  transforme 
en  redoute.) 

UN  CADET,    paraissant,  à  reculons,  sur  la  crête,  se  battant  toujours,  crie  : 

Ils  montent  le  talus  ! 

(et  tombe  mort.) 
CYRANO. 

On  va  les  saluer! 

(Le  talus  se  couronne  en  un  instant  d'une  rangée  terrible  d'ennemi  . 
Les  grands  étendards  des  Impériaux  se  lèvent  ) 

CYRANO. 

Feu  ! 

(Décharge  générale.) 

CRI,    dans  les   rangs  ennemis. 

Feu  ! 

(Riposte  meurtrière.  Les  cadets  tombent  de  tous  côtés.) 
UN    OFFICIER    ESPAGNOL,    se  découvrant. 

Quels  sont  ces  gens  qui  se  font  tous  tuer? 

CYRANO,     récitant    debout  au   milieu  des  balles. 

Ce  sont  les  cadets  de  Gascogne 

De  Carbon  de  Castel-Jaloux;^      .       ^ 

Bretteurs  et  menteurs  sans  vergogne!  .."'_> 

(Il  s'élance,  suivi  des  quelques  survivants.) 

Ce  sont  les  cadets... 


Le  reste  se  perd  dans  la  bataille.  —  Rideau. 


r.l\ol  II.Mi;   ACTE 


LA   GAZETTE   DE   CYRANO 


CINOriKML  alTF 


i.A  <.  \/i:  rn:  di 


Quinze  ans  après,  en  i655.  Lo  parc  du  couvrni  qu«  let  Dt 

la  (Irolx  o(inpai«'nl  à  Pari*. 

Su|»orlK*s(jinl)ra^'.<.  A  gniiclio.  U  maison;  vaito  perron  sur  \enne\ 
ouvrent  plusieurs  portes.  Un  arhrc  énorme  au  milieu  do   la  • 

isolé   au   milieu   d'une   petilf»  place  ovale.   A     !-   ••-     •- - 

parmi  do  grands  huis,  un  banc  do  pierre  demi 

Tout  le  fond  du  thé.Urf 
qui  aboutit  à  dmito,  qualn 

vue  parmi  les  braiulies.  A  travers  le  doublo  rideau  d'à: 
allée,  on  aperçoit  dos  fuites  do  |)olouses,  d'autr^    .n    ..    .,,.,  i-rMju.  i^. 
les  prolondours  du  parc,  le  ciel. 

La    clia[»clle  ouvre   une  por( 
landée  do   vigne   rougio.   ijui 
plan,  derrière  les  bui^ 

C'est    l'automne,    luui»    i.i    ii<mi.j.ii*"ii    • -«i 
pelouses  fraîches.  Taches  sondires  i\c^  bui*  et  t\ 

placpio  do   feuille-^   jaunes   sous   chacpie  ar!  l 

toute  la  scène,  cracpieiil  ^<>ii^  K  •»  !•:»<-  d.m^  1 
le  perron  et  les  bancs 

Klllro  le  banc  do  ilr-'uc  «i  i.tiino,  \ii\  graïKj  IIP  u«r  j  i 
devant  lo(piel  une  petite  chaire  a  été  ap|>ortée.  Panier*  plein»  d 
veaux  et  de  pelotons.  Tapisserie  commeruée. 

Au  lever  du  rideau,  des' sieurs  vont  et  \  ienncnl  <Un*  le  parc, 
ques-unes  sont  assises  sur  le  banc  autour  d'une  religieuse  plu»  ■'•     " 
Des  feuilles  tombent. 


îgî  CYKANO     DE     BERGERAC. 

SCÈNE  PREMIÈRE 

Mère   marguerite,    soeur  MARTHE,   sœur    CLAIRiii, 

LES  Soeurs. 

SOEUR    MARTHE,    à  Mère  Marguerite. 

Sœur  Claire  a  regardé  deux  fois  comment  allait 
Sa  cornette,   devant  la  glace. 

MÈRE  MARGUERITE,     à  sœur  Glaire 

C'est  très  laid. 

SOEUR   GLAIRE. 

Mais  sœur  Marthe  a  repris  un  pruneau  de  la  tarte, 
Ce  matin  :  je  l'ai  vu. 

MÈRE   MARGUERITE,    à  sœur  Marthe. 

C'est  très  vilain,  sœur  Marthe 

SŒUR  GLAIRE. 

Un  tout  petit  regard  1 

SOEUR   MARTHE. 

Un  tout  petit  pruneau  ! 

MÈRE  MARGUERITE,    sévèrement. 

Je  le  dirai,  ce  soir,  à  monsieur  Cyrano. 

SOEUR   GLAIRE,    épouvantée. 

Non  !  il  va  se  moquer  ! 

SOEUR  MARTHE. 

Il  dira  que  les  nonnes 
Sont  très  coquettes! 

SŒUR   GLAIRE. 

Très  gourmandes  ! 

MÈRE    MARGUERITE,    souriant. 

Et  très  bonnes 

SOEUR   GLAIRE. 

N'est-ce  pas.  Mère  Marguerite  de  Jésus, 
Qu'il  vient,  le  samedi,  depuis  dix  ans! 

MÈRE   MARGUERITE. 

Et  plus! 
Depuis  que  sa  cousine  à  nos  béguins  de  toile 


CIKQtlÈMB     ACTK.  1^ 

Mêla   \o  (Iriiil  inniulain  ilo  iwi  coiffe  de  voile. 
Qui  chez  MOUS  vint  s'alxiUrc,  il  y  a  oiiatonu^  an>. 
Comme  un  graïul  oiseau  noir  parmi  les  oÎ5eau&  blancs! 

SC»:i  h    MARTHE. 

Lui  s(  ul,  cl<'j)uis  (jurllo  a  pris  rlianihn»  clans  ce  cloître. 
Sait  disliaire  un  chagrin  qui  nr  nouI  pas  ilirmllrc. 

TOUTES   LES   SŒLRS. 

Il  est  si  (InMe!  —  C'est  amusant  quand  il  vient  1 

—  Il  nous  ta(|uine!  —  Il  est  gentil!  —  Nou»i  iV.i...-.nîi  bieol 

—  Nous  ral)ri(iuons  pour  lui  des  pAlcs  dang 

SŒUR   MARTHE. 

Mais  enfin,  ce  n*est  pas  un  très  bon  calliolique! 

SOEUR   CLAIRE. 

Nous  le  convertirons. 

LES  sa:uRS. 
Oui!  Ouil 

MÈRE    MARGUERITE. 

Je  vous  drt«  iltls 
De  l'entreprendre  enror  sur  ce  j>oinl.  mes  enfan*^ 
Ne  le  tourmentez  pas  :    il  viendrait  moins  j>eul  . 

scrru  M  A  uni  F. 
Mais...  Dieu  !.. 

Ml'lU:    M\lU.rF.KITK. 

Rassurez-vous  :  Dieu  doit  Lieu  le  connaître. 

SŒXR   MARTHE. 

Mais  chaque  samedi,  quand  il  vient  d'un  air  fier. 
Il  me  dit  en  entrant  :  u  Ma  s(rur,  j'ai  fait  gras,  hi- 

mi:re  marguerite. 
Ah!   il  vous  dit  cela.^...   Eh  bien!   la  fois  dernière 
Il  n'avait  pas  mangé  depuis  deux  jours. 

SCEUn    MARTUr. 

Ma  Mère! 


194  CYRANO      DE      BERGERAC. 

MÈRE   MARGUERITE. 

Il  est  pauvre» 

SŒUR    MARTHE. 

Qui  vous  l'a  dit? 

MÈRE   MARGUERITE. 

Monsieur  Le  Bret. 

SŒUR    MARTHE. 

On  ne  le  secourt  pas.^ 

MÈRE    MARGUERITE. 

Non,  il  se  fâcherait. 

(Dans  une  allée  du  fond,  on  voit  apparaître  Roxane,  vêtue  de  noir, 
avec  la  coiffe  des  veuves  et  de  longs  voiles;  de  Quiche,  magnifique  ot 
vieillissant,  marche  auprès  d'elle  Ils  vont  à  pas  lents.  Mère  Marguerite 
se  lève.) 

—  Allons,  il  faut  rentrer...  Madame  Madeleine, 
Avec  un  visiteur,   dans  le  parc  se  promène. 

SŒUR   MARTHE,     bas  à  sœur  Claire. 

C'est  le  duc-maréchal  de  Grammont.^ 

SŒ:UR    claire,    regardant. 

Oui,  je  crois. 

SŒUR    MARTHE. 

Il  n'était  plus  venu  la  voir  depuis  des  mois  I 

LES    SŒURS. 

n  est  très  pris  !  —  La  cour  !  —  Les  camps  ! 

SŒUR    CLAIRE. 

Les  soins  du  monde  I 

(Elles  sortent.  De  Guiche  et  Roxane  descendent  en  silence  et  s'ar- 
rêtent près  du  métier.  Un  temps.) 


i 


n^nri  i"  \f  I      » .  Tf' 


SCÈNE  II 


ROXANK,    LK  DUC  DE  GRaMMont 
ancien  conilc  de  (iuiclie.  puis  LK  BlUrf  cl  RAlil  KNKAU 


Li:    du;. 
Et  vous  dcnicurorez  iri,  vain,  iiu-ni  l.l. n.liv 
Toujours  en  deuil? 

Toujours. 
LE  lac. 

Aussi  fidèle? 

I\OXA>E. 

Aussi. 

Vous  m'avez  pardonnr? 

ROXANE»    sioiplemcnt.  regartUnt  U  croh  du  ooqvm»! 

Puisque  je  suis  ici. 

iN«ii»'       •    '..cm. 
LE    DUC. 

Vraimcnl  c'était  un  cire?... 

ROXAXE. 

Il  fallait  le  connaître! 

LE     DlC. 

Ab!  Il  fallait?...  Je  l'ai  trop  peu  connu,  peut  Alrcl 
...  Et  son  dernier  billet,  sur  votre  cœur,  toujours? 

r()\a:ie. 

Comme  im  doux  scapulaire,  il  pend  h  •"  \.l.  iir« 

LL    DUC. 

Même  mort,  vous  l'aimez? 

hoxa:<(e. 

Quelquefois  il  me  s<'mblc 
Qu'il  n'est  mort  c|u'à  demi,  (|ue  nos  arurs  ^pul  cn^'mble. 
Et  que  son  amour  lloltc,  aulnur  de  moi,  vivant! 

LE    DUCy    apri*s  uo  »il«nc«  eooor*. 

Est-ce  que  Cyrano  vient  vous  voir? 


196  CYRANO     DE      BERGERAC. 

ROXANE. 

Oui,  souvent. 

—  Ce  vieil  amî,  pour  moi,  remplace  les  gazettes. 

Il  vient  ;  c'est  régulier  ;  sous  cet  arbre  où  vous  êtes 

On  place  son  fauteuil,  s'il  fait  beau;  je  l'attends 

En  brodant  ;  l'heure  sonne  ;  au  dernier  coup,  j'entends 

—  Car  je  ne  tourne  plus  même  le  front  !  —  sa  canne 
Descendre  le  perron  ;  il  s'assied  ;  il  ricane 

De  ma  tapisserie  éternelle;  il  me  fait 
La  chronique  de  la  semaine,  et... 

(Le  Bret  paraît  sur  le  perron  ) 

Tiens,  Le  Bret! 

(Le  Bret  descend.) 

Comment  va  notre  ami? 

LE    BRET. 

Mal. 

LE    DUC. 

Ohl 


ROXANE,    au  duc. 


Il  exagère  ! 


LE    BRET. 

Tout  ce  que  j'ai  prédit  :  l'abandon,  la  misère  I... 
Ses  épîtres  lui  font  des  ennemis  nouveaux  1 
Il  attaque  les  faux  nobles,  les  faux  dévots, 
Les  faux  braves,  les  plagiaires,  —  tout  le  monde. 

ROXANE. 

Mais  son  épée  inspire  une  terreur  profonde. 
On  ne  viendra  jamais  à  bout  de  lui. 

LE    DUC,    hochant  la  tête. 

Qui  sait? 

LE    BRET. 

Ce  que  je  crains,  ce  n'est  pas  les  attaques,  c'est 

La  solitude,  la  famine,  c'est  Décembre 

Entrant  à  pas  de  loup  dans  son  obscure  chambre  : 

Voilà  les  spadassins  qui  plutôt  le  tueront  ! 

—  Il  serre  chaque  jour,  d'un  cran,  son  ceinturon. 


ClNOLIhllK      ACTE.  1^ 

Son  pauvre  nez  a  prîs  de»  Ions  do  vieil  ivoire. 
II  n'a  plus  qu'un  i^til  habit  de  serge  noire. 


LB    DUC 


Ah!  cehii-là  n'est  pas  jMuvcnu!  —  Cesl  égil. 

Ne  le  plaignez  pas  trop. 

LE    DH£T,    avet-  iid  wmhr*  amer. 

Monsieur  le  maréchal!... 

LE    DIT.. 

Ne  le  |)lai^'nez  pas  trop:   il  a  sèm  >.,.i- 
Libre  dans  sa  pensi'e  aulanl  que  dans  h< 

Il     liKKT,    de  m^me 

^loIl^ieu^  !o  duc  !... 

I.K     hl  C,     iiaulaiiiriiirr)! 

Je  sais,  oui:  j'ai  (oui;  il  n'a  lien... 
Mais  je  lui  serrerais  bien  volonliers  la  main. 

Saluaut  Koiane.) 

Adieu. 

ROXA^B. 

Je  vous  conduis. 

(Le  duc  salue  Le  Bret  et  se  dirige  arec  Roxaoe  ven  le  ptmMi.) 
LE    DUC,    s'arr^taot.  tandis  qu'elle  moole. 

Oui.  parfois,  je  l'envie. 
—  Voyez-vous,  lorsqu'on  a  trop  réussi  sa  vie. 
On  sent,  —  n'ayant  rien  lait,  mt»n  I)ieu,  de  vraiment  mal* 
Mille  petits  dé^^oùts  de  soi,  dont  le  total 
Ne  fait  pas  un  remords,  mais  une  gène  obscure; 
Et  les  manteaux  de  duc  traînent  dans  leur  fourrure, 
Pendant  que  des  frrandtMirs  on  monte  les  deirrés, 
Un  bruit  d'illusions  sèilies  et  de  regrets. 
Comme,  quand  vous  montez  lentement  vers  ces  portes. 
Votre  robe  de  deuil  traîne  des  feuilles  mortes. 


^98  CYRANO     DE     BERGERAC. 

ROXANE,    ironicjue. 

Vous  voilà  bien  rêveur?... 

LE    DUC. 

Eh  1  oui  1 

(Au  moment  de  sortir,  brusquement.) 

Monsieur  Le  Bretl 

(A  Roxane.) 

Vous  permettez?  Un  mot. 

(Il  va  à  Le  Bret,  et  à  mi-voix.) 

C'est  vrai  :  nul  n'oserait 
Attaquer  votre  ami;  mais  beaucoup  l'ont  en  haine; 
Et  quelqu'un  me  disait,  hier,  au  jeu,  chez  la  Reine  : 
((  Ce  Cyrano  pourrait  mourir  d'un  accident.  » 

LE    BRET. 

Ah? 

LE    DUC. 

Oui.  Qu'il  sorte  peu.  Qu'il  soit  prudent. 

LE    BRET,    levant  les  bras  au  ciel. 

Prudent  1 
Il  va  venir.  Je  vais  l'avertir.  Oui,  maîsl... 

ROXANE,   qui  est  restée  sur  le  perron,  à  une  sœur  qui  s'avance  vers  elle. 

Qu'est-ce  ? 

LA  SŒUR. 

Ragueneau  veut  vous  voir,  Madame. 

ROXANE . 

Qu'on  le  laisse 
Entrer. 

(Au  duc  et  à  Le  Bret.) 

Il  vient  crier  misère.  Etant  un  jour 
Parti  pour  être  auteur,  il  devint  tour  à  tour 
Chantre... 


ij:  itiiiiT. 


fitiivislc... 

nOXA.XE 

Acteur... 


LE    nBET. 

ROXA?ïE. 
LE    IIHET. 


Du  lluVirbc, 


PiTf  it/iiii<»r 

Matlr« 


l\OXA?«E. 

Aujounrilui,  que  pourrait  il  l)io!»  rire? 

Il.V(^UE?iEAL' ,     rolr.int    prrt  iniijniin.  r   • 

Ah:  Madame! 

Il  ap«rvoit  I^  UrcI  ) 

Monsieur  ! 

ROXANE,    touriaot. 

Ilacontcz  vos  malheurs 
A  Le  Brct.  J<^  r<M  î, us 

Mais,  Madame... 

(RoxaDO  sort  sans  l'écouler,  avec  le  duc   II  redevceml  rtn  Le  Bril.) 

SGÎ-NE  III 

LE  niU:T.   UAGUENEAl' 

f\\GîF?«EAT\ 

D'ailleurs, 
Puisque  vous  eles  la.  j  iuine  niieux  qu  olle  ignore! 
—  J'allais  voir  votre  ami  tantôt.  J'itais  encore 
A  vin«,^t  pas  de  chez  lui...  qu.ind  je  le  vois  de  loin. 
Qui  sort.  Je  veux  le  joindre.  Il  va  tourner  le  coin 


200  CYRANO     DE      BERGERAC. 

De  la  rue...  el  je  cours...  lorsque  d'une  fenêtre 

Sous  laquelle  il  passait  —  est-ce  un  hasard?...  peut-être!  — 

Un  laquais  laisse  choir  une  pièce  de  bois. 

LE    BRET. 

Les  lâches  ! . . .  Cyrano  ! 

RAGUENEAU. 

J*arrive  et  je  le  vois... 

LE    BRET. 

C'est  affreux  ! 

RAGUENEAU. 

Notre  ami,  Monsieur,  notre  poète, 
Je  le  vois,  là,  par  terre,  un  grand  trou  dans  la  tête  ! 

LE    BRET. 

Il  est  mort.^ 

RAGUENEAU. 

Non  !  mais...  Dieu  !  je  Fai  porté  chez  lui. 
Dans  sa  chambre...  Ah!  sa  chambre!  il  faut  voir  ce  réduit' 

LE    BRET. 

Il  souffre? 

RAGUENEAU. 

Non,  Monsieur,  il  est  sans  connaissance. 

LE    BRET. 

Un  médecin? 

RAGUENEAU. 

Il  en  vint  un  par  complaisance. 

LE    BRET. 

Mon  pauvre  Cyrano  !  —  Ne  disons  pas  cela 
Tout  d'un  coup  à  Roxane!  —  Et  ce  docteur? 

RAGUENEAU. 

11  a 
Parlé,  —  je  ne  sais  plus,  —  de  fièvre,  de  méninges  !... 
Ah  !  si  vous  le  voyiez  —  la  tête  dans  des  linges!... 
Courons  vite  !  —  Il  n'y  a  personne  à  son  chevet!  — 
C'est  qu'il  pourrait  mourir.  Monsieur,  s'il  se  levait  ! 

LE    BRET,    l'entraînant  vers  la  droite. 

Passons  par  là!  Viens,  c'est  plus  court!  Par  la  chapelle  1 


ROXANR,    parait^nt  «ur  !•  perron  el  vo^aal  Ïjê  Hr«l  •eloi^mm 
|>ir  la  col<MMia«l«  i|iii  mène  a  U  poiiU  porU  «!•  U  cl^pclU 

(1^  itrrl  et  IUxu«oe«a  m  Ma««al  •••§  l'poilri  | 

Le  Brrl  s'fii  va  f| 

'/l'sl  (jui'l(|iie  hisloirr  m. m   .1.    .  .•  !►. 

(Mlle  ilocenJ  1«  |*erroti 

se  km:  i\ 

IlOWNK  seule,  puis  deux  Scturs.  un  instant. 

l\f)I\MB. 

Al      .[lie  ce  (l«'inn  r  j"ur  tie  sepleinbrt'  est  di»n«'  l>«\iu  ' 

M.i  lri>lesse  souiil.    l'^lU»  (ju'Avril  oiliiMjue. 

So  laisse  décider  par  ranlonine,  moins  brus<|ue. 

VMû  s'As»ie<l  h  M>n  nirtier    Deiii  MBur»  torUot  <!•  U  ni«i»oo  •!  appOT* 
tent  tin  i^rarul  fauteuil   M>ut  l'arbre  ) 

Ail!  voici  le  Taiiteuil  classique  oii  vient  s'asseoir 
Mon  xioil  ami  ! 

scy:i  h   m  a  in  11 e. 
Mais  c'est  le  meilleur  du  parloir! 

ROXA?IE. 

Merci,  ma  sœur. 

(Le«  MPur»  n'éloitnenl 

Il  va  venir. 

(Elle  t'intUlle.  <  '  ift.) 

U...  1 

—  Mes  échcveaux  !  —  I/heure  a  sonné?  Ceci  nrétoiinel 

Serait-il  en  retard  pour  la  première  foif  ? 
La  stviir  lourièrc  dnil  —  mon  dé?...  là,  jV  ' 
L'exliorter  à  la   pénili  nre. 

Ud  lemp* 

Elle  rexIiMiie  . 

—  Il  ne  peut  plus  tarder.   —  Tiens  !  une  feuille  morte  !  — 

Klle  pousse  du  iloii;l  la  feuille  toniU-c  >ur  »on  nirlirr  ) 

D'ailleurs,  rien  ne  pourrait.  — Mes  ciseaux?...  dans  naon  bac.  — 
L'om pécher  de  venir  ! 

t>E    SC»:i  II,    paraïaMinl  sur  le  perron. 

Monsieur  île  Borirerac. 


aoa  CYRANO     DE     BERGERAC. 

SCÈNE  V 

ROXANE,  CYRANO  et.  un  moment,  SœuR  MARTHE. 

ROXANE,    sans  se  retourner. 

Qu'est-ce  que  je  disais?... 

(Et  elle  brode.  Cyrano?  très  pâle,  le  feutre  enfonce  sur  les  yeux, 
paraît.  La  sœur  qui  l'a  introduit  rentre.  Il  se  met  à  descendre  le  per- 
ron lentement,  avec  un  effort  visible  pour  se  tenir  debout,  et  en  s'ap- 
puyant  sur  sa  canne.  Roxane  travaille  à  sa  tapisserie,) 

Ah!  ces  teintes  lanées... 
Gomment  les  rassortir? 

(A  Cyrano,  sur  un  ton  d'amicale  gronderio.) 

Depuis  quatorze  années, 
Pour  la  première  fois,  en  retard! 

CYRANO,    qui  est  parvenu  au  fauteuil  et  s'est  assis,  d'une  voix  gaie 
contrastant  avec  son  visage. 

Oui,  c'est  fou! 
J'enrage.  Je  fus  mis  en  retard,  vertuchou  ! . . . 

ROXANE. 

Par?... 

CYRANO. 

Par  une  visite  assez  inopportune. 

ROXANE,    distraite,  travaillant. 

Ah!  oui!  quelque  fâcheux? 

^  CYRANO. 

Cousine,  c'était  une 
Fâcheuse.  -  \a    .'v\c)«-'t 

ROXANE. 

Vous  l'avez  renvoyée? 

CYRANO. 

Oui,  j'ai  dit: 
Excusez-moi,  mais  c'est  aujourd'hui  samedi, 
Jour  où  je  dois  me  rendre  en  certaine  demeure; 
Rien  ne  m'y  fait  manquer:  repassez  dans  une  heure  1 


CINQUIEME     ACTB.  "^ 

IIOXA?<ce,    Ugèr«iDMt 

Eli  bien  !  cette  personne  allciulra  pour  vooi  voir  : 
Je  oe  vous  laisse  pas  partir  avant  ce  soir. 

CYIIA!<0,    av«cdoocwir 

Peut-être  un  peu  plus  tôt  faudra-t  il  c|ui*  je  pn' 

(Il  ferme  Ie«  voui  ©l  m  Ult  un  in**      •-*••»■ 
do  la  cha[)«llQ  au  {>«rn>ii    Koiano    1 
ièU., 

A0XA:«(E,    à  (:,>raiM 

Vous  ne  tacpiinez  pas  sœur  Marllic? 

CTRAl^O,    vivemeot,  onrnnl  Uê  TtOl. 

Si  : 

Approchez  ! 

(La  soîur  glisso  vers  lui.) 

lia!  ha!  lia!  Beaux  yeux  loujourb  laiksc*! 

SŒtn   MAUTIIE,    IcTADt  le«  \cui  tn  aourUnl 

Mais... 

(Elle  voit  sa  figure  et  fait  un  g«tle  J'étonncoiciil.) 

01.: 

CTI\A>'0,    bas.  lui  montrant  Uouid« 

Chut  !  Ce  n'est  rien  !  — 

D'une  Toit  fanfaroon*   llaol. 

Hier,  j'ai  fait  gras. 

SŒUR    MARTHE. 

Je  stU. 

(A  part.) 

C'est  pour  cela  qu'il  est  si  jkilel 

(Vile  et  bw.) 

Au  réfectoire 
Vous  viendrez  tout  a  l'heure,  et  je  vous  ferai  boire 
Un  grand  bol  de  bouille »ri. ..  Vous  viendrez? 

CYRANO. 

Oui.  oui.  oui. 

SCEUR  MARTHE. 

Ah!  vous  êtes  un  peu  raisonnable,  aujourd'hui! 


204  CYRANO     DE      BERGERAC. 

ROXANE,    qui  les  entend  chuchoter. 

Elle  essaye  de  vous  convertir! 

SCEUR   MARTHE. 

Je  m'en  garde  ! 

CYRANO. 

Tiens,  c'est  vrai!  Vous  toujours  si  saintement  bavarde, 
Nous  ne  me  prêchez  pas?  c'est  étonnant,  ceci!... 

(Avec  une  fureur  bouffon  ne.) 

Sabre  de  bois  !  Je  veux  vous  étonner  aussi  ! 
Tenez,  je  vous  permets... 

(H    a  l'air  de  chercher  une  bonne  taquinerie,  et  delà  trouver.) 

Ah!  la  chose  est  nouvelle?... 
De...  de  prier  pour  moi,  ce  soir,  à  la  chapelle. 

ROXANE. 

Oh  1  oh  ! 

CYRANO,    riant. 

Sœur  Marthe  est  dans  la  stupéfaction  ! 

SOEUR  MARTHE,    doucement. 

Je  n'ai  pas  attendu  votre  permission. 

(Elle  rentre.) 
CYRANO,    revenant  à  Roxane,  penchée  sur  son  métier. 

\Du  diable  si  je  peux  jamais,  tapisserie. 
Voir  ta  fin  I 

ROXANE. 

J'attendais  cette  plaisanterie. 

(A  ce  moment,  un  peu  de  brise  fait  tomber  les  feuilles.) 
CYRANO. 

Les  feuilles! 

ROXANE,    levant  la  tête,  et  regardant  au  loin,  dans  les  allées. 

Elles  sont  d'un  blond  vénitien. 
Regardez-les  tomber. 

CYRANO. 

Comme  elles  tombent  bien  ! 
Dans  ce  trajet  si  court  de  la  branche  à  la  terre, 
Comme  elles  savent  mettre  une  beauté  dernière, 
Et  malgré  leur  terreur  de  pourrir  sur  le  sol. 
Veulent  que  cette  chute  ait  la  grâce  d'un  vol! 


CINOUièlie      ACTE.  Ml 

Mt51anooli(juc,  vous? 

CYH4XO«   M  rrprnuol 

Mais  pas  du  tout,  noxane! 

RO\  \M 

Allons,  hiissiv.  l«)inl>«T  les  fcuilli->  de  plaUiiio... 
Kt  rai'onl»*/  un  peu  ce  qu'il   v    •    !♦»  n»'u|. 
Ma  gazette  ? 

CYR\>(). 

\  oici  : 

Ah! 

CTRA?(0,   do  plus  en  plu»   pâl«.  et  luUanI  conirt  U  doaUiir 

Samedi,  dix-neuf  : 
Avant  mangé  Imit  fois  du  raisiné  de  («elle. 
Le  lloi  fut  pris  de  fièvre;  à  deux  coups  de  lancette 
^on  mal  fut  condamné  pour  lèse  majesté. 
Va  cet  auLTuste  pouls  n'a  plus  féhricité! 
\ii  frrand  hal,  chez  la  \r\i\c,  on  a  hri^ilé.    n 
Sept  cent  soixante  Irois  llandx'aux  de  cire  li  , 

Nos  troupes  ont  battu,  dit-on,  Jean  rAutricliien  ; 
<  )n  a  pendu  (pialre  sorciers  ;  le  petit  chien 
De  madame  dWlhis  a  d\\  prendre  un  clyslèrc... 

KO\\!^F.. 

Monsieur  de   Bergerac,   Nouiez  vous  l»ien  vous  taire  î 

CYRANO 

Lundi...  rien.  Lygdamire  a  changé  d'amant. 

Oh! 

CYHVNO,    li.nt    le  vim^   «'alUre  «le  plu»  fo  plut. 

Mardi,  toute  la  cour  est  h  Konlaincbleau. 
Mercredi,  la  Monlf^dat  dit  au  comte  de  Fiesque  : 
Non!  Jeudi  :  Mancini.  reine  de  France,  — ou  nrejvpie! 
Le  vingt  cin(|.  la  Monlglat  à  de  Ficsquc  dit  :  Oui; 

Et  samedi,  vingt  six... 

^11  ferme  les  veux    Sa  lêle  tnmU.  Silenct.) 

i8 


ao6  CYRANO     DE     BERGERAC. 

ROXANE,    surprise  de  ne  plus  rien  entendre,  se  retourne,  le  regarde, 
et  se  levant  effrayée. 

Il  est  évanoui? 

(Elle  court  vers  lui  en  criant.) 

Cyrano  ! 

CYRANO j    rouvrant  les  yeux,  d'une  voix  vague. 

Qu'est-ce  ?. . .  Quoi  ?. . . 

(Il   voit  Roxane   penchée  sur  lui   et,   vivement,  assurant  son  chapeau 
sur  sa  tète  et  reculant  avec  effroi  dans  son  fauteuil.) 

Non  !  non  !  je  vous  assure, 
Ce  n'est  rien.  Laissez-moi! 

ROXATNE. 

Pourtant... 

CYRANO. 

C'est  ma  blessure 
D'Arras...  qui...  quelquefois...  vous  savez... 

ROXA.NE. 

Pauvre  ami! 

CYRANO. 

Mais  ce  n'est  rien.  Cela  va  finir. 

(U  sourit  avec  effort.) 

C'est  fmi. 

ROXANE,    debout  près  de  lui. 

Chacun  de  nous  a  sa  blessure  :  j'ai  la  mienne. 
Toujours  vive,  elle  est  là,  cette  blessure  ancienne, 

(Elle  met  la  main  sur  sa  poitrine.) 

Elle  est  là,  sous  la  lettre  au  papier  jaunissant 
Où  l'on  peut  voir  encor  des  larmes  et  du  sang  ! 

(Le  crépuscule  commence  à  venir.) 
CYRANO . 

Sa  lettre!...  N'aviez-vous  pas  dit  qu'un  jour,  peut-être, 
Vous  me  la  feriez  lire  ? 

ROXANE. 

Ah!  vous  voulez?...  Sa  lettre? 

CYRANO. 

Oui...  Je  veux...  Aujourd'hui... 

ROXANE,    lui  donnant  le  sachet  pendu  à  son  cou. 

Tenez  ! 

CYRANO,    le  prenant. 

Je  peux  ouvrir? 


Cl!<fQUIKMB      \CTB. 

Ouvrez...  lisez!... 


Il'  •  \  \  "»  I 


KIU  rvvMttI  à  toA  mèlkr.  I«  rvplM.  rMfi  tti  biMi  ) 

n     lioxnnCt    iuiu'U,  J.  fn,ui'ir  '  m 

HO.\A?IB.    ■arrèlant.  élooo^. 

Tout  haut  ? 

CTHA?I0.     ItMnt. 

«  C*esl  pour  ce  soir,  je  crois,  ma  bien-aimée  ! 
«  J\ii  rame  lourde  encor  il\imonr  inexprimée,' 
«  El  je  mciu^s  !  jamais  plus,  jamais  mes  yeux  grisés, 
«  Mes  regards  dont  citait 

Comme  vous  In  lifez. 
Sa  lellre! 

CTR\!(0,    cottlinuaot 

u   ...  dont  c  était  les  frènmar.nics 
u  Se  baiseront  au  v(d  les  gestes  fjue  vous  /I; 
«  J'en  revois  un  petit  t/ui  vous  est  familier 
((  Pour  toucher  votre  front,  et  je  voudrais  crier 

HO\A>E,     Irouhire. 

Goiiniio  vous  la  lise/.   —  *••"•'  l'Ilre! 

Iji  oust  vient  iaieoiiUiBMl) 
C\HAVO. 

««  Et  je  crie  : 
«  Adieu  l...  » 

ROXA!<IB. 

Vous  la  lisez... 


CYHA?JO. 

«  Ma  chbre,  ma  chérie. 


((  Mon  trésor. 


IlOXAr>'fi»    réfUÈê. 

D'une  voix... 


Mon  amour!,.,  n 

ROXAIfE. 

l)  une  v. 

(EUt  ITMM 


208  l.YRArSO      DE      BERGERAC. 

Mais...  que  je  n'entends  pas  pour  la  premîéte  fois! 

(Elle  s'approche  tout  doucement,  sans  qu'il  s'en  aperçoive,  passe  der- 
rière le  fauteuil,  se  penche  sans  bruit,  regarde  la  lettre.  —  L'ombre 
augmente.) 

CYRANO. 

«  Mon  cœur  ne  vous  quitta  jamais  une  seconde, 
((  Et  je  suis  et  serai  jusque  dans  Vautre  monde 
((  Celui  qui  vous  aima  sans  mesure,  celui,,.  » 

ROXANE,     lui  posant  la  main  sur  l'épaule. 

Comment  pouvez-vous  lire  à  présent.^  Il  fait  nuit. 

(U  tressaille,  se  retourne,  la  voit  là  tout  près,  fait  un  geste  d'effroi, 
baisse  la  tête.  Un  long  silence.  Puis,  dans  l'ombre  complètement  venue, 
elle  dit  avec  lenteur,  joignant  les  mains:) 

Et  pendant  quatorze  ans,  il  a  joué  ce  rôle 
D'être  le  vieil  ami  qui  vient  pour  être  drôle  I 

CYRANO. 

Roxane 1 

ROXANE. 

C'était  vous. 

CYRANO. 

Non,  non,  Roxane,  non! 

ROXANE. 

J'aurais  dû  deviner  quand  il  disait  mon  nom! 

CYRANO. 

Non!  ce  n'était  pas  moi! 

ROXANE. 

C'était  vous! 

CYRANO. 

Je  vous  jure... 

ROXANE. 

J 'aperçois  toute  la  généreuse  imposture  : 
Les  lettres,  c'était  vou-s... 

CYRANO. 

Non! 

ROXANE. 

Les  mots  chers  et  fous, 


CIMQt'I^.MB     ACTB.  My 

C'était  vous... 

TRAM). 

La  vuix  (Inris  l.i  tmlr    r'/tAii  vcnn. 

CTRA!<IO. 

Je  vous  jure  que  non! 

ROXAXr 

L'Anir.  celait  la  \uuc: 

CÏIlA^M 

Je  ne  vous  aimais  pas. 

noxA:«E. 

Vous  m'aimiez! 

CTRA?(0,  M  dibalUDl 
ROXA>E. 

Vous  m'aimiez  ! 

CTRA>'0,    dune  voii  qui  Ikiblil 

Non  : 

ROXA!<E. 

Déjà  vous  le  dite5  plus  bas  ! 

CYRAJCO. 

Non,  non.  mon  cher  amour,  je  ne  vous  aimais  |»ast 

ROXA?IE 

Ali!  que  de  cliosos  qui  sont  mortes...  (jui  fc^ni  tjccal 
—  Pourquoi  vous  cire  lu  penilanl  (jualor/c  amures. 
Puisque  sur  celte  lettre  oii.  lui,  n'était  |>our  rien. 
Ces  pleurs  étaient  de  vous? 

CTRA?iO,    lui  tendant  U  letlr« 

Ce  sang  était  le  sien. 

ROXA!1E. 

Alors  pourquoi  laisser  ce  sublime  silence 
Se  briser  aujourd'hui? 

CYRA>0. 

P 

(Le  Brot  et  Ra^ueneau  ent; 


210  CYRANO     DE      BERGERAC. 

SCÈNE    VI 

Les  Mêmes,  LE  BRET  el  RAGUENEAU. 

LE    BRET. 

Quelle  imprudence  J 
Ah  !  j'en  étais  bien  sûr  !  il  est  làl 

GYRAIVO,    souriant  et  se  redressant. 

Tiens,  parbleu! 

LE    BRET. 

Il  s'est  tué.  Madame,  en  se  levant  I 

ROXANE. 

Grand  Dieu  ! 
Mais  tout  à  l'heure  alors...  cette  faiblesse?...  cette?... 

CYRANO. 

C'est  vrai!  je  n'avais  pas  terminé  ma  gazette: 
...  Et  samedi,  vingt-six,  une  heure  avant  dîné, 
Monsieur  de  Bergerac  est  mort  assassiné. 

(n  se  découvre;  on  voit  sa  tête  entourée  de  linges.) 
ROXANE. 

Que  dit-il?  —  Cyrano!  —  Sa  tête  enveloppée!... 
Ah  !  que  vous  a-t-on  fait?  Pourquoi? 

CYRANO. 

((  D'un  coup  d'épée, 
Frappé  par  un  héros,  tomber  la  pointe  au  cœur!  ».,. 
—  Oui,  je  disais  cela!...  Le  destin  est  railleur!... 
Et  voilà  que  je  suis  tué  dans  une  embûche. 
Par  derrière,  par  un  laquais,  d'un  coup  de  bûche  I 
C'est  très  bien.  J'aurai  tout  manqué,  même  ma  mort. 

RAGUENEAU. 

Ah  !  Monsieur  ! . . . 

CYRANO. 

Ragueneau,  ne  pleure  pas  si  fort!.., 

(n  lui  tend  la  main.) 

Qu'est-ce  que  tu  deviens,  maintenant,  mon  confrère? 


Ci:«IQUl^!tfB      ACTK  tu 

llAf.LKMlAt»    à  travers  m  Urni«-. 

Je  suis  niouchcur  de...  de...  ciiandcllr».  M        ^ 

CÏRAJIO. 

Molière! 

Mais  je  veux  le  quitter,  dès  demain; 
Oui.  je  suis  indigné!...   Hier,  on  jouait  Scapm, 
lit  j'ai  vu  (ju'il  vous  a  pris  une  scène! 

LE     BHET. 

Entière  ! 

R.\r.tE>tF.Al'. 

Oui,  Monsieur,  le  fameux         <>ue  diable  allait  li  uirc-' 

LE    iUihl,    furieui. 

Molière  le  l'a  pris  ! 

Chutî  rhul'   11  n  bien  fait'.. 
V   lUgiicncau.) 

La  scène,  n'est<e  pas.  produit  beaucoup  d  effet? 

R.\GUe!IFAr,    MngloUol. 

Ah!  Monsieur,  on  riait!  on  riait! 

CYRANO. 

Oui,  ma  vie 

Ce  fut  d'être  celui  qui  souille  —  et  qu'on  oublie! 

(A  Roiano. 

Vous  souvient  il  du  soir  où  Christian  vous  parla 
Sous  le  balcon.^  Eh  bien  !  toute  ma  vie  est  li  : 
Pendant  que  je  restais  en  bas,  dans  l'ombre  noire. 
D'autres  inoulaionl  cueillir  le  baiser  de  la  gloire! 
C'est  justice,  et  j'approuve  au  seuil  de  mon  •■^î»  ^' 
Molière  a  du  génie  et  Christian  était  beau  ! 

'^A  ce  moment.  U  cloche  «le  la  chapelle  avant  liot^.  oo  «oit  l««al  *• 

fond,  ilaus  l'allée,  le*  religieuses  »e  reodani  a  roHur  ) 

Qu'elles  aillent  prier  puisque  leur  -  î..»..     r» 


212  CYRANO     DE      BERGERAC. 

ROXANE,    se  relevant  pour  appeler. 

Ma  sœur!  ma  sœuri 

CYRANO,    la  retenant. 

Non  !  non  !  n'allez  chercher  personne  : 
Quand  vous  reviendriez,  je  ne  serais  plus  là. 

(Les  religieuses  sont  entrées  dans  la  chapelle,  on  entend  l'orgue.) 

Il  me  manquait  un  peu  d'harmonie...  en  voilà. 

ROXANE. 

Je  vous  aime,  vivez! 

CYRANO . 

Non  !  car  c'est  dans  le  conte 
Que  lorsqu'on  dit  :  Je  t'aime  !  au  prince  plein  de  honbe, 
Il  sent  sa  laideur  fondre  à  ces  mots  de  soleil... 
Mais  tu  t'apercevrais  que  je  reste  pareil. 

ROXANE. 

J'ai  fait  votre  malheur!  moi!  moi! 

GYRA.NO. 

Vous  ?. . .  au  contraire  1 
J'ignorais  la  douceur  féminine.  Ma  mère 
Ne  m'a  pas  trouvé  beau.  Je  n'ai  pas  eu  de  sœur. 
Plus  tard,  j^ai  redouté  l'amante  à  l'œil  moqueur. 
Je  vous  dois  d'avoir  eu,  tout  au  moins,  une  amie. 
Grâce  à  vous  une  robe  a  passé  dans  ma  vie. 

LE  BRET,    lui  montrant  le  clair  de  lune  qui  descend  à  travers 
les  branches. 

Ton  autre  amie  est  là,  qui  vient  te  voir! 

CYRANO,    souriant  à  la  lune. 

Je  vois. 

ROXANE. 

Je  n'aimais  qu'un  seul  êlre  et  je  le  perds  deux  fois  I 

CYRANO. 

Le  Bret,  je  vais  monter  dans  la  lune  opaline, 

Sans  qu'il  faille  inventer,  aujourd'hui,  de  machine... 


Que  dites  vous? 

CTIlAîfO. 

Mais  oui,  c'est  li.  je  vous  le  dis. 
Que  l'on  va  nrenvoycr  faire  mon  paradis. 
Plus  d\n\c  ame  que  j*aime  y  doit  ^Irc  eiilrc. 
\'A  je  retrouverai  Socrate  el  Galilée! 

I.K   lUier,    M  r^tolUal 

Non  !  [ion!  C'est  trop  stupide  à  la  fin.  et  c'est  trop 
Injuste!  Un  tel  poète!  Un  cœur  si  grand,  si  haut! 
Mourir  ainsi...!  Mourir!... 

CïRA^O. 

Voilà  1,0  Hret  qui  grogoet 

LE   RRET,    fontUnt  en  Urme* 

Mon  cher  ami... 

CTRA?IO,    M  •ouUvanl.  l'iril  égaré 

Ce  sont  les  cadetn  de  <  ■ 
—  La  masse  élémentaire...  Eh  oui?...  \«'ii.i  n   /ut... 

LF    RHET. 

Sa  science...  dans  son  délire! 


A  dit 


C\RA?ÏO. 

Copernic 


RCXANE. 

Oh! 


CTRAÎIO. 

Mais  aussi  que  diable  allait  il  faire 
Mais  que  diable  allait  il  faire  en  cette  t'alèn-  * 

J^hilosoplie.  pinsicien, 
lU^îlUr.  l.roTflMlrT musicien. 
Kl  NONaJÎMÏr  aérien, 
(irand  riposteur  du  tac  au  lac. 
Amant  atï>si  —  jkis  jxiur  son  bien  !  — 
h^^f'     -j^'^ii  llercnle-Savini<*n 
**^>      Do  C^vrano  de  lierirerac 
Qui  lut  tout,  el  qui  ne  fut  rien. 


53:^  GYRA^O      DE     BERGERAC. 

.,.Mais  je  m'en  vais,  pardon,  je  ne  peux  faire  attendre  : 
Vous  voyez,  le  rayon  de  lune  vient  me  prendre! 

(Il  est  retombé  assis,  les  pleurs  de  Roxane  le  rappellent  à  la  réalité 
il  la  regarde,  et  caressant  ses  voiles  :) 

Je  ne  veux  pas  que  vous  pleuriez  moins  ce  charmant, 
Ce  bon,  ce  beau  Christian;  mais  je  veux  seulement 
Que  lorsque  le  grand  froid  aura  pris  mes  vertèbres, 
Yous  donniez  un  sens  double  à  ces  voiles  funèbres. 
Et  que  son  deuil  sur  vous  devienne  un  peu  mon  deuil. 

ROXANE. 

Je  vous  jurel... 

CYRA-NO,    est  secoué  d'un  grand  frisson  et  se  lève  brusquement. 

Pas  là  !  non  !  pas  dans  ce  fauteuil  ! 

(On  veut  s'élancer  vers  lui.) 

—  Ne  me  soutenez  pas  !  —  Personne  ! 

(Il  va  s'adosser  à  l'arbre.) 

Rien  que  l'arbre  1 

(Silence  ) 

Elle  vient.  Je  me  sens  déjà  botté  de  marbre, 

—  Ganté  de  plomb  1 

(Il  se  raidit.) 

Oh!  mais!...  puisqu'elle  est  en  chemin, 
Je  l'attendrai  debout, 

(11  lire  l'épée.) 

et  l'épée  à  la  main  ! 

LE    BRET. 

Cyrano  ! 

ROXATNE,    défaillante. 

Cyrano  ! 

(Tous  reculent  épouvantés.) 
CYRAXO. 

Je  crois  qu'elle  regarde... 
Qu'elle  ose  regarder  mon  nez,  cette  Camarde 

(Il  lève  son  épée.) 

Que  dites-vous?...  C'est  inutile?...  Je  le  sais! 
Mais  on  ne  se  bat  pas  dans  l'espoir  du  succès  1 


Ci:«Qi;iK!klB     ACTB. 

Non!   n*»ii  !   «  «si  hicn  |»lus  Lt-.m  |oiM|u<-  i  r- 

—  Qu'est  ce  que  c'est  (jiie  tous  ceux  là!  —  \  ni!U? 
Ah  !  je  vous  reconnais,  tous  mes  vieux  ennemis 

Le  Mensonge? 

Il  fruii't    V..   ^»o  éf^  le  Mdt 

Tiens,  tiens!  —  Ha!  lia!  les  Com promit, 

Los  Préjugés,  les  Lûclielt's  ! . . . 

il  rr4|>|K> 

Que  jo  {>actisc? 
Jamais,  jamais!  —  Ali!  le  voilà,  loi.  la  Sottise! 

—  Je  sais  bien  qu'à  la  fin  vous  me  mettrez  à  bas; 

N'importe  :  je  me  hais!  je  me  hat    '  '  »    '^î 

Il    fait  d&s  iiinuliri'  f.  bâIrUat.l 

Oui,  VOUS  m'arrachez  tout,  le 

Arrachez!  Il  v  a  malgré  vous  quelque  ci 

Que  j'emporte,  et  ce  soir,  quand  i'rnlrri.u  i  m.v  i  mcu. 

Mon  salul  halaiera  largement  le  >eu?l  hieu, 

Quchpic  chose  que  sans- un  pli,  sans  une  tache, 

^emporte  malgré  vous,       ^^^  ^'^^^^^ 

(Il  iVlanctf  répé«  }•*!*-  ^ 

et  c'est... 

(LVp^^e  s\*chapp«  Je  t«s  niaÎD».  il  chancelle.  lomb«  tUnt  \m  tnâ  ég 
Le  Brct  et  île   Kagueneau.) 

HO.\\?iE,    se  pencbant  Mir  lui  et  lui  baÎMot  l«  froat. 

Ccêl?... 

CYU\?(0,    rouvre  les  yeui,  la  reconnaît  el  dil  <  il 

\h>n  paoacht. 


Rîni:\L' 


IMPRIME 
PAR 

LES  IMPRIMERIES  RENOUARD 

19,  rue  des  Saints-Pères 

PARIS 


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31  19/    \2/i'6    'j337 


DATE  DUE 


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MAY  ]  1 2006 


DEMCO.  INC    38-2971 


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DEC  1  6  7009 


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